Célébration oecuménique du Jeûne fédéral

 

Pasteur Philippe Morel, à l’église Saint-Jean, Echallens, VD, le 16 septembre 2007  – Année C

Qu’est-ce que c’est des fruits durables ?
Est-ce ces fruits séchés ? Cette conserve d’ananas ?
Ou cette grappe de raisin cultivée avec amour par mon cousin vigneron ?
 
Nous avons rassemblé les fruits de la terre, les fruits de nos vies, les fruits de nos communautés, pour former une magnifique grappe, mais quels sont les fruits durables de cette grappe ? La réponse n’est pas évidente parce que Jésus ne nous donne ni une description du fruit durable, ni ne fait une liste exhaustive de ceux-ci.

Le fruit durable, je crois que c’est celui-ci : couper la grappe et en manger un grain. Prendre le temps de le savourer.

Le fruit durable, ce n’est pas l’héritage laissé par la vieille tante d’Amérique, ou les cadeaux de mes copains, ou l’augmentation donnée par mon patron, ou ma nomination comme président d’honneur, ou ma maison construite de mes mains. Ce n’est pas davantage de réussir à impressionner l’autre par nos paroles, briller par notre éloquence ou même notre sagesse. Le fruit durable n’est pas ce que j’ai réussi à créer pour qu’on se rappelle de moi avec reconnaissance et une larme au coin de l’œil le jour où je ne serai plus là.

Le fruit durable, c’est une parole qui passe, c’est un regard de quelques dixièmes de seconde,  c’est un silence, c’est un verre d’eau, c’est le temps de l’écoute, c’est une main amicale.  C’est peu et tout.
C’est peu parce que ce n’est pas le fruit de mes efforts, des « il faut », des « y a qu’à », de la mafia intérieure de la culpabilité : je ne maîtrise pas la production de fruits durables. Souvent ils passent inaperçus pour le producteur.
C’est tout parce que à celui qui le cueille ou le reçoit, le fruit durable donne la vie. Il est marquant, il laisse une trace, on s’en souvient,  parce qu’il a apporté un élan, il m’a sorti d’une impasse, il m’a tiré d’un mauvais pas, il a changé quelque chose pour moi en faveur de la vie.

Jésus ne fait ni une description ni une liste des fruits durables, mais il nous donne deux injonctions pour permettre à nos vies de porter du fruit durable, deux paroles qui se répètent dans ce passage de l’Evangile de Jean : « demeurer en Jésus » et « aimer son prochain ».

Qu’est-ce que cela veut dire de demeurer en Jésus ?

Demeurer en Jésus, c’est d’abord laisser Jésus demeurer en moi. « Je vous aime, dit Jésus, c’est moi qui vous ai choisi. »
Lors d’une semaine de prière pour l’unité des chrétiens, nous avions suspendu une immense croix au centre de nous tous.
Ce n’était pas la croix que je fixe au mur ou que je suspends à mon cou, cette croix descendait au milieu de nous.

Laisser Jésus demeurer en moi, c’est laisser la croix descendre en moi, laisser parler la croix en moi : que me dit la croix de Jésus ? que me dit l’existence de Jésus ? Pour moi, elle m’assure d’un amour fou que Dieu me porte.  Dieu s’approche des hommes, de moi, les bras ouverts, grands ouverts, les bras de Jésus sur la Croix.

Je suis aimé gratuitement, sans marchandage, sans que Dieu ait besoin de mon amour, de ma considération, ou de se servir de moi. Demeurer en Jésus, c’est d’abord laisser Jésus demeurer en moi, l’écouter me dire « Philippe, je t’aime,  tu es précieux pour moi ».
Et c’est justement quand j’ai accepté d’écouter cette voix, dans un camp de jeunes en France,  que j’ai reçu de mon pasteur cette parole que nous venons d’entendre : « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis », verset inscrit à la première page de ma Bible de catéchisme presque en lettres d’or. Et bien, cette parole m’a posé beaucoup de problèmes : Si je laisse Jésus demeurer en moi, alors pour demeurer en lui, il faut que je meure comme lui. Est-ce un appel au sacrifice, au martyre ou à je ne sais quelle performance réservée à quelques saints triés sur le volet comme saint François d’Assise ?
Comment concrétiser cette parole de « donner sa vie pour ses amis » ? 

Cette parole, elle évoque une autre parole que vous connaissez tous de Jésus : « aimez–vous les uns les autres » ou « aime ton prochain comme toi-même ».

De cette parole-là, on s’en réclame volontiers, elle est toujours dans un coin de notre mémoire, ou mieux de notre coeur. On essaye de l’appliquer : il faut être bon, gentil, rendre service. Mais est-ce tout ? Est-ce cela l’amour de Dieu ? Le but est-il de vivre en paix, pourvu que je ne dérange personne et que les autres ne me dérangent pas en y mettant chacun un peu de bonne volonté ? Est-ce faire sa BA chaque matin ?

« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » : N’est-ce pas un appel à faire un pas de plus,  à oser aller plus loin. Comment ? Sur la piste que Jésus nous donne : Ce n’est pas seulement aimer les autres, mais c’est, nous dit Jésus,  « aimez–vous les uns les autres comme je vous aime ».

Demeurer en Jésus, c’est aimer comme Jésus. Je vais aimer comme Jésus sur la croix, de l’amour qui se donne pour ses amis sans contrepartie.

Le fruit durable est issu de l’amour gratuit qui n’est pas là pour faire plaisir à l’autre, qui n’est pas là pour s’approprier l’autre,
– le flatter pour qu’il nous flatte,
– l’aimer pour qu’il nous aime,
– le materner pour qu’il croie comme moi,
– le complimenter pour qu’il fasse comme moi
– le protéger pour qu’il vienne avec moi,
– lui accorder un petit subside pour qu’il vote pour moi.

Du coup, je ne vais pas forcément répondre à l’attente de l’autre, ce n’est pas un amour qui est d’accord avec tout le monde, qui mollement répond à toute demande. C’est un amour qui ne cherche pas à plaire à l’autre, à entrer dans son jeu, à répondre à son attente pour qu’en retour il m’aime.

C’est un amour libre, libre d’aimer, libre d’aller beaucoup plus loin dans l’amour, dans l’attention, dans le pardon, dans la compassion, dans la présence pour l’autre. Je me sais aimé de Dieu et ainsi je peux oser un amour qui s’engage dans le possible de donner sa vie pour autrui,  un amour qui ne compte  sur rien en retour.

Est-ce cet amour qui m’habite aujourd’hui ? qui imprègne mon cœur, me saisit, m’engage, pour toute personne, la personne assise à côté de moi peut-être inconnue, mes proches, mes amis et tout autre personne qui croise mon chemin ?

Pour porter des fruits durables, je vais m’engager dans le même pari fou de Dieu en Jésus-Christ : aimer, uniquement aimer, aimer pour rien.

Amen

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *