Messe de la Sainte Trinité

 

Chanoine Gabriel Ispérian, à l’Abbaye de Saint-Maurice, le 26 mai 2002

Lectures bibliques : Exode 34, 4-9; 2 Corinthiens 13, 11-13; Jean 3, 16-18

Avec quel manque de respect, avec quelle légèreté prétentieuse nous arrive-t-il de parler de Dieu, de penser à lui, d’entendre parler de lui. Il y a là quelque chose de révélateur et d’inquiétant tout ensemble.

Quelque chose de révélateur. Car notre pensée et notre langage prouvent ainsi qu’il ne peuvent atteindre vraiment celui dont nous parlons; la plupart du temps, nous n’évoquons qu’une idole de notre fabrication. Saint Augustin disait dans un sermon : « Nous parlons de Dieu, qu’y a-t-il d’étonnant si tu ne comprends pas ? Si tu comprends, en effet, ce n’est pas Dieu ». (s. 117-3.5). Et au deuxième siècle, saint Justin, philosophe païen converti, écrivait : « Le mot Dieu n’est pas un nom, mais une approximation naturelle à l’homme pour désigner une réalité inexplicable ». Retenons la formule.

Quelque chose d’inquiétant. Car enfin, l’univers entier avec tout ce qui le constitue, notre propre être personnel sont-ils notre œuvre ? En sommes-nous les maîtres absolus ? Ma vie, je l’ai reçue de mes parents, certes, mais elle a une origine nécessairement transcendante, digne d’un souverain respect.

Nous fêtons aujourd’hui l’éblouissant mystère de la Trinité-Dieu qui seule rend compte de notre être, de notre vie, de notre avenir absolu. Notre Dieu est Trinité, seule la Trinité est Dieu. Nos mots humains, nos concepts, ressemblent à la fusée qui largue un satellite, après quoi elle se désagrège. Oui, nos mots et nos concepts doivent eux aussi se désagréger et mourir s’ils veulent nous conduire plus loin, au-delà d’eux-mêmes. « Une approximation disait Justin : on s’approche de ce que l’on n’atteint pas ». « Homme, j’ai voulu parler de Dieu » dit encore saint Augustin, et il ajoute « Mais il est si grand que parler de lui est impossible et que par ailleurs c’est un devoir de ne pas garder le silence ». (s. 225, 3).

Rappelez-vous le début de l’évangile selon saint Jean : Au commencement était le Verbe ». Cela signifie que depuis il y a celui qui est aimé, le Fils; ce qui nous renvoie à celui qui aime : le Père. « Et le verbe était auprès de Dieu », plus littéralement traduit : Et le Verbe était élan, tension vers Dieu. « Etait le Verbe était Dieu ». De plus, l’amour qui engendre le Fils, l’amour du Fils pour le Père a une telle intensité, une telle plénitude qu’il est quelqu’un : l’Esprit-Saint.

Si Dieu est au-delà de nos concepts, l’unité, la multiplicité en Dieu se présentent autrement que dans le monde créé. En Dieu l’unité des personnes est celle de l’amour unique, qui est génération et communion.

Dire que Dieu est Trinité fait souvent naître le sentiment que c’est là une précision superflue et inutile, d’autant plus qu’elle est incompréhensible. Mais il ne s’agit pas d’une affirmation humaine, il s’agit d’une Révélation divine, c’est-à-dire de la Présence, rendue sensible, de l’intimité humaine de Dieu qui s’exprime dans l’intimité humaine de Jésus. Si vous ne croyez pas lorsque je vous dis les choses de la terre, comment croiriez-vous si je vous disais les choses du ciel ! (Jn 3, 12) ce sont les mots de Notre Seigneur à Nicodème.

En hébreu, « être » c’est être-avec-quelqu’un, être-vers-quelqu’un., Le verbe « être » implique toujours une relation. Dans la Bible, une parole de Dieu revient régulièrement. Je suis avec toi ou encore Je serai avec toi. L’expression constante qui évoque l’Alliance est Je serai ton Dieu, tu seras mon peuple. Dieu est relation à son peuple et réciproquement : Mon Bien-Aimé est à moi et je suis à lui. A Noël nous fêtons l’Emmanuel. Dieu-avec-nous, et avant de quitter les siens Jésus les rassure en disant : Je serai avec vous tous les jours.

Si donc « être » implique toujours une relation, comment n’en serait-il pas de même dans la vie intime de Celui qui « est » par excellence ? La vie intime de Dieu, révélée par Jésus dans la puissance de l’Esprit, est trinitaire : entièrement don, accueil, communion.

En conséquence, créé à l’image de Dieu-Trinité, l’homme n’ « est » vraiment que dans la mesure où il se fait communion. Voilà pourquoi la Bible nous apprend que c’est inséparablement l’homme et la femme qui constituent l’image de Dieu. L’homme est pour la femme, la femme est pour l’homme un appel, une invitation, une exigence permanentes : ils s’appellent mutuellement – et là réside leur vocation à un authentique amour – à sortir de leur immersion dans l’espèce pour s’élever à la dignité si singulière de la personne, devenant ainsi véritable image de Dieu-Trinité par l’affirmation de soi et l’oubli total de soi dans le don, l’accueil, la communion, comme il en est en Dieu.

L’unique commandement : la charité, appartient donc à la structure même de notre être humain selon la révélation; notre existence doit être écho, reflet de la communion trinitaire. Nous sommes appelés à vivre cette Paix qui est Dieu comme des frères bien-aimés et bien-aimants. Aimés par le Père, sauvés par le Fils, habités et conduits par l’Esprit. Leursœuvres à tous trois sont absolument communes car ils sont absolument inséparables.

L’Eglise, constituée d’hommes et de femmes appartenant à toute race, peuple et nation, est appelée à n’avoir qu’un cœur et qu’une âme. Elle est le peuple de Dieu qui tire son unité multiforme de l’unité dynamique du Père, du Fils et de l’Esprit. Aussi l’Eglise a-t-elle pour mission de susciter la communion des hommes entre eux et avec la Trinité sainte.

Unis les uns aux autres dans le Christ, puissions-nous faire nôtre, en vérité, le chant du prêtre : Par lui, avec lui et en lui, à toi le Père tout-puissant, dans l’unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire pour les siècles. Amen.

 

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