Messe du 7ème dimanche de Pâques

 

Abbé Bernard Sonney , église Saint-Maurice, Pully, le 20 mai 2007
Lectures bibliques :
Actes 7, 55-60; Apocalypse 22, 12-20; Jean 17, 20-26 – Année C

Il ne suffit pas de se faire la bise, ni de se tutoyer pour que l’unité soit d’emblée consommée. D’instinct, l’homme entre en compétition avec son semblable. Pressenti pour être partenaire, il devient trop souvent rival. Nous savons à quoi cela peut aboutir. Jésus Christ le sait aussi. Alors, à la veille de sa mort, il prie le Père pour que « tous soient un ».

De manière immédiate, et plutôt dramatique, tous ne vont faire qu’un… dans l’hostilité à l’égard de Jésus. Le récit de la passion selon saint Luc nous apprend cette chose stupéfiante : « Ce jour-là, Hérode et Pilate devinrent des amis, alors qu’auparavant ils étaient ennemis » Lc 23,12. Et les chefs des prêtres, les dirigeants et le peuple unirent leurs voix pour crier tous ensemble : « Mort à cet homme ! ». Quelle violente unanimité !

La nature est ainsi faite qu’un enfant ne découvre réellement le danger que représente le feu, que, lorsque, désobéissant à ses parents, il touche ce qu’il ne doit pas toucher et verse des larmes à sa première brûlure. C’est aussi à la vue de Jésus crucifié que nous prenons conscience de l’ampleur de notre péché. Je prononce ce mot « péché » en tremblant. Il est chargé d’un si lourd passé. Il n’en demeure pas moins d’actualité. Il peut faire sourire ou bondir. Deux façon d’esquiver la réalité ! Il n’empêche que la croix ne s’est pas dressée toute seule et que Jésus ne s’y est pas agrippé de sa propre volonté. Toute la violence que nous portons en nous l’a crucifié. Le péché, toujours, provoque une rupture, une fracture. Il ne sait que diviser et isoler. Songez, par exemple, au mensonge ou à l’égoïsme ! Sous l’emprise du péché, le courant est coupé, les relations, faussées ou brisées. Alors, Dieu est nié et l’homme en est profondément blessé.

Ne nous sentons-nous pas, si souvent, tiraillés, écartelés, divisés ? Nous sommes tous animés d’un authentique désir de communion – en d’autre terme, d’unité. Mais voilà que ce désir se heurte, en nous, à une résistance. Nous avons peur de nous perdre dans l’ouverture aux autres, dans l’offrande de nous-mêmes qu’induit la réalisation de l’unité. Impossible de s’associer à d’autres dans l’unique but de s’imposer, voire de les écraser ! L’unité véritable, au sein d’un groupe, implique un certain don de soi-même de la part de chacun. C’est une évidence. Et, parfois, un constat d’échec !

Alors Jésus Christ s’engage à fond là où nous échouons. Il dépasse les peurs sur lesquelles nous nous figeons. Il confirme bel et bien ce que nous craignons : toute communion véritable suppose une certaine « perte » de soi-même. Mais il désamorce aussi cette crainte en franchissant les limites derrière lesquelles nous nous sommes toujours réfugiés. Oui, Jésus va jusqu’au bout en donnant tout. C’est le message de la croix. Mais, en retour, il reçoit du Père sa vie… nouvelle à tout jamais de la nouveauté de Pâques. Il reçoit la grâce d’exister désormais par lui, le Père, et en lui. Jésus a tout donné et il n’a rien perdu. Ce qu’il a remis entre les mains du Père, il l’a reçu multiplié à l’infini de l’amour.
Sa confiance, sa foi en son Père l’a emporté sur toutes les peurs que Jésus a pu ou dû ressentir. La résurrection atteste, consacre – à nos yeux – l’unité du Père et du Fils que rien ne peut altérer. L’invitation nous est adressée à vivre de leur unité.

Evidemment, nous ne nous appelons pas tous Jésus. Nous sommes ce que nous sommes avec nos élans, certes, mais également avec nos pesanteurs. Mais ce vide que nous avons parfois l’impression de creuser entre Dieu le Père et nous-mêmes, Jésus est venu, Jésus vient le réduire et le combler. Dans sa chair et dans son cœur, il supprime la distance apparue sous l’impact du péché. Il nous rejoint. En lui, nous sommes réconciliés. Ce que Jésus résume dans ces simples mots : « moi en eux, et toi en moi ».

La vue d’ensemble est harmonieuse, prometteuse. Le détail nous laisse encore songeurs. Nous mettons quelques bémols. Effectivement, nous jouons souvent avec des instruments désaccordés. Qu’est-ce que nous serions malheureux si la parole du Christ « Que tous soient un » se limitait à ce que nous en avons pu en faire : un slogan, un leitmotiv œcuménique. Nous avons parfaitement raison de chercher à éviter les conflits, de faire tout notre possible pour surpasser les divisions et les différences naturelles. Saluons toutes ces démarches ! Mais rendons à Dieu ce qui est à Dieu ! En l’occurrence, la prière de Jésus : « Que tous soient un » ! L’unité à laquelle nous sommes appelés n’est pas façonnée de mains d’hommes. Elle est don de Dieu. La pluie ne nous demande pas notre avis pour nous arroser. L’unité, telle qu’elle se dessine dans la prière de Jésus, respecte et sollicite notre accord donné en toute liberté. Pour qu’il y ait don, il faut être deux.

Tout au long de l’histoire, Dieu – selon le témoignage de la Bible – se fait connaître comme un Dieu de relation et d’alliance. Et voilà que Jésus révèle le mystère divin ‘de l’intérieur‘. Dieu est, en lui-même, relation, alliance, communion. C’est dire que l’unité sur la terre – toute forme de concrétisation de l’unité – participe de l’unité du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. La relation de Dieu avec l’homme, en Jésus Christ et dans l’Esprit, le transforme – disons : le transfigure.. Ainsi l’unité peut se créer de l’intérieur, dans le respect de chaque personne. Oui, chaque personne – unique, irremplaçable – est appelée à vivre son originalité en la déployant dans ses relations aux autres, en vue d’une véritable communion. Voilà, une addition de mots aussi beaux qu’impressionnants ! Seul l’Esprit du Seigneur peut leur donner une consistance dans notre existence. Et il le fait. De mille manières ! Dimanche l’illustre bien puisqu’il s’agit du dimanche des media. Que d’instruments précieux pour communiquer, pour nous faire découvrir les autres, pour nous permettre de les comprendre, de les apprécier et les aimer ! A l’inverse, ils peuvent aussi exacerber les tensions, susciter la violence, diviser et détruire. Les media sont ce que nous en faisons. L’Eglise a sa place dans l’univers de la communication et de l’information. Elle se fait l’écho de l’évangile. Elle lutte contre la désinformation. Elle révèle le meilleur en chacun et l’incite à le développer et à le partager. En ce moment-même, l’Eglise nous relie au Seigneur d’un lien privilégié qui nourrit dans l’eucharistie notre désir d’unité. Amen.

 

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