Yvan Stern, devenu petit frère de Jésus en Algérie et au Maroc, nous a quittés au cœur de l’été 2019 à l’âge de 72 ans. A l’époque de la création de l’Office catholique du cinéma en Suisse romande, il était rattaché au CCRT, avant de lancer Cinéfeuilles avec le pasteur Terrail, puis d’assumer la rédaction d’Evangile et Mission.

Entretemps, grâce à son expérience dans les festivals du cinéma – de Cannes à Ouagadougou – il fut l’initiateur du Festival international du film de Fribourg (FIFF), qui continue largement à faire connaître le cinéma d’ailleurs, d’Afrique et d’Asie notamment. Yvan Stern allait son chemin envers et contre tout, dans une discrétion étonnante. Au Salon du livre de 1997 à Genève, il fut lauréat du Prix catholique de la communication décerné par le Jury de la Commission des médias des évêques.

Yvan Stern, lauréat du Prix de la Communication en 1997 à Genève.

Yvan Stern ou la passion du cinéma, et plus encore
Paru sur le site SIGNIS à Bruxelles

C’est vers 1975 qu’Yvan Stern a eu ses premiers contacts avec l’OCIC (Organisation catholique internationale du cinéma) à Bruxelles. Il connaissait très bien le dominicain Ambros Eichenberger, directeur de l’Office du cinéma de la Commission catholique suisse pour le cinéma et vice-président de l’OCIC.  Ambros était en 1975 au Sénégal où il a rencontré le cinéaste Sembene Ousmane. Il voulait intégrer davantage de jeunes dans l’OCIC. Il fit alors tout pour que ce jeune à l’époque puisse s’engager dans l’OCIC, ou plutôt, que sa vision des choses, sa « religiosité » non-cléricale et naturelle puissent également inspirer et nourrir l’organisation.

Dans ces années 1970, l’OCIC était presque à bout de souffle. La plupart des dirigeants étaient là depuis quarante ans et ils attendaient la relève de la garde. Le conflit avec le Vatican autour des films comme Théorème et Midnight Cowboy les avaient immobilisés. Yvan Stern, et trois ans plus tard Robert Molhant, avec d’autres jeunes encore, sont arrivés au bon moment pour revitaliser l’organisation.  Yvan a joué son rôle dans ce changement et pas le moindre. Sa présence et sa compétence ont aidé à ce que l’OCIC perde son côté ringard aux yeux de qui ne la connaissait pas. 

Rétrospectivement, sa première présence dans un jury œcuménique pour représenter le membre Suisse de l’OCIC à Locarno en 1976, explique déjà beaucoup sur sa personnalité, tout comme sa voix convaincante dans ce jury. Le film primé, du réalisateur tunisien Naceur Ktari As Soufara (Les ambassadeurs) traite certains problèmes vitaux concernant les immigrés. A travers des événements parfois tragiques relatés d’une manière efficace, il insiste sur l’importance de l’accueil et de la compréhension interpersonnelle. Il souligne surtout la nécessité d’une transformation des structures socio-économiques.

La mention est allée au film de l’autrichien Wilhelm Pellert Jesus von Ottakring. Il confronte sur la trame de la Passion du Christ, le courage d’un citoyen non-conformiste et pacifiste avec le comportement méfiant, agressif et hypocrite d’une société qui se considère comme bien-pensante. Yvan viendra encore dans ce jury six fois au cours des vingt années suivantes. En 1979, il rejoint le jury œcuménique de Cannes où le prix est attribué au film d’Andrzej Wajda Bez znieczulenia  (Sans anesthésie), qui invite chacun à savoir être fidèle à ce qui fait le vrai prix de la vie, sans se laisser entraîner dans les démissions faciles et les conformismes médiocres.

Dans les années qui suivent, il est invité dans des jurys OCIC aux grands festivals à Venise, Berlin, Montréal et San Sebastian. Mais son cœur est pour ces festivals qu’il  considère comme apparentés à son propre festival à Fribourg qu’il a fondé en 1980, devenu le FIFF (cf. www.fiff.ch ). Ces manifestations veulent promouvoir le cinéma qui par les images humanise des peuples qui furent déshumanisés par l’Occident. Ainsi devient-il, comme expert du cinéma africain en général et celui de l’Afrique du Nord en particulier, l’un des grands partisans pour développer des  jurys OCIC à Carthage (Tunisie), où il représente l’OCIC pendant dix ans (entre 1982 et 1992), à Ouagadougou, à Amiens et à Milan.

Là il se sent chez lui, pas de superficialité. Il voulait comprendre et aussi soutenir ces jeunes Africains qui, contre vents et marées, continuaient à faire tout pour raconter leurs histoires et  pour servir leur population avec leurs propres images, et tout cela en faisait respirer l’héritage culturel menacé d’être effacé  par l’occidentalisation de leur société, où les médias jouaient un rôle prépondérant.  Plusieurs fois à la fin des années 1980 et au début des années 1990, j’ai été avec lui à Amiens et Milan où il m’avait introduit auprès de ses amis cinéastes africains.  Pour lui, les contacts personnels d’amitiés étaient très importants.

En 1997, il vient à Bruxelles au secrétariat général de l’OCIC pour dire qu’il termine toutes ses activités médiatiques et cinématographiques en 1998 pour un temps  sabbatique.  Il veut se retirer, méditer et approfondir sa foi.  Il partira en Afrique.  Il le disait avec un sourire désarmé et des yeux brillants avec lesquels il a précisé implicitement que rien ne pouvait le retenir dans sa décision. Il n’a pas du tout défendu ni voulu argumenter sa décision.   Ce n’était pas nécessaire, il était là comme toujours, dans son pullover de toujours, ses sandales et son petit sac. En réalité, il venait s’excuser qu’il ne prendrait plus contact avec l’OCIC, comme avec tant d’autres organisations et même des amis.  Cette année, à juste titre, il avait reçu le Prix catholique suisse de la communication.

Heureusement quelques années plus tard, Yvan passait de nouveau au Secrétariat Général, qui avait pris entretemps le nom de SIGNIS.  Il était de passage pour aller en Suisse. Il voulait voir les gens qui avaient été pour lui des compagnons de route pendant plus de vingt ans pour les dire, avec joie, qu’il avait prononcé ses vœux temporaires en 2001 à Alger pour devenir frère des Petits frères de Jésus (congrégation fondée par Charles de Foucault). A la demande de ce qu’il faisait là-bas dans les « montagnes » d’Afrique du Nord à Beni Abbès en Algérie, il répondait simplement …prier et vivre avec les gens simples qui n’ont rien. Pour vivre, il faisait des petits travaux et il aidait des enfants pour leur français.

Guido Convents, président de l’Afrika Filmfestival à Leuven, Secrétaire du Cinemadesk de SIGNIS, Rédacteur en chef de Cinemag.

Voir : www.fiff.ch/en/yvan-stern-cofounder-fiff-passed-away
www.cath.ch/newsf/deces-dyvan-stern-journaliste-cinephile-et-homme-de-foi

Yvan Stern – photo CCRT.