Messe du 4e dimanche de Carême

 

Abbé Canisius Oberson, à
l
‘église des Geneveys-sur-Coffrane (NE), le 18 mars 2007
Lectures bibliques : Josué 5, 10-12; 2 Corinthiens 5, 17-21; Luc 15, 1-32 – Année C

La dignité humaine au travail, tel est le fil rouge de notre Carême. Nous voici à la quatrième étape. Vous, les enfants, vous avez souvent beaucoup de bon sens et de franchise, vous dites les choses comme elles sont. Par exemple, vous n’aimez pas être les derniers à l’école. Pourquoi vous n’aimez pas ça ? Parce que si vous n’êtes pas les premiers, vous avez peur que les autres vous regardent comme des nuls, des sans-valeur. Alors qu’au fond de vous, vous savez bien que, premier ou dernier, je suis Louis, Julie, Félicia, et que j’ai autant de valeur que tous les autres. Et vous savez que Dieu regarde ce trésor que je suis, la dignité qui est la mienne, comme son trésor à lui ! 

Pourtant nous vivons souvent comme des fous. Comme ce fils de la parabole qui demande sa part de l’héritage, et qui va la gaspiller en vivant dans une « foire » permanente ! Ce fils, il nous ressemble terriblement quand nous gaspillons ce que nous avons reçu de Dieu notre Père ! La terre, tout ce qu’elle contient, c’est notre héritage ! Quand nous gaspillons l’énergie, le pétrole ; quand nous polluons l’air, le sol ; quand respirer l’air rend malade comme autour de certaines usines, est-ce que nous ne ressemblons pas au jeune fils de la parabole qui gaspille ce qu’il a reçu de son père ?

Aujourd’hui, chez nous, dans nos maisons, nous vivons mieux que les rois dans leurs châteaux au Moyen Âge ! La plupart, nous avons des voitures, des machines à laver le linge et la vaisselle, des frigos, des télés, des ordinateurs. Tout cela est magnifique et beau ! Mais : est-il nécessaire que des jeunes chinois travaillent 12 heures par jour, soient mal nourris, mal logés, fassent des heures supplémentaires sans être payés davantage, tout cela pour que nous puissions acheter nos ordinateurs quelques centaines de francs de moins, tout cela pour que des directeurs de grandes entreprises touchent des salaires 400 fois plus élevés qu’un salaire qui permet de vivre ? Chez nous, il y a des travailleurs d’un certain âge qui ne trouvent plus de travail ; d’autres qui travaillent toujours plus. Par exemple dans ce qu’on pourrait appeler une boucherie industrielle de notre pays, on demandait, il y a 20 ans, que les employés « s’occupent » de 27 poulets à l’heure ; aujourd’hui, ils en voient passer 43 dans le même temps… Combien de couples, de familles aujourd’hui, sont abîmés ou brisés quand le travail prend toutes les énergies, et qu’il faut rentrer à la maison les nerfs à fleur de peau… Ne sommes-nous pas, trop souvent, en train de gaspiller, non seulement les choses matérielles, mais ce qui fait notre humanité, notre dignité ?

Comme le fils qui est parti, faut-il attendre que nous ayons tout gaspillé avant de nous arrêter, de réfléchir, et de retrouver un bon sens qui favorise le respect de la dignité humaine, familiale particulièrement ?

Récemment Jean-Marc Richard interrogeait des enfants sur le travail de leurs deux parents à l’extérieur. C’était émouvant de les entendre dire leur regret qu’aucun des parents ne pouvait être là avec eux, par exemple, quand ils rentraient de l’école. Alors on peut poser la question : est-il impensable, à l’heure où la flexibilité est sur toutes les lèvres, d’imaginer une flexibilité qui permette aux parents de travailler à temps partiel, avec des salaires qui permettent à la famille de vivre décemment ? Faut-il attendre que notre planète devienne invivable, ou que des enfants, comblés matériellement et sous-alimentés humainement et spirituellement, sombrent dans la violence, pour retrouver le chemin de la sagesse, le chemin du Père qui guette notre retour avec inquiétude, les bras ouverts ? 

Notre monde, comme le fils de la parabole, a un urgent besoin de s’arrêter et de réfléchir. Beaucoup le font déjà. Hélas trop souvent, c’est la peur qui empêche d’oser changer, de prendre le bus plutôt que la voiture, par exemple. Et vous, les enfants, on vous écoute souvent pour vous acheter ce qui, dans un magasin ou devant la télé, vous fait envie. Mais les instituts de sondage ne vous interrogent pas beaucoup pour connaître vos besoins, de manière que le travail de vos parents les empêche le moins possible d’être auprès de vous ! Et quand des gens disent qu’un autre monde est possible, ils sont vite taxés de doux rêveurs et d’inconscients !

Dieu notre Père, qui n’en finit pas de patienter et de nous aimer, d’attendre que nous revenions à lui pour l’écouter, nous appelle à changer, à nous réconcilier, à faire la paix avec nous-mêmes, avec la nature, avec lui. Comme ce qui s’est passé hier à Bex et que la radio nous apprenait ce matin : ce match de football entre une équipe de Bex et une autre formée de requérants d’asile qui habitent là.

Cela ne se fait pas tout seul, ni en restant chacun dans son coin. Il faut s’y mettre ! Par exemple, oser reprendre le chemin de Dieu, de la prière ; redécouvrir l’immensité de l’amour du Père pour nous. Oser rendre au dimanche son sens de jour du Seigneur, travailler dans et pour le respect de la dignité humaine. Voilà un beau programme qui prépare la fête éternelle avec Dieu et avec les autres.

Amen.

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