Messe du 5e dimanche ordinaire

 

Abbé François-Xavier Amherdt, à l’hôpital de Sierre, VS, le 8 février 2004.

Lectures bibliques : Isaïe 6, 1-8; Luc 5, 1-11

SANCTUS

« Sanctus, Heilig, Hagios, Svyatif, Holy, Saint, Santo, Qadosh ». Quelle que soit la langue utilisée, l’hébreu, le grec, le latin ou le slavon, le français, l’anglais, l’allemand ou l’italien, chaque eucharistie comporte un « Saint le Seigneur » au seuil de la prière eucharistique.

Les chanteurs du Chœur Mixte de Sainte-Croix, qui animent cette liturgie radiodiffusée depuis l’aula de l’hôpital de Sierre, ne feront bien sûr pas exception. Ils entonneront tout à l’heure, après la Préface solennelle, au moment d’aborder la seconde table, celle du repas sacré, un triple « Sanctus » de Menschnik, en polyphonie latine néo-classique.

 

Dans le Temple

Savent-ils, savons-nous que cette hymne de la messe provient tout droit de l’Ancien Testament ? Ou plutôt du ciel même, puisque c’est le cri que les séraphins, les anges brûlants, selon l’étymologie du terme, font retentir à trois reprises dans le temple, lorsque le prophète Isaïe y est introduit par privilège visionnaire, afin de contempler la majesté de Yahvé.

 

Et dire qu’à chaque célébration, lorsque la chorale et l’assemblée proclament le Sanctus, nous sommes directement branchés sur le ciel. En une liaison hifi, hight fidelity, d’encore plus haute fidélité que celle des ondes de la Radio Suisse Romande, ce qui n’est pas peu dire !

 

Quand on pense qu’à chaque eucharistie, la plus humble, la plus « plate », la plus banale, les fidèles sont plongés, par la grâce du mémorial, au cœur du mystère de Dieu : « Saint, Saint, Saint, le Seigneur Dieu de l’univers. Toute la terre est remplie de sa gloire. La terre comme le ciel. D’un bout à l’autre du monde galactique. »

 

Indignes

A y bien réfléchir, cette perspective infinie aurait de quoi nous effrayer, nous écraser. Nous, si petits, grains de poussière dans l’univers, mis en présence du Dieu trois fois saint. Saint, c’est-à-dire Tout-Autre, absolument pur, tellement étranger à nos limites, à nos bassesses. Tellement hors de notre portée, de notre atteinte, de notre intelligence. Ses pensées sont au-delà de nos pensées, aussi loin que l’Orient l’est de l’Occident. Il est le Transcendant, le Parfait, le Maître de l’Histoire et du Temps.

 

On comprend que le petit Isaïe ait eu peur et se soit senti tout perdu. C’est le cas pour l’homme de l’Ancien Testament, chaque fois qu’il se trouve en présence d’une théophanie, c’est-à-dire de la manifestation même du Seigneur. Un peu comme lorsque nous regardons le soleil en face et que notre regard ne tient pas le choc. Ou que nous sommes éblouis par une beauté tellement somptueuse que nous finissons par tourner la tête, car nous « n’en croyons pas nos yeux ». Ou comme si Dieu représentait dix mille litres et que nous voudrions l’accueillir en nous avec notre petit pichet de trois décis.

 

« Malheur à moi, je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures. Et mes yeux, mes pauvres yeux, ont vu le Roi de l’univers », s’exclame Isaïe. « Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur », s’écrie à son tour Pierre, la crainte aux entrailles devant la quantité infinie de poissons que celui qu’il avait appelé « Maître », Jésus, leur avait permis de prendre, à lui et à ses compagnons, après une nuit de vains efforts. Il est saisi d’effroi, du fait qu’il mesure le fossé le séparant, lui le fruste pécheur de Galilée, du Rabbi de Nazareth. Il s’en souviendra encore la nuit de la Passion, lorsqu’il reniera trois fois celui qui l’avait appelé à sa suite, au point d’en pleurer amèrement.

 

Un charbon brûlant

Malheur à nous, pauvres pécheurs de l’an 2000 ! Nous ne sommes pas davantage dignes de recevoir en nos corps le Créateur des cieux, le Sauveur de la multitude.

 

Que faire alors ? Renoncer au Sanctus ? Adriana, la directrice, en serait irritée. Interrompre cette messe ? Pascal Crittin, le patron d’Espace 2, m’en voudrait. Que faire alors ? Rien d’autre que de jeter notre confiance aux pieds du Christ, comme les disciples lancèrent leurs filets sur son ordre, le prenant au mot, en le croyant sur parole.

 

Même si nous n’avons rien pris depuis des jours, rien vécu depuis des mois, rien compris depuis des années. Même si l’enseignement du Seigneur, à distance, depuis la barque, nous paraît plus lointain que jamais. Même si la maladie, ici à l’hôpital, nous travaille. Même si le grand âge nous maintient à domicile, nous empêche d’aller à l’église, nous aigrit et nous déprime. Même si, même si, …

 

Jésus à Génésareth, Jésus au lac de Géronde, Jésus au bord du Léman, à Morat, à Neuchâtel, à Bienne, à Joux, à Gruyère, … nous promet un fameux coup de filet. Pas pour attraper des trafiquants de drogue, comme les polices helvétiques. Non, d’abord pour nous laisser saisir nous-mêmes dans le filet de l’Église, tirer des bas-fonds du mal, extraire des abîmes du péché et de la mélancolie.

 

Puis pour devenir à notre tour des pêcheurs d’hommes, des disciples du Ressuscité qui lancent la Parole autour de nous, des témoins de l’impossible auprès de nos proches. Car le Tout-Autre s’est fait tout proche. Il nous a rejoint. Il est avec nous sur la barque, dans le chœur, dans cette aula. N’ayons pas peur ! Que viennent donc sur nous les chérubins, chantés en slavon, la langue des anges ! Qu’ils se munissent d’un charbon ardent ! Qu’ils touchent nos lèvres, et, comme pour Isaïe dans sa vision, qu’ils brûlent nos péchés, purifient nos bouches et sanctifient nos voix !

 

« Ige cheruvimi !  » Arrivez, séraphins célestes, par le miracle des ondes ! Transformez les pécheurs – aigus – que nous sommes en pêcheurs – larges et circonflexes – de bonnes nouvelles. « Seigneur, je ne suis pas digne. Mais dis seulement une parole, touche simplement mes lèvres, et je serai guéri ! »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *