Messe du Pèlerinage de la Suisse romande à Lourdes

 

Abbé Pierre-Yves Maillard , à la basilique St-Pie X, Lourdes, le 15 mai 2009 (diffusion le 17 mai)
Lecture biblique : Matthieu 12, 46-50 – Année B


Dans l’imagination de mon enfance, Lourdes a toujours évoqué des mots d’images, des images de fête. On lève la tête, on regarde le ciel, on en attend toujours une promesse. Lourdes, c’est l’enlèvement d’un lieu pour un autre, c’est l’invitation au grand déplacement de la vision à la foi, de ce qui est compris à ce qui est cru. C’est ce lieu d’humilité où Marie, se révélant à la plus « petite », nous permet d’être faibles nous aussi, et désireux de nous purifier et de grandir devant Dieu. Afin de voir plus clair, afin de croire plus intelligemment, afin d’espérer plus sereinement, il faut descendre, descendre pour mieux monter.

Cette semaine, ici à Lourdes, nous avons marché sur les pas de Bernadette. A la suite de la petite voyante, nous avons réfléchi à notre vocation, à notre vie en Eglise, au sens du service et de l’eucharistie. Nous avons reçu le sacrement du pardon, et nous avons célébré l’onction des malades. Nous avons aussi, souvent, répété ces paroles toutes simples, celles du « Notre Père », celles du « Je vous salue Marie », ces paroles de l’Ange, toujours les mêmes, que nous ne nous lassons pas de redire, comme des enfants qui aiment entendre toujours la même histoire, sans y changer un mot, non par manque d’imagination, mais au contraire par surabondance de joie, car nous aimons redire que Marie est bénie, que son enfant est béni, et qu’elle prie pour nous.

Aujourd’hui, il nous faut repartir. C’est tôt. Un peu comme Marie, en fait, qui s’est retirée très tôt de la vision de Bernadette, au terme des 18 apparitions de 1858. On peut même s’étonner de cette rapidité. Ce départ n’est-il pas précipité ? C’est, il est vrai, sur une insécurité évidente, sur une méfiance largement partagée par ses contemporains, sur une compréhension mal assise de ce qui se passe, que Bernadette est laissée presque seule avec son message d’espérance, au milieu de la foule des curieux et des incrédules. Quelle est donc cette logique de la Providence ? Risque calculé, ou géniale improvisation ? Dieu ne réfléchit pas en ces termes. Ceux-ci relèvent trop d’une logique de la planification, qui tiendrait compte des pourcentages d’assurances et de risques, de réussite et d’échec, d’atouts et de malchance. Avons-nous, nous-mêmes, cherché à planifier ainsi notre vie ? Non. Nous nous sommes appuyés, comme nous nous appuyons ici ce matin, sur la dynamique d’une promesse. Sur un Esprit qui doit venir. Le point d’ancrage, pour nous comme pour Bernadette, est en avant, et non en arrière. Les signes jaillissent devant, et non derrière. C’est cela, l’aventure de la foi ; ce fut notre choix.

Au terme d’une retraite prêchée dans un Foyer de charité, une religieuse me confia qu’après une telle semaine « elle était un autre homme ». J’ignore si la transformation doit aller jusque là… Mais à la fin de ce pèlerinage, je souhaite que nous puissions, chacun, chacune, repartir chez nous avec une espérance renouvelée. Trop naturellement, le chrétien est peut-être trop prudent, d’une prudence qui voudrait que tout soit calculé avant de courir l’aventure de la foi, et qui voudrait assurer la moisson avant de risquer les semailles. Si nous attendons la perfection des rites et du langage, ou la nôtre et celle de nos frères, pour répondre à l’appel de Dieu, quand serons-nous prêts ? Comme Bernadette au lendemain des apparitions, nous nous sentons peut-être encore bien fragiles. Mais comme elle, nous savons aussi que ce qui fait le vrai disciple, c’est moins le privilège d’un destin exceptionnel que la simple volonté de suivre Jésus-Christ. L’évangile de ce jour nous l’a rappelé : la dignité de Marie elle-même tient avant tout à son accomplissement de la volonté du Père, et le plus humble disciple est promis à devenir frère, sœur et même mère de Jésus : comment mieux dire que nous pouvons tous, là où nous sommes, continuer à enfanter à la vie nouvelle ceux qui partagent notre foi dans le Christ ?

L’évangélisation ne se réduit pas à l’extension d’un tissu clérical. Pour continuer à être frères, sœurs et mère de Jésus, il nous faut informer le monde d’une Parole, lui insuffler un langage neuf, le travailler d’un levain, pour que prenne forme, et lève, le Règne de Dieu au milieu du monde. Il nous faut confesser une foi qui n’est pas une démonstration, mais une vérité qui permet de se tenir dans la joie qui demeure, c’est-à-dire qui a pu traverser les drames, dans l’assurance que notre quête est toujours accompagnée par un Autre. Et croire que Dieu continue d’être présent en toute vie qui l’accueille, fragile, inespérée, bien réelle.
Amen.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *