Messe du 6e dimanche ordinaire

 

Abbé Xavier Lingg, à la Basilique Notre-Dame, Genève, le 15 février 2004.

Lectures bibliques :Jérémie 17, 5-8; 1 Corinthiens 15, 12-20; Luc 6, 17-26

Dites-moi, mes frères, mes soeurs, mes amis présents dans cette basilique ou vous qui nous suivez sur votre poste de radio,
dites-moi, qui d’entre vous ne désire pas être heureux ?

Le bonheur, c’est notre cible !
L’attrait du bonheur, c’est inscrit dans notre nature humaine !

Les spécialistes en marketing le savent bien, eux, qui sont des marchands de bonheur. Ils savent toucher la corde sensible en affirmant sans rougir que c’est avec telle couche culotte que votre bébé sera le bébé le plus heureux du monde. Ils savent aussi exploiter le créneau des enfants en âge scolaire en leur faisant miroiter le bonheur de s’affubler de vêtements de marque et d’exhiber des cartables griffés. Ne parlons pas des ados qui sont une proie facile, tant les conventions anticonformistes sont impérieuses à cet âge là. Pour être heureux, il me faut être à la dernière mode. Il me faut tout et tout de suite.

Que ces bonheurs sont éphémères ! Ce qui fut l’objet de ma convoitise la plus ardente à la rentrée dernière, croupira lamentablement au fond d’une armoire l’année prochaine.

Un bonheur ne peut être un bonheur, que s’il est durable ! Durable sans jamais prendre fin… car la perspective d’une échéance, m’en ôte toute sa saveur.

Or voilà que Dieu, lui aussi, vient me proposer d’être heureux. Le bonheur qu’il me propose n’a rien de commun avec les bonheurs factices que nous venons d’évoquer. C’est un bonheur exigeant…. mais plus il est exigeant, plus il sera durable. Le bonheur que Dieu me propose est « éternel ».

Toute la Bible est une proposition de bonheur. Les mots de « bonheur », « heureux », « bienheureux » nous les trouvons 295 fois, dont 231 fois déjà dans l’Ancien Testament.

Le premier mot de la première prière du peuple de la première Alliance, c’est le mot « Heureux ». Nous l’avons chanté tout à l’heure, ce psaume 1.

Et le premier mot du premier enseignement donné par Jésus en l’évangile de Matthieu, c’est encore le mot « Heureux ». L’évangéliste, d’ailleurs, entoure cette proclamation de bonheur d’une solennité toute particulière : Jésus, avec ses disciples, gravit la montagne, il s’assied dans la position de l’enseignant, puis, ouvrant la bouche, sa langue se délie, il y a là un suspens… les disciples sont suspendus aux lèvres du Maître. Et quel est le premier mot qui sort de cette bouche divine ? – « Heureux ! »

Heureux qui a un cœur de pauvre. Heureux qui a faim et soif de la justice. Heureux qui œuvre à la paix. Heureux même celui qui pleure et qui est persécuté.

Oui, pour entendre un tel message de bonheur, il faut s’élever. S’élever avec Jésus sur les hauteurs !

– Ce bonheur ne serait-il donc que pour une élite ?

 

Il en va tout autrement dans l’évangile de Luc que la liturgie de ce dimanche nous a proclamé. Cette fois, Jésus redescend de la montagne. Il descend vers la foule, vers le commun des mortels, qui est resté dans la plaine. Des gens venus du judaïsme, mais aussi des territoires païens. Jésus se met à leur portée ! Pour eux aussi, il a un message de bonheur. Ce ne sont plus les grandes affirmations générales ex cathedra. Cette fois son message de bonheur va droit au cœur de ses auditeurs. C’est pour eux, pour chacun d’entre eux, concrètement, personnellement : « Heureux vous les pauvres, heureux vous qui avez faim, heureux vous qui pleurez… » Heureux êtes vous, vous, dans votre situation concrète. Le bonheur que je viens vous proposer, il est pour vous ! Pour vous qui avez des problèmes. Pour vous qui portez de gros soucis. Pour vous qui êtes angoissés du lendemain. Pour vous aussi qui rêvez d’un avenir meilleur. Pour vous qui aspirez à la liberté, à la paix. Qui que vous soyez, j’ai une proposition à vous faire. Une proposition de bonheur.

Mais le bonheur que je vous propose vous restez libres de l’accepter ou de le refuser. Je ne vous l’impose pas. Je n’exerce sur vous aucune pression. Je ne suis pas un démarcheur. Vous pouvez dire non. Mais ne venez pas vous plaindre ensuite d’être malheureux !

Avez-vous entendu, frères et sœurs, la différence entre les propos du prophète Jérémie et ceux de Jésus ? Jérémie, il a fustigé son monde : « Maudit soit l’homme qui met sa confiance en un mortel tandis que son cœur se détourne du Seigneur ! ». Pour faire triompher les intérêts de Dieu, il se croit obligé de maudire, d’écraser ceux qui ne s’y soumettent pas. – Chez Jésus, rien de tel. Il constate tout simplement : « Vous êtes bien malheureux, mes pauvres riches, si vous ne placez vos valeurs qu’en des réalités terrestres. Tout ça, un jour, vous ne pourrez l’emporter. Et vous le regretterez amèrement. Mais je ne vous condamne pas… si c’est ça, votre choix ».

Mes frères et mes sœurs, cette proposition de bonheur, c’est à nous, aujourd’hui, de la porter au monde dans lequel nous vivons. C’est notre mission de chrétiens. C’est la mission de l’Eglise dans le monde de notre temps.

Tout au long de son histoire, à travers les périodes fastes et les époques sombres de son histoire, l’Eglise, avec les moyens qui furent les siens, souvent avec ses maladresses, n’a cessé de proposer le message des Béatitudes.

Pour affirmer sa foi en évitant toute ambiguïté, elle a dû avoir recours à certains moments au langage de Jérémie. Pour préserver la pureté de sa doctrine, elle a dû prononcer des anathèmes. « Si quelqu’un n’accepte pas cette proposition, anathema sit ! qu’il soit condamné, exclu, excommunié. »

Le pape Jean XXIII, en convoquant le Concile Vatican II, a eu une intuition géniale ! Il a opté résolument pour un autre style de langage. Il faut que l’Eglise soit capable d’affirmer sa foi et ses convictions, sans prononcer de condamnation. Quel défi ! … Est-ce seulement possible ?

Près d’un demi siècle après, n’a-t-on pas l’impression d’assister à un retour en arrière ?

Pourtant, on aimerait rêver d’une Eglise qui sache défendre l’unité et l’indissolubilité du mariage, sans pour autant condamner ni rejeter les époux qui ont vécu un échec.

On aimerait rêver d’une Eglise qui sache prôner la sainteté et la pureté de la vie conjugale, sans, culpabiliser les couples qui ne sont pas en mesure de mettre ses préceptes en pratique.

On aimerait rêver d’une Eglise qui sache affirmer la valeur du célibat consacré, sans exclure ni de l’accession, ni de l’exercice du ministère sacerdotal des personnes qui n’ont pas vocation de célibataire.

On aimerait rêver d’une Eglise qui sache témoigner de sa foi en l’Eucharistie, sans jeter le discrédit sur les pratiques sacramentelles des Eglises sœurs d’autres confessions chrétiennes.

On aimerait rêver, oui, on aimerait rêver d’une Eglise dont la « Proposition de foi » soit une joyeuse, exaltante et universelle proposition de bonheur. Que notre Credo se chante sur des airs de danse !

Ce jour-là, soyez heureux, et sautez de joie, car votre récompense est grande dans les cieux !

 

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