Messe du 4e dimanche ordinaire

 

Père Henri-Marie Couëtte, à l’abbaye de Hauterive, Posieux, FR, le 28 janvier 2001.

Lectures bibliques : Jérémie 1, 4-5.17-19; Luc 4, 21-30

 

Aucun prophète n’est bien accueilli dans son pays !… Lorsque nous écoutons l’Évangile d’aujourd’hui, nous assistons en actes à la réalisation exacte de cette constatation amère de Jésus. Même si les exégètes s’accordent à remarquer que saint Luc a probablement mêlé ici deux – et peut-être même trois – scènes ayant eu lieu à des moments différents, ce qui explique le retournement si brusque de la foule – enthousiaste au début, puis soudain si hostile – un fait reste : celui du rejet du Christ. Au sens propre, Il est Celui que le vieillard Syméon avait annoncé comme un signe en butte à la contradiction, par qui seraient dévoilées les pensées intimes de bien des cœurs (Luc 2, 34-35).

Nous n’en sommes en effet qu’aux premiers débuts de la prédication de Jésus, mais tout le drame est déjà en place : c’est le drame du refus ancré dans le cœur de l’homme… drame qui conduira Jésus à sa mort, une mort violente, à laquelle il a dû être soustrait dès ses premiers moments, face à la rage d’Hérode troublé par ce possible rival. Ainsi se vérifie le constat douloureux dressé par saint Jean : Il est venu chez lui, et les siens ne L’ont pas reçu (1,11), ou encore : même ses frères ne croyaient pas en Lui (7,5) ! Tout le ministère du Christ va se développer sous ce signe cruel du refus d’accueillir sa parole qui est vie (Jn 6,63), et du refus de sa personne et, par là même, de celui qui l’envoie, c.-à-d. le Père (cf. Jn 5,23b). Constamment traqué par ses adversaires, Il pourra déclarer sans exagération que le Fils de l’Homme n’a pas de lieu où reposer la tête (Mt 8,20).

Et donc, tout Fils de Dieu qu’Il est, il n’échappe pas au sort habituel des prophètes qui L’ont précédé. Comme eux pourtant, et en dépit des dangers, Il choisit de parler. Il faut s’arrêter un instant sur cette mystérieuse détermination car elle a quelque chose à faire avec notre propre situation. Celui qui a reçu une mission ne peut en effet se taire sans trahir ce à quoi il est appelé. Jésus en a une conscience vive et très claire, c’est pourquoi Il parle.

Comme Jérémie que nous avons rencontré dans la première lecture, Il sait qu’Il doit se lever et ne pas trembler, même s’Il est amené à faire face à tout le pays, aux rois de Juda et à ses chefs, à ses prêtres et à tout le peuple. Lors de sa Passion, c’est à la lettre ce qu’Il va devoir affronter. C’est à ce prix qu’Il pourra témoigner du mystère qui L’habite : Lui, le Fils de Dieu, est venu dans le monde pour que les hommes aient la vie, et qu’ils l’aient en plénitude (Jn 10,10). Or, quelle est la vie dont il s’agit, sinon celle qui consiste à connaître le Père et Celui qu’Il a envoyé (Jn 17,3) ?

Apparemment, Il échouera lamentablement et le naufrage de la croix, scandale pour les uns, folie pour les autres (cf. 1 Cor 1,23) semblera donner raison à ses adversaires. Pourtant, la logique de Dieu n’est pas celle des hommes. Le Père, totalement fidèle en son Amour, accomplira pour Lui ce qui avait été annoncé à Jérémie : Ils te combattront, mais ils ne pourront rien contre toi, car je suis avec toi pour te délivrer. La réalité définitive et invincible du salut éclatera au matin de Pâques dans la résurrection du Christ, mystère que nous célébrons en Église et dans la joie aujourd’hui comme chaque dimanche. Mystère qui ouvre pour tout homme une espérance sans borne, répondant à son désir le plus secret : vivre ! Je suis… la vie (Jn 14,6), nous déclare Jésus. Traduisez : la vie profonde et véritable de ton cœur, c’est Moi ! Tout le reste n’est qu’inconsistance incapable de rassasier et d’étancher ton cœur.

Chers frères et sœurs, le croyons-nous vraiment ? La réponse, c’est dans notre cœur que nous pouvons la lire. Et, si c’est cette Bonne Nouvelle qui anime en vérité notre cœur, peut-elle y rester enfermée ? Elle ouvre pour nous un devoir, elle devient une responsabilité à laquelle nous ne pouvons prétendre nous dérober sans grave incohérence, sans infidélité tout simplement à Celui qui nous aime.

C’est du trop-plein du cœur que parle la bouche (Mt 12,34), nous a dit Jésus. Les amoureux savent bien qu’il leur est pratiquement impossible de ne pas parler de celui que leur cœur aime. Notre parole, ou notre silence, sont souvent en effet à la mesure de notre amour. Ils en sont un moyen simple de vérification dénué des mirages de l’illusion. Ainsi peut-on comprendre que saint Paul ait écrit que l’amour trouve sa joie dans ce qui est vrai (1 Cor 13,6)… rien de plus exact, en effet, si Celui que nous aimons s’est défini Lui-même comme la Vérité (Jn 14,6) !
Le monde attend la révélation des fils de Dieu (cf. Rom 8,19) : nous ne pouvons pas rester cachés en cachant aussi par le fait même le message de libération que Dieu veut offrir à tout homme. On entend trop souvent dire – même parmi les chrétiens – que la foi est une affaire privée : pourtant, si cette foi est inséparable de l’expérience la plus vraie à laquelle tout homme aspire, même sans se l’avouer, il faut convenir qu’il n’y a pas de sophisme plus criant, plus cruel, et sans doute aussi plus lâche, que de s’obstiner à seriner partout que tout cela ne regarde que la sphère privée !

A bien y réfléchir, c’est même carrément scandaleux. C’est en effet au moins aussi absurde que de prétendre que l’amour lui-même puisse être chose privée : si l’on songe que le sens profond de l’amour est de mettre des personnes en relation les unes avec les autres, affirmer qu’il ne concerne que « le privé » est un pur non-sens. Or, précisément, Dieu est Amour (1 Jn 4,8)… Ici se situe la vérité centrale de notre religion. Alors, voulons-nous, pouvons-nous, ignorer l’amour ? Mais, à la longue, on ne peut renoncer à l’amour car, pour un cœur humain, renoncer à l’amour signifie renoncer tout bonnement à être. Aujourd’hui, nous ne pouvons oublier la soif de tant de cœurs humains qui ne savent plus vers quoi ou vers qui se tourner. Nous serions impardonnables de renoncer à être les témoins de l’Espérance vraie qui nous habite (cf. 1 Pi 3,15), même s’il doit nous en coûter quelque chose.

Si nous prétendons pouvoir nous dispenser de cette responsabilité, il nous faut alors nous demander si notre cœur lui aussi n’a pas fait de Dieu un étranger… Aucun prophète n’est bien accueilli dans son pays. Or, le pays de Dieu ne saurait se définir par des frontières tracées sur un atlas. Non, le vrai « pays », le seul que Dieu veut habiter, est rien moins que le cœur de l’homme. Mais nous, sommes-nous disposés à L’y laisser entrer sans indéfiniment y mettre des conditions plus ou moins avouées ? Frères et sœurs, qu’en nos cœurs de baptisés Dieu trouve un havre d’accueil disponible, d’où Il pourra rayonner en faisant de nous ses prophètes.


 

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