Messe du dimanche de Pâques

 

Abbé Jean-Pascal GENOUD, église de Montana-Village, VS, le 20 avril 2003.

Lectures bibliques : Actes des Apôtres 10, 34-43; Colossiens 3, 1-4; Luc 24, 13-35

Permettez d’abord, frères et sœurs, que je signale à nos auditeurs, et surtout à ceux d’entre eux qui ne connaîtraient pas notre région des « Noble et Louable Contrées », que Montana-Village est un patelin parmi de nombreux autres patelins qui ont pour nom Corin, Ollon, Chermignon, Lens, Icogne, Flanthey, Mollens, Rangogne ou encore Loc. Autant dire que, de nos jours, les curés passent pas mal de temps dans leur voiture entre ces villages ! Et que peut faire un curé dans sa voiture ? « Prier » me direz-vous. Je reconnais que ça m’arrive, mais plutôt rarement ! En effet, le plus souvent, j’écoute la radio (Espace 2 évidemment !) Et bien, figurez-vous qu’hier, vers 10 h 45, me rendant auprès d’une famille en deuil, j’entends dans mon véhicule cette phrase fort troublante : « « Rions des moralistes qui prétendent qu’il n’y a pas de véritable bonheur sur la terre comme si, le bonheur, on pouvait aller le chercher ailleurs ! – et notre auteur de poursuivre – Si pour savoir que je suis immortel, j’ai besoin de mourir, alors je ne suis pas pressé de connaître cette vérité-là. Une vérité qui coûte la vie, est une vérité qui coûte trop cher ! » Fin de citation. De quoi me faire sursauter à l’approche de la Pâque que nous fêtons. Vous l’avez peut-être perçu comme moi, il y a là comme une affirmation chrétienne à l’envers. Mais aussi quelle excellente porte d’entrée pour méditer la Résurrection du Seigneur et notre relation à elle !

Entre-temps, je me suis d’ailleurs renseigné : l’affirmation vient d’un homme – dont je tairai le nom – qui a vécu il y a près de 200 ans. Il a réputation d’avoir fait profession d’athéisme et d’ avoir été un jouisseur comme peu d’autres hommes. Dans sa vieillesse, désabusé, résigné, il a écrit des « mémoires » devenues célèbres.

Sa réflexion nous saute à la figure, particulièrement en ce matin de Pâques. En effet, si nous étions complètement rivés à notre monde matériel, limités aux seules possibilités de nos sens, il nous serait difficile, et même carrément impossible, d’accueillir et d’intégrer l’événement de la résurrection.

J’ai comme l’impression qu’il est nécessaire d’avoir, d’une certaine manière, connu la mort, et accepté sa morsure – pour pouvoir entendre le message de résurrection. Avez-vous remarqué cette chose étonnante dans les Evangiles : le Ressuscité n’apparaît jamais à des inconnus, mais toujours à ceux qui l’ont connu dans son existence terrestre. Evidemment, nous aurions peut-être aimé que Jésus fasse des coups d’éclat, en allant par exemple jouer les fantômes dans les palais de l’Empereur César, ou qu’il s’amuse, par quelque lumineuse apparition, à terroriser une assemblée de grandes et influentes dames romaines ! Mais ce n’est pas tout à fait son style, semble-t-il. Et bien il y a une raison à cela. Il s’agit de quelque chose de très intime, d’infiniment discret. Un peu comme une touche d’amour qui fait signe et qui se refuse à s’imposer. Chez les premiers témoins du Ressuscité, il y a toujours une RELATION de confiance touchée et même brisée par la mort AVANT QUE RENAISSE LA FOI (non sans difficulté, d’ailleurs) au cœur même de cette relation.

En ce moment, dans le village voisin de Chermignon, à 2 km d’ici, nos tout-petits, les 3-6 ans, vivent ce qu’on appelle l’aube pascale. Je ne parlerai pas de la chasse aux œufs qui va assurément les passionner. (Pâques oblige !) Mais je me plais à évoquer la célébration qui leur est proposée ce matin, qui commence par la découverte du tombeau vide et qui se poursuit par l’écoute du récit de la Résurrection. Il est très important que, dans leur jeune âge, ces enfants aient l’occasion d’entendre la joyeuse nouvelle de Jésus ressuscité. Mais, avec vous, je me pose honnêtement la question : n’y a-t-il pas un risque, à ce stade, d’en rester à une belle histoire. Un « happy end » de plus, à la mode de Walt Disney. Jésus serait assimilable à ces héros invincibles qui hantent l’imaginaire de nos enfants ? Qu’est-ce qui va faire que cette histoire sera digne de FOI, qu’elle sera de quelque manière MON histoire, celle qui donne sens à ma vie ? Je pense qu’il n’y a pas tellement de solutions : il faut pour cela que je sois affronté un jour personnellement à la mort, le plus souvent par la perte d’être cher. En présence alors d’un corps sans vie, pour peu que j’ose demeurer longuement pour laisser monter les grandes, les vraies questions : « Qu’est-ce que c’est que ça ? » « Qu’est donc la vie ? » Il est probable que dans ces instants viendra à mon esprit l’histoire du Crucifié-Ressuscité. Mais aussi, avec elle, d’autres questions redoutables : « Puis-je tenir ça pour vrai ? » « Est-ce que je peux vraiment y croire ? » « Ne serait-ce pas une belle histoire d’enfant ? Une manière respectable, certes, mais un peu facile de me rassurer ? »

Le dépassement de ces dilemmes suppose un grand calme intérieur, la plus grande attention. Regardez, ce matin, comme Marie-Marie Madeleine est affolée. Jésus ne peut rien strictement rien pour elle. Pour le moment au moins ; ça viendra. Pierre, de son côté, semble très préoccupé. On peut le comprendre, c’est le chef ! Par contre, – et probablement parce qu’il est d’emblée du côté de l’amour, l’Evangile le désigne comme le disciple bien-aimé – Jean est le premier à croire. Que se passe-t-il en lui. ? Il semble bien que, plus rapidement que les autres disciples, Jean ait été capable de faire, en un éclair, une relecture des événements, pour arriver à une certitude intime : il fallait que Jésus passe par là ; sa mort-résurrection est même la clef de tout le reste.

C’est le cas de dire qu’il s’agit d’une vérité qui a coûté la vie – n’en déplaise à notre auteur cité tout à l’heure – ! Elle a coûté drôlement cher, mais c’est Jésus qui en a payé le prix fort et en PASSANT lui-même le premier.

Vous comprenez, frères et sœurs, combien la foi en la Résurrection est ainsi une brèche, un « inouï » (un jamais entendu), une irruption qui bouscule nos logiques humaines, naturelles. Il nous faut donc accepter de nous ouvrir et faire acte de disponibilité. Ne nous gênons d’ailleurs pas de demander humblement dans la prière la grâce de croire. Saint Paul nous exhorte ce matin à quitter les vieux levains, plus ou moins actifs en nous : ceux qu’ils appellent « vice » et « perversité ». Que devons-nous comprendre, sinon qu’il y a des choix fondamentaux qui pourraient nous rendre incapables d’accueillir la joie de la Résurrection. Des choix par exemple qui nous enferment progressivement dans la sécurité matérielle, dans la jouissance égoïste de l’instant ou dans l’exploitation des autres au profit de nos réalisations personnelles. Tandis que, au contraire, les levains de la « vérité » et de la « droiture » agissent quand nous sommes appauvris de nous-mêmes, disponibles, toute attention à l’Autre. Ces levains-là font de nous comme une pâte nouvelle, c’est-à-dire une humanité renouvelée, régénérée, ouverte à sa vraie dimension qui est l’éternité en Dieu.

Ainsi notre vrai bonheur sur terre, c’est de recevoir cette révélation, révélation selon laquelle nous sommes tous en marche vers un ailleurs. Notre vie ici, loin de se fermer sur elle-même dans de vides plaisirs ou une triste jouissance, devient un passage, une Pâque en confiance. Dois-je mourir pour l’apprendre ? D’une certaine manière, oui. Je devrai en tous cas accepter bien des morts partielles (un échec, une maladie ou la mort de ceux que j’ai connu et aimé) pour m’ouvrir, en toute droiture et vérité intérieure, à la certitude de la résurrection. Celle de Jésus, et de la mienne en Lui.

Pour cela, tout un chemin est nécessaire et la liturgie se fait notre éducatrice. Nous avons devant nous cinquante jours avant d’arriver à l’explosion de la Pentecôte. C’est un temps bien nécessaire pour nous laisser rejoindre par le Ressuscité. Il vient, dans nos lieux de morts, nous éveiller à la vraie vie. Qu’il en béni !

Amen.

 

 

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