Messe de la Fête-Dieu

 

Père Jacques Cornet, à l’église de Villars-le-Terroir (VD), le 18 juin 2006
Lectures bibliques : Exode 24, 3-8; Hébreux 9,11-15, Marc 14, 12-26 – Année B

Lorsque nous célébrons une fête du Christ, nous commémorons habituellement un événement historique de la vie de Jésus : il en est ainsi à Noël, à Pâques, à l’Ascension… Aujourd’hui, la célébration de la fête du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ ne se situe pas dans le même ordre. C’est le Jeudi-Saint que nous commémorons l’institution de l’Eucharistie. La fête d’aujourd’hui évoque notre conviction chrétienne en la présence réelle du Christ Vivant dans le Pain de Vie et le Vin de communion. Elle nous rappelle que, par l’action de l’Esprit-Saint et par les paroles prononcées par le prêtre, au nom du Christ et de l’Eglise, sur le pain et le vin, nous sommes vraiment en présence du Corps et du Sang du Christ ressuscité et glorieux. Les paroles que Jésus prononce au soir de la Cène et que nous rapporte l’évangile de ce jour sont des paroles fortes : « Ceci est mon corps »; « Ceci est mon sang ». Lorsqu’elles sont redites par le célébrant au cours de la messe, dans l’obéissance à l’ordre de Jésus : « Faites cela en mémoire de moi » (Lc 22,19), c’est-à-dire, « refaites-le comme je l’ai fait », ce n’est pas une évocation symbolique de la venue du Christ Jésus et de sa présence, mais la réalité sacramentelle de son Corps livré et de son Sang versé, sous les espèces du pain et du vin.

Depuis le XIIIème siècle, la fête du Saint-Sacrement que nous célébrons aujourd’hui, appelée couramment « Fête-Dieu », a véhiculé la dévotion et la foi de nombreuses générations en Jésus-Eucharistie. Une fête qui a aidé un peuple immense à faire mémoire. Elle nous oriente vers ce qui fait le cœur de l’Eglise et que le Concile Vatican II qualifie de « source et sommet de toute la vie chrétienne » (LG 11). L’Eucharistie perpétue ainsi la présence du Christ au milieu de son peuple, et réalise la promesse que Jésus fait à ses apôtres : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » (Mt 28,20).

La célébration eucharistique en effet ne fait pas qu’évoquer un souvenir, un événement du passé, mais elle actualise, rend présent le geste même du Christ qui, le soir du Jeudi-Saint, anticipe le sacrifice de sa vie remise au Père pour le salut de tous les hommes : »Poussé par l’Esprit éternel, nous dit la Lettre aux Hébreux, Jésus s’est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache… » Aussi l’Eucharistie est-elle un repas sacrificiel, profondément lié au sacrifice de la croix. Dans une de ses dernières encycliques, le Pape Jean-Paul II écrivait : « Quand l’Eglise célèbre l’Eucharistie, mémorial de la mort et de la résurrection de son Seigneur, cet événement central du salut est rendu réellement présent… Ce sacrifice est tellement décisif pour le salut du genre humain que Jésus-Christ ne l’a accompli et n’est retourné vers le Père qu’après nous avoir laissé le moyen d’y participer comme si nous avions été présents » (« Ecclesia de Eucharistia » § 11). L’Eucharistie n’est donc pas un simple repas de convivialité fraternelle comme le serait le partage d’un repas entre amis. Elle est offrande du sacrifice du Christ rendu présent, et participation à ce sacrifice.

En ce jour de fête, nous sommes appelés à remercier Dieu pour le don de l’Eucharistie que Jésus nous a fait la veille de sa mort. Animés d’une profonde reconnaissance, nous sommes invités à contempler le Christ présent dans ces signes du mystère de la foi. Nous sommes invités à « savourer » ce que nous vivons dans chaque célébration eucharistique. Car elle est le « don par excellence » de la personne même du Christ en son humanité et en son œuvre de salut. Nous sommes conviés à adorer le Christ vivant, déjà venu et encore à venir, et toujours présent dans son Corps qu’est l’Eglise.

Les textes de la liturgie de cette fête dont nous avons entendu la lecture, soulignent particulièrement l’Alliance que Dieu a établie avec les hommes : Alliance avec le peuple d’Israël qui s’engage à « mettre en pratique » la Loi qui a été remise à Moïse au Sinaï, et que scelle le rite de l’aspersion avec le sang; Nouvelle Alliance avec la multitude des hommes, scellée par le sang versé du Christ, dont chaque eucharistie est le renouvellement. Participer à l’Eucharistie, y communier, c’est accueillir cette Alliance non pas seulement de façon rituelle, mais dans le but de chercher à vivre ce que nous célébrons. Dans ce rite institué par le Christ, et que nous renouvelons à chaque célébration eucharistique, c’est l’amour du Christ, son existence totalement offerte qui nous sont à la fois signifiés et communiqués; c’est toute la richesse du Christ qui nous est donnée, un don d’amour qui devient nourriture…

Le don du Christ et sa présence réelle sont au service du corps que nous sommes appelés à être et que saint Paul n’hésite pas à appeler « Corps du Christ » (1 Co 12,27), je veux dire l’Eglise. Commentant la profession de foi que nous sommes invités à exprimer chaque fois que nous nous approchons pour recevoir l’Eucharistie, Saint Augustin écrivait ceci :  » C’est votre mystère que vous recevez. C’est à l’affirmation de ce que vous êtes que vous répondez ‘Amen’. Et votre réponse est comme votre signature. Soyez donc membres du Corps du Christ pour que soit vrai votre Amen… Soyez ce que vous voyez et recevez ce que vous êtes » (Sermon sur le Corps du Christ). L’Eucharistie n’est donc pas une communion en solitaire avec Dieu, elle est une parabole de partage, et c’est pourquoi en même temps que « L’Eucharistie édifie l’Eglise », « L’Eglise vit de l’Eucharistie ». Nourris du Corps du Christ, nous renforçons la communion entre les membres de notre communauté et de toute l’Eglise pour ne faire qu’un, ainsi que l’écrit Saint Paul : « Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain » (1 Co 10,17).

Communiant à un tel don, à un tel signe d’amour, dans la mesure où nous restons ouverts et disponibles à la grâce qui nous est faite, nous ne demeurons pas insensibles, et nous voilà nous aussi entraînés, à la suite de Jésus, à faire don de nous-mêmes, à devenir, comme les premiers disciples, des témoins du Christ ressuscité en tous lieux de notre vie. Nous pouvons y apporter l’amour même du Christ, attentifs à devenir des artisans de paix, à nous montrer solidaires particulièrement des plus démunis, à collaborer à l’édification d’une société plus juste, plus humaine, plus en harmonie avec le projet de Dieu.

C’est dans l’Eucharistie que nous pouvons puiser nos forces : elle est Source de vie. Négliger de s’y approcher, négliger de la célébrer, négliger d’y participer, c’est prendre le risque de laisser notre foi s’affadir, c’est prendre le risque de nous éloigner peu à peu de Dieu qui nous deviendra étranger.

En cette fête du Corps et du Sang du Christ, redécouvrons et reconnaissons en ces signes du pain et du vin l’amour infini du Christ qui ne cesse de se donner pour que nous vivions.

 

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