Messe du 27ème dimanche ordinaire

Abbé Philippe Matthey , à l’église Saint-Joseph, Genève, le 5 octobre 2008
Lectures bibliques : Isaïe 5, 1-7; Philippiens 4, 6-9; Matthieu 21, 33-43 – Année A

 

LE VIN DE L’AMITIE

L’esprit bucolique n’est plus ce qu’il était !
La beauté romantique de la vigne en prend un sacré coup avec cette parabole.
On s’y promenait avec passion comme dans le lieu de la vie, de la joie, du partage…
Et on découvre que la vigne peut aussi devenir un lieu d’avidité, de pouvoir et de mort !
On aurait pourtant du plaisir à demeurer dans ce lieu magnifique de la nature où, en plus, on voit germer la promesse de dégustations savoureuses et pleines du goût de la fête. Pas étonnant que Jésus choisisse la vigne pour évoquer le Royaume de son Père. Royaume de générosité, de lumière et de convivialité…
Cependant, il est bon de découvrir que ce Royaume des cieux n’est pas seulement assuré à un monde idéal que nul ne saurait atteindre. Jésus ne veut pas du privilège de ne partager que ce qui est bon et beau. Il est venu partager la condition humaine telle qu’elle est ; marquée également par l’échec et le mal. C’est aussi là que se construit le Royaume !

C’est ainsi que la vigne devient le lieu du contraste entre la volonté du bien et la résistance qui conduit au mal. Dans ce contexte, que veut donc le maître ?
Il désire voir grandir sa vigne qui porte du fruit duquel il puisse bénéficier. Cette relation entre le maître et sa vigne est normale dans une logique d’économie. Mais voilà que tout bascule au moment où le maître devient père et qu’il envoie son fils. La vigne n’est donc plus seulement le lieu de la production, mais celui de l’amour donné…
En envoyant son fils, le père s’engage personnellement comme dans sa propre chair.
On comprend pourquoi le père s’était absenté. Il a eu la délicatesse de s’effacer pour donner leur place à ses ouvriers puis à son fils. C’est un signe d’amour et de confiance que de ne pas encombrer le terrain : tous les parents le savent !
Les ouvriers ont trahi cette confiance et le fils est allé jusqu’au bout. La confiance du maître et l’amour du père sont rejetés avec la violence la plus absolue. Comment ne pas voir dans la figure du fils de la parabole la trajectoire du Fils par excellence : Jésus, fils du Père, qui, ayant aimé les siens qui sont dans le monde, les aima jusqu’au bout. C’est dire jusqu’à donner sa vie sur la croix.

Mais revenons à l’évangile pour voir comment Jésus exploite cette parabole. Comme à chaque fois qu’il parle en paraboles, Jésus évolue dans un climat polémique. Il place ses interlocuteurs devant leur responsabilité et les conduit à conclure par eux-mêmes. Plutôt que d’accueillir avec bienveillance le don du père, les voilà qui rentrent dans une logique de mort : « ces misérables, il les fera périr misérablement ! » C’est la loi du talion : œil pour œil, dent pour dent ! On rend le mal pour le mal… et après ?
Après, la parabole nous apprend que la même histoire recommence avec d’autres vignerons… on n’avance pas. Les chefs des prêtres sont les défenseurs de la loi qui ne peut que les conduire à répéter éternellement la même histoire. C’est désespérant !

Un détail vous a peut-être frappés : avant de le mettre à mort, les vignerons expulsent le fils hors de la vigne. Le rejet est total ! Cependant, la référence au psaume 118 nous apprend que ce rejet, dans la logique de Dieu, peut donner naissance à la nouveauté. Le rejet de la pierre ouvre une nouvelle construction puisqu’elle devient la pierre d’angle, littéralement, la clef de voûte, c’est à dire ce qui achève l’édifice.
La mort de Jésus devient, par l’amour du Père qui le ressuscite, la clef de voûte d’un peuple nouveau : voilà pourquoi il est dit que le Royaume de Dieu sera donné non plus à des ouvriers, mais à ceux qui en porteront les fruits, à ceux qui accueillent le Fils: c’est l’Eglise qui a besoin de tous les baptisés ayant accueilli en eux de devenir filles et fils !
Voilà quel est le fruit désiré avec passion par le père de la parabole !

Je crois que le fruit de la vigne ensemencée par l’amour, c’est l’amitié. Regardez vos vignes, regardez vos vies : là où il y a l’amitié, tous les espoirs sont permis. L’amitié établit un nouveau type de relation entre les humains ; elle permet les partages les plus riches. Dans la joie elle conduit à la fête, dans la peine elle assure le soutien, dans la souffrance elle appelle la solidarité, dans la passion elle ouvre à toutes les audaces…
Mais l’amitié est bien plus qu’une excellente façon de vivre en société. Elle est aussi la base de la vie du peuple nouveau. Elle nous exprime ce que nous sommes pour Dieu. Si on n’imagine pas le maître d’une vigne poser son bras autour du cou de ses ouvriers, on ose désormais découvrir un Dieu qui nous apprend à être fils et qui entoure de sa tendresse chacun de ses disciples : Dieu, ami des hommes !
Regardez cette icône de l’amitié ! Le bras de Jésus est totalement disproportionné pour aller entourer l’épaule de ce disciple inconnu. Ce peut être vous, ce peut être moi. Les anciens ont imagé ainsi la parole de Jésus : « je ne vous appelle plus mes serviteurs, je vous appelle mes amis » !
Cette icône est devenue le symbole de la communauté œcuménique de Taizé en pèlerinage d’amitié et de confiance parmi nous.
Cette image qui a fait le tour de la Suisse romande exprime que l’amitié est le fruit de notre vigne commune. Plus de compétition entre les vignobles de Neuchâtel, de Genève, de Vaud ou du Valais… Cette vigne est devenue le lieu du don de Dieu pour tous : elle a donné naissance à tant de générosité et surtout à la fête.
Les 30.000 jeunes de l’Europe nous ont fait découvrir les trésors de nos communautés chrétiennes : l’accueil, la compréhension, le don de soi, la confiance, la réconciliation…
Ces cépages si différents et si originaux ont permis les meilleurs assemblages. Quand l’amitié de Dieu est reçue et communiquée aux autres, alors le fruit de la vigne devient le vin de l’alliance nouvelle et éternelle.
Ces jeunes nous ont fait aimer notre vigne parce qu’ils nous ont conduits à y rencontrer le Père. Cette icône est donc aussi l’expression de ce que nous sommes devenus : filles et fils, capables de vivre l’amitié dans nos communautés diverses et variées.
Quelle joie d’y boire le vin de l’amitié !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *