Messe du 3ème dimanche du Carême

 

Abbé Jean-Charles Roulin, à l’église St-Marc, Serrières, NE, le 14 mars 2004.

Lectures bibliques : Exode 3, 1-15; 1 Corinthiens 10, 1-12; Luc 13, 1-9

Même si nous avions voulu l’oublier quelques instants, l’Evangile de ce jour nous ramène à la dure réalité de la violence dans notre monde! Ce qui est arrivé en Espagne nous touche et nous laisse désemparés. La souffrance qu’engendre la folie meurtrière de quelques-uns provoque en nous de la compassion, mais aussi de la révolte. Pourquoi de telle chose sont-elles possibles? Pourquoi des hommes sont-ils à ce point indifférents à la vie d’un être humain? Le croyant que j’essaie d’être n’a pas de réponse à ce genre de question! Même si la souffrance ou le radicalisme d’une idéologie peuvent expliquer certaines violences, l’aveuglement d’une telle haine reste incompréhensible.

 

A ces questions Jésus non-plus n’a pas répondu! Face au malheur provoqué par deux situations différentes, l’une d’origine humaine (le massacre commandé par Pilate) et l’autre d’origine plus “naturelle” (la chute de la tour de Siloë), Jésus se contente de dégager clairement toute responsabilité ou connivence de la part de Dieu! Cela n’arrive pas comme une punition ainsi que tentent parfois de le proclamer certains fanatiques religieux! Ce qui apparaît ensuite dans le propos de Jésus comme une menace “Si vous ne vous convertissez pas…”, est à prendre plutôt comme un constat. Jésus affirme clairement une fois de plus que se couper de Dieu, lui refuser notre confiance ou encore le renier parce que nous le croyons responsable du mal qui ronge le monde, que tout cela nous fait courir à notre perte.

 

Jésus ne tente pas d’expliquer le pourquoi de ces événements, il n’est pas venu pour cela. Non, il n’est pas venu pour expliquer la souffrance, mais pour la partager, nous révéler un Dieu de compassion. La parabole du figuier qui suit le dialogue sur les deux tragédies vient confirmer l’intention de Jésus qui est de nous révéler un Dieu amoureux de l’homme: même celui qui ne porte pas de fruit, il décide de le garder encore. C’est là que s’enracine notre espérance

 

Au coeur de notre désarroi, de nos révoltes, il y a cette espérance que Dieu ne nous oublie jamais, qu’il est présent, souffrant, se réjouissant avec nous. Nous avons du mal à connaître Dieu, et nous l’affublons trop souvent de nos ressentiments comme la vengeance ou l’indifférence. Jésus vient nous montrer le visage d’un Dieu différent.

 

Depuis toujours Dieu cherche à se faire proche de l’homme, à lui dire sa confiance dans le respect de son chemin de liberté. Comme pour Moïse du milieu du buisson ardent, Dieu nous appelle du milieu de la fournaise qu’est parfois notre monde. Il nous dit son nom, un nom qui ne l’enferme pas dans une définition, un dogme, mais est ouvert sur une relation: je suis, j’existe depuis toujours et j’existe pour toi. C’est cela ce nom de Dieu que nous ne parvenons pas à traduire correctement.

 

A Moïse Dieu a donné son nom pour lui dire sa confiance, confiance en lui, en l’homme qu’il veut libre, qu’il prend comme partenaire pour construire un monde qu’il aime. Avec Jésus cette révélation atteint sa plénitude: ce Dieu de Moïse, d’Abraham, ce Dieu qui nous semble parfois si loin de nous, il l’appelle Abba, c’est-à-dire papa. Il nous invite à découvrir cette filiation qu’il nous partage, à comprendre que ce Père nous donne sa confiance et nous appelle à porter du fruit.

 

La parabole de ce jour souligne la grande patience avec laquelle il attend ces fruits d’humanité dont nous sommes capables avec lui. Il sait bien que souvent il nous arrive de trahir cette filiation, de trahir son Nom en l’utilisant pour justifier ce qui n’est pas de lui, ce qui n’est pas lui, d’utiliser son Nom pour servir nos propres ambitions, pour sacraliser notre conception du monde, du bien et du mal. Malgré cela il ne renie pas sa paternité blessée, au contraire il y engage tout son amour, toute sa tendresse. Il nous connaît, chacun par notre nom, il nous appelle chacun par notre nom, nous révélant que nous sommes uniques, appelé à vivre avec lui une relation unique. Il nous invite à nous regarder les uns les autres, à regarder notre monde avec ses yeux de Père.

 

Les violences dont nous sommes témoins, les souffrances que nous partageons avec les victimes de ces violences, tout cela peut nous faire douter de la capacité de notre humanité à construire un monde meilleur, nous faire douter de notre filiation divine. Pourtant la révolte de tout un peuple qui refuse cette violence et sort dans la rue pour le dire, est déjà un signe d’espérance, un signe qui me pousse à croire aussi en l’homme et pas seulement en Dieu. Notre vocation de chrétien, de croyant en chemin, c’est d’oser une parole, des gestes qui disent cette confiance en Dieu et en nous-mêmes. Ne laissons pas la désespérance éteindre en nous cette conviction que rien ne peut empêcher Dieu de nous aimer, et surtout qu’il nous croit capables d’en faire autant! Au nom de Dieu, c’est là notre dignité!

Amen.

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