Messe du 2ème dimanche du Carême

 

 

Chanoine Claude Ducarroz, Monastère de la Visitation, Fribourg, le 16 mars 2003.

Lectures bibliques : Genèse 22, 1-18; Marc 9, 2-10

Connaissez-vous le mal des montagnes ?

 

Les alpinistes des plus hauts sommets éprouvent parfois ce sentiment étrange, mélange d’euphorie et de témérité.
Entre ciel et terre, ils ont l’impression de flotter, comme des héros des grands espaces, soudain emportés par l’ivresse d’une improbable victoire.

 

Transformez le mal en bien – le bien d’une haute montagne -, et vous aurez peut-être quelque idée de l’étonnante félicité qui envahit Pierre, Jacques et Jean, présents sur la montagne en face de Jésus transfiguré.
« Rabbi, il est heureux que nous soyons ici. Dressons trois tentes pour y rester », ne peut s’empêcher d’exprimer l’apôtre Pierre, à la fois ravi et réaliste.

 

La transfiguration du Christ n’a rien d’un phénomène du type Ovni. Elle n’est pas une variante des extraterrestres qui font la fortune de certains films et même de certaines sectes.
Sur la montagne de la transfiguration, Jésus s’adonne à une triple révélation, un peu comme une photo encore sur film se révèle soudain avec toutes ses couleurs quand elle passe dans le bain qui la fait apparaître pour ce qu’elle est vraiment.

 

· Rempli de la lumière de Dieu, habité par le resplendissement de sa gloire, Jésus relâche son propos de discrétion. Quelques rayons de son mystère, jusqu’alors soigneusement retenus pour ne pas éblouir ses amis et les foules, métamorphosent tout à coup son visage et illuminent même ses vêtements. Il est bel et bien la lumière de Dieu venue dans le monde pour y éclairer tout homme.

 

· Par ailleurs, Moïse et Elie sont là, symboliquement, pour témoigner que Jésus de Nazareth est vraiment le Messie attendu par Israël.

 

· Enfin, cette lumière incandescente, comme on le constate au cours du dialogue de retour dans la plaine, est comme une anticipation de la gloire dont sera bientôt revêtu le Christ ressuscité. D’ailleurs, les trois témoins de cette transfiguration seront aussi les trois témoins de l’agonie de Jésus.

 

Le Seigneur eut la délicatesse d’entrouvrir pour eux le mystère de Pâques pour réconforter par avance ceux qui auraient à le contempler, bientôt couvert de crachats et de sang, lui le plus beau des enfants des hommes.

 

Dans l’existence chrétienne, dans la participation à la vie de l’Eglise, peut-être êtes-vous comme moi dans le domaine alpin. Pas des héros pour conquérir des 8’000, même pas des varappeurs pour les 4’000 de chez nous, mais simplement des randonneurs, d’honnêtes promeneurs, sans plus. Nous n’attendons pas monts et merveilles dans notre vie religieuse.
D’ailleurs Pierre, Jacques et Jean ne sont pas restés bien longtemps dans l’extraordinaire clarté de la transfiguration. « Soudain, regardant tout autour, ils ne virent plus que Jésus, seul avec eux ». Et terminée la magie de la montagne enchantée.
Pourtant quelque chose les a marqués pour toujours, qui les transforma eux aussi, de sorte qu’ils ne furent jamais plus après comme avant. C’est le souvenir et l’actualisation de cette phrase :

 

« Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Ecoutez-le ».

 

Et l’on retrouve la fameuse écoute de notre Carême. Quand nous redescendons de nos montagnes – ces bonheurs intenses mais brefs, nos rêves fous et nos illusions peut-être -, il nous reste un moyen très simple de transfigurer notre existence ordinaire : Ecoutez-le, écoutons-le.

 

Lui d’abord, ce Christ pèlerin avec nous, le randonneur de l’Evangile, au ras de la vie, même banale, même insignifiante aux yeux du monde. Dans sa Parole, dans son Pain, Dieu nous offre tout en nous donnant lui, le Fils devenu notre frère. Et « si Dieu est pour nous dans le Christ, qui sera contre nous ? »
Mais il y a aussi d’autres écoutes qui transfigurent des vies.

 

S’il est vrai, comme nous le révèle l’Evangile, que le Seigneur est mystérieusement présent en chaque être humain, à commencer par les petits et les pauvres, alors la transfiguration par l’écoute se présente à nous à tous les carrefours de nos journées.
Il y a tant de gens qui meurent de solitude, qui ne comptent plus pour rien, ni pour personne, qui ne sont pas écoutés. Ils souffrent, ils gémissent, mais ils finissent par se taire à force de crier dans le vide.
Il reste leurs regards qui sont des appels criants à l’attention, à la compassion, à l’écoute. Et qui d’entre nous, même s’il est normalement bien entouré, n’a jamais éprouvé le chagrin – peut-être même le désespoir – de n’être pas entendu, de n’être pas compris ? Parce qu’il est différent, parce qu’il est non-conforme, parce qu’il est non-rentable, qui sait ? non-aimable, mais pourtant digne d’être aimé.

 

Ecouter l’autre, avec sa différence, son étrangeté, son autre couleur de peau ou d’esprit, de cœur ou de langue. C’est le remettre debout, c’est lui restituer sa dignité. En langage de l’Evangile, c’est lui rendre la vie, c’est le ressusciter, en quelque sorte.

 

Nous sommes appelés à écouter Jésus camouflé dans nos frères et sœurs rencontrés au hasard, surtout s’ils gravissent, eux, non pas la montagne d’une transfiguration, mais le chemin de leur croix. Comme Jésus a eu besoin de Simon de Cyrène pour aller jusqu’au bout, y compris jusqu’à Pâques, ainsi nous pouvons soulever la croix des autres, marcher à leurs côtés, anticiper par l’amour la transfiguration pascale qui nous attend tous.

 

Il suffit pour ça d’une écoute de plein cœur, à la portée de chacun de nous.
Amen.

 

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