Messe du 8e dimanche du temps ordinaire

 

 

Père Pierre Emonet, sj, au Foyer de Charité « Dents du Midi », Bex, le 26 février 2006
Lectures bibliques : Osée 2, 16-22; 2 Corinthiens 3, 1-6; Marc 2, 18-22 – Année B

Voilà une scène bien contrastée, comme en voit souvent dans les évangiles, lorsqu’il en va de l’originalité du message chrétien. D’un côté les Pharisiens et les disciples de Jean-Baptiste, des gens pieux et austères, pratiquants exemplaires, fidèles observateurs des traditions religieuses, qui jeûnent deux fois par semaine. De l’autre, Jésus et ses disciples, des gens plutôt joyeux, qui mangent et boivent avec bonheur sans trop se poser de questions, au grand scandale des bien pensants, qui n’avaient pas hésité à traiter Jésus de glouton et de buveur.

Comment dès lors expliquer cette apparente désinvolture de Jésus envers des pratiques traditionnelles. La question lui est adressée non sans une pointe polémique.

Pour se justifier, Jésus va rejoindre ses interlocuteurs sur leur propre terrain en les renvoyant à une image qui leur est familière, la métaphore du mariage ou de l’Alliance conjugale, utilisée par les prophètes pour expliquer les relations entre Dieu et le peuple juif (cf. la première lecture du prophète Osée). Avec une force tranquille il affirme que ce que les prophètes annonçaient est en train de se réaliser : sa vie, son enseignement et les miracles qui l’authentifient ne sont-ils pas le signe que Dieu est au milieu de son peuple ? que l’Alliance est réalisée ? que l’époux est là ? Si tel est bien le cas, alors c’est le temps de la noce, le moment de faire la fête, et non pas de faire pénitence.

Réaliste, Jésus sait pertinemment qu’il y aura des séparations, qu’un jour l’époux sera enlevé, que les disciples lui seront infidèles et le renieront. Il sera temps alors de se désoler et de faire pénitence, de jeûner pour pleurer une absence ou une relation rompue.

Jésus invite à revoir notre conception du jeûne et de la pénitence. Une leçon qu’il est bon de recueillir au moment d’entrer en carême. C’est la qualité de notre relation au Seigneur qui détermine la pratique du jeûne et de la pénitence. Le chrétien ne jeûne pas pour faire un exploit comme les ascètes de certaines religions, ni par hygiène comme cela est devenu une mode, encore moins pour se donner bonne conscience comme Tartuffe. Il pratique le jeûne, il fait pénitence pour trouver une meilleure relation avec le Seigneur, pour se libérer de ce qui l’éloigne du Christ.

Aussi longtemps que le disciple est avec le Seigneur, que l’entente est bonne et la fidélité entière, c’est la fête, la joie de vivre, le bonheur d’une présence aimante, qui rassure et pardonne, qui porte et qui protège. Jésus présent, les disciples mangeaient et buvaient au grand scandale des esprits chagrins qui ne comprenaient pas que l’Evangile est une bonne nouvelle, une invitation à une noce et pas à un enterrement.

Lorsque le Seigneur ne sera plus là, parce qu’il leur aura été enlevé, lorsque la relation se sera détériorée, qu’il y aura du froid entre eux et le Seigneur, comme cela arrive dans tous les couples, alors le jeûne sera pleinement justifié. Pas pour faire pression sur l’époux, pour qu’il revienne, lui qui ne s’est jamais éloigné, qui est toujours resté fidèle, mais pour se libérer de tout ce qui en eux fait écran à sa présence et les empêche de vivre la proximité. Dans la première lecture, le Seigneur disait au peuple infidèle, viens, retournons au désert, le lieu du dépouillement, celui de notre première rencontre, là où nous avons fait Alliance. Dans la même ligne, Jésus dit à ses disciples : lorsque l’époux vous sera enlevé et que vous souffrirez à cause de son absence, alors vous vous débarrasserez de tout ce qui handicape la relation et lui fait obstacle ; vous jeûnerez pour vous purifier de tous ces replis sur vous mêmes, qui vous enferment dans la solitude de votre moi stérile. Car jeûner, ce n’est pas seulement sauter un repas, mais une autre manière d’aller au désert, de se quitter soi-même, pour redevenir capable d’accueillir l’autre.

Aux Pharisiens et à tous les timorés qui seraient tentés de se méfier d’une religion joyeuse au nom d’anciennes traditions, et qui, prisonniers d’une spiritualité piétiste et légaliste, auraient quelque scrupule à vivre dans la joie, Jésus oppose la bonne nouvelle messianique, celle de sa propre présence. La dernière petite parabole est éloquente : le vin nouveau c’est sa présence. Ce vin nouveau ne peut pas être versé dans des vieux récipients usés, la bonne nouvelle de la présence du Christ ne peut pas être véhiculée par les vieilles traditions qui célébraient l’attente et l’absence. A tous ceux qui se méfient d’un christianisme joyeux, Jésus dit : ne faites pas de rafistolage, ayez le courage de tourner la page. A vin nouveau, outres nouvelles.

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