Messe du 4ème dimanche du Carême

 

Abbé Jean-Charles Roulin, à l’église St-Marc, Serrières, NE, le 21 mars 2004.

Lectures bibliques : Josué 5, 10-12; 2 Corinthiens 5, 17-21; Luc 15, 1-32

Prodigue, prodiguer : le dictionnaire nous dit aussi dilapider, dépenser sans compter, ou encore dispenser avec générosité. Rien à priori qui ne soit foncièrement mauvais, mais qui par contre peut entraîner quelques difficultés si l’on n’en a pas les moyens !

 

On a longtemps parlé de cette histoire comme de la “parabole du fils prodigue” à cause de la manière dont celui-ci avait dilapidé son bien, nous montrant combien il était rongé par le mal. Puis, pour mettre l’accent sur l’aspect positif de ce texte, certains l’ont plutôt appelé la “parabole du père prodigue” à cause du pardon sans mesure accordé à ce fils qui revient. A dénoncer la mauvaise conduite du fils qui avait quitté la maison, ou alors la jalousie du frère qui n’accepte pas que le père pardonne, ou encore à mettre en valeur la miséricorde du père, nous avons définitivement enfermé cette histoire dans une question de pardon et de culpabilité pour nous faire la morale ! Et c’est dommage ! S’il est vrai que ces éléments ne sont pas absents de ce texte, le message le plus fort de cette parabole est ailleurs.

 

Tout d’abord, il est intéressant de constater que le père ne fait aucun reproche à ce fils qui revient à la maison. Seul son frère, poussé par la jalousie, parle d’argent dépensé avec des filles, ce que ne dit pas le début de la parabole. Si l’un a choisi de partir vivre sa vie ailleurs, désir légitime d’autonomie, de liberté, il n’est pas pour autant reproché à l’autre d’avoir choisi la sécurité du giron familial pour faire sa vie. Le père les aime les deux tels qu’ils sont dans leur différence, dans leurs choix de vie différents.

 

Ce qui est mis en valeur par la parabole, c’est que malgré leurs différences, ces deux frères se ressemblent en ce sens qu’ils souffrent du même problème : tous les deux ne connaissent pas leur père, ou plutôt le connaissent mal. Ils s’en font une idée fausse et vivent donc avec lui une relation faussée. Celui qui est parti est persuadé que son père le reniera à son retour, au point d’imaginer un scénario de survie pour être au moins considéré comme un simple employé de la maison. L’autre voit en son père celui qui n’a jamais rien fait pour lui, ne lui a jamais rien donné.

 

Tous les deux ignorent de quel amour ce père les aime ! Tous les deux ignorent la place qu’ils tiennent dans son coeur. Pour l’un comme pour l’autre, celui-ci sort de sa maison pour aller à leur rencontre: à la vue de son retour pour le premier, à l’annonce de son refus d’entrer pour le second. Ce qui importe pour ce père, c’est que ses deux fils soient conscients que coupés de lui, il ne peuvent pas vivre : Ton frère que voilà était mort, il est revenu à la vie ! Cela n’a rien d’une dépendance contraire à notre notion de liberté, mais nous invite à découvrir combien notre relation à Dieu est en nous souffle de vie. Privée de ce souffle, notre vie s’étiole et en certaines circonstances peut nous paraître n’avoir plus aucun sens. C’est ce que découvre le fils cadet dans son éloignement, mais il ignore encore le vrai visage de ce père dont il sent qu’il a besoin.

 

Ne perdons pas de vue que cette histoire est une parabole, et comme telle n’est pas une description de la réalité. L’humanité n’est pas divisée en deux catégories de personnes : celles qui auraient pris leur distance d’avec Dieu et celles qui sont sagement restées dans le bercail religieux d’une foi peureuse, cherchant avant tout confort et sécurité. L’humanité n’est pas divisée entre ceux qui mènent une vie sans interdit, libre de toute morale, et ceux qui, fort de leur droiture de toujours, les envient secrètement, jaloux de toutes les Marie-Madeleines et autres bons larrons qui ont menés une vie sans foi ni lois jusqu’au jour de leur rencontre avec le Christ ! Non l’humanité est faite d’enfants d’un même Père qui par des chemins divers cherchent leur bonheur. Ces enfants sont tous appelés à découvrir au gré de leur pérégrination le vrai visage de ce Père, et cela de mille et une manières qu’il ne m’appartient pas de juger.

 

Cette parabole nous dit avec beaucoup de subtilité que, quelle que soit notre histoire, notre itinéraire, nous sommes tous aimés d’un Dieu qui sort à notre rencontre, qui a l’initiative de nous prendre dans ses bras tels que nous sommes, là où nous en sommes.

 

Si aujourd’hui je me sens plutôt proche de ce cadet qui s’enlise dans sa culpabilité, alors je suis invité à me laisser surprendre par la tendresse débordante de ce Dieu que je connais si mal. Si aujourd’hui je me sens plutôt l’âme amère de cet aîné qui trouve que c’est trop facile, et si je suis tenté de reprocher à Dieu sa faiblesse de père, sa distance ou son indifférence, alors je suis invité à me laisser surprendre par sa déclaration d’amour qui me dit que tout ce qui est à lui m’appartient depuis toujours !

 

Mais que je me sente proche de l’un ou de l’autre, tour à tour l’un et l’autre, je dois apprendre à accepter que Dieu aime aussi celles et ceux qui ne me ressemblent pas. Je suis appelé à tout mettre en oeuvre pour parvenir avec eux à découvrir chaque jour un peu plus quel est son vrai visage afin que nous puissions tous dire en vérité Notre Père, que ton Nom soit sanctifié…!

 

Amen

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