Messe du 5ème dimanche de Pâques

Chanoine Jean Scarcella, à la chapelle de la Pelouse, Bex, le 9 mai 2004.

Lectures bibliques : Actes des Apôtres 14, 21-27; Apocalypse 21, 1-5; Jean 13, 31-35

Le poids d’une Parole

Mes sœurs, mes frères,

 

• A l’heure où l’actualité des faits divers brandit le spectre de l’obésité, il devient de bon ton de perdre du poids. Tout le monde se met à faire la chasse aux kilos superflus, avec l’aide de diététiciens, de droguistes et autres sportifs… Il s’agit donc d’éliminer le trop de poids et d’afficher aux yeux du monde la silhouette idéale ! Mais pour ressembler à qui ?…

 

Jésus aujourd’hui nous livre, par la bouche de l’évangéliste Jean, ses dernières recommandations avant sa passion. Judas a quitté la table pour rejoindre les ténèbres et arrive pour Jésus « l’heure de passer de ce monde à son Père ». Aucun signe de tristesse lors de cet entretien de Jésus avec ses disciples, mais plutôt un signe de joie, de victoire : « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui ». Ces heures douloureuses qui commencent sont en même temps l’Heure de la « Gloire » ; l’heure de manifester au monde jusqu’où va l’amour de Dieu pour nous.

 

Le sens du mot « gloire » dans la Bible, c’est le « poids », le poids de l’amour qui fait la valeur profonde d’un être. Jésus est glorifié parce qu’il nous révèle tout l’amour qu’il y a dans son cœur, un amour qui lui permet d’aller jusqu’au bout, jusqu’à la mort même, afin de nous donner sa vie, sa vie divine. Et en cela Dieu est glorifié en lui ; c’est-à-dire qu’à travers toutes les souffrances et la mort que Jésus va endurer, c’est Dieu qui nous révèle, lui aussi, son cœur rempli d’amour pour nous.

 

• Le chrétien n’est donc pas appelé à éliminer le trop de poids d’amour que Dieu met en lui – comme en tout homme qu’il a créé, d’ailleurs – mais à le partager. Et le partager non pas pour maigrir mais, paradoxalement, pour se nourrir.

 

Le poids de la pierre roulée devant le tombeau de Jésus signe la fin de l’histoire. En effet, dans la majorité des cultures, le tombeau, une fois fermé, sépare les vivants des morts. La Résurrection du Christ, signée par le tombeau ouvert, crée une autre dynamique : celle de la vie éternelle. Pour vaincre les portes de la mort et faire voler cette lourde pierre en éclats, il a fallu tout le poids de l’amour de Dieu qui rend Jésus victorieux de la mort. Jésus est « le premier-né parmi les morts » (Col 1, 18) nous dit Saint Paul, qui ajoute ailleurs : « Si le Christ n’est pas ressuscité, vaine est notre foi » (1 Co 15, 17) .

 

Oui, chers frères et sœurs, notre foi chrétienne est garante de l’amour de Dieu ; elle vaut son pesant d’or. Elle est là pour nous aider à faire face au poids du doute, au poids de la souffrance, des douleurs, du chagrin, au poids du péché, car elle renferme en elle le poids de l’amour qui guérit de tout mal et donne la vie, et la vie éternelle. Car Jésus en mourant a donné une parole de vie que ses disciples sont appelés à mettre en pratique chaque jour et à se transmettre comme le trésor le plus précieux : il ne s’agit plus seulement d’aimer son prochain comme soi-même – ce qui était déjà une prescription du Lévitique (19, 18) lourde d’audace – mais il s’agit de nous aimer les uns les autres comme Jésus lui-même nous a aimés, ainsi que nous le rapporte l’évangile de ce jour.

 

• Nous le savons, nous sommes des pèlerins sur cette terre. Comme Paul et Barnabé nous essayons d’annoncer la Parole de Dieu, d’une manière plus ou moins dynamique, plus ou moins convaincue, ou convaincante ! Mais l’Evangile ne doit pas prendre des allures de conquêtes, il avance au pas de notre foi, la foi des chrétiens. Parfois la Parole est lourde à porter et elle nous apparaît comme un poids excessif, parfois elle nous rend légers, parce qu’on sent, on voit l’Evangile pénétrer doucement dans les cœurs pour en faire sa demeure.

 

Jésus insiste donc sur l’amour qui doit unir les disciples entre eux – les chrétiens d’aujourd’hui comme tous les hommes de bonne volonté – puisqu’il nous promet sa gloire ; il veut nous la faire partager. Ainsi, si Dieu est Amour et que le Fils (Jésus) est tel son Père, alors nous qui sommes appelés à partager la gloire de Dieu devons être amour.

 

La Révélation de la Jérusalem céleste, que nous offre aujourd’hui encore Saint Jean lors de sa vision à Patmos, est une révélation de la présence lumineuse de Dieu dans l’obscur de notre séjour sur terre. Cette Jérusalem céleste dit la demeure de Dieu parmi les hommes depuis que le Verbe s’est fait chair et que le Père l’a ressuscité. La Parole de vie, avec tout son poids d’amour, nous a été donnée pour que nous ayons la vie et vivions de ce même amour. Cette nouvelle Jérusalem n’est pas un lieu géographique, mais un lieu liturgique : chaque assemblée, surtout l’assemblée eucharistique, est la nouvelle Jérusalem, lieu de la présence la plus intense de Dieu à son peuple.

 

• « Comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres. Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres ». Voilà une parole de poids, frères et sœurs, une parole qui porte l’entier de Dieu et qui doit pouvoir continuer à s’incarner en nous, en tout homme, dans l’amour. Certes, la consigne d’aimer le prochain n’était pas nouvelle, ni chez les philosophes, ni dans la Bible ; cependant la nouveauté du commandement de Jésus est qu’il en fait un commandement semblable à celui d’aimer Dieu. Et que ce commandement concerne tout homme considéré comme un frère, avec cette exigence nouvelle et folle à la fois d’aimer à la manière de Jésus avec la même humilité, la même volonté de service et le même don de soi que lui. Voilà à qui il faut ressembler – en réponse à notre première question de tout à l’heure – et nous aurons la silhouette idéale de l’amour !

 

Nous sommes ici loin, frères et sœurs, d’un vague sentimentalisme ou d’une idyllique philanthropie. Il s’agit d’aimer – et c’est le poids d’une résolution – il s’agit d’aimer tout homme, même l’étranger qui ne parle pas notre langue, même celui ou celle qui se noie dans ses faiblesses et ses erreurs ou les adolescents en rupture… « Comme je vous ai aimés », dit Jésus dans son testament d’aujourd’hui… C’est tout le poids d’une Parole !

 

Ainsi soit-il !

 

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