Messe du 3ème dimanche de Carême

 

Père Albert Longchamp, à l’église Ste-Croix, Carouge, le 3 mars 2002

Lectures bibliques : Exode 17, 3-7; Jean 4, 5-42

 

Parole de Dieu, paroles des hommes

C’est du beau !

En somme, puisque nous en parlons pendant tout ce Carême, qu’est-ce que la communication ?

Prenons un exemple. Il y a quelques jours, dans la salle d’attente des TGV à destination de Paris, en gare de Genève, je vois un homme assis, seul dans son coin. Appuyé sur une canne, il semble songeur, les yeux à demi-fermés, presque souriants, derrière de grosses lunettes d’écaille, sur une barbe poivre et sel. Je le contemple un instant. Vêtu d’un pardessus aux couleurs incertaines, l’homme au regard tendre, à la stature voûtée par les années, est la personnalité la plus aimée des Français depuis de longues années. Il s’agit, bien sûr, de l’abbé Pierre. Mais personne ne prête attention à sa présence. Pas de photographe, de radio, de caméra, ni même de journaliste dans mon genre, qui vienne troubler sa méditation.
Sans télé, sans micro ni photo, sans le livre et le journal, l’abbé Pierre est un homme perdu dans la foule. Seul.
La communication, c’est sortir l’événement de l’anonymat.

La communication, c’est faire bouger, frémir, c’est mobiliser, conscientiser, rassembler, émouvoir. La communication est un levier de l’opinion publique. C’est aussi donner un visage à une idée, c’est incarner une utopie, favoriser une nouvelle création culturelle, un projet social, une vision politique. Gardons-nous de sous-estimer la chance dont nous jouissons de pouvoir ainsi, et de manière si variée, nous exprimer en public, y compris dans l’expression la plus haute de notre foi chrétienne, en célébrant la messe à l’antenne d’une radio ou d’une télévision publique.

La communication permet aussi à l’Eglise, ô combien, de sortir de la sacristie. Le moins qu’on puisse dire est que l’Eglise catholique ne s’en prive pas, à commencer par sa plus haute autorité. Combien d’heures d’antenne aura occupée le pape Jean-Paul II durant son pontificat, combien de journalistes l’auront-ils suivi et commenté ? Absolument incalculable, la masse est telle qu’elle demeure dans le secret de Dieu.
Les médias, quoi qu’on en dise, sont les alliés de la Parole de Dieu, et leurs méthodes plus proches qu’on ne le croit de la construction des quatre évangiles. L’évangile a sorti de l’anonymat du quotidien de petits événements auquel il a donné une dimension universelle. Ainsi la soif de Jésus.

Si je vous annonçais, aujourd’hui, comme ça: « Jésus, dans sa vie, a eu soif », vous me regarderiez d’un oeil narquois. Quoi d’étonnant, et qu’y a-t-il d’exemplaire, dans la soif d’un homme, même s’il s’appelle Jésus de Nazareth ? L’évangile de Jean fait d’un événement banal un enseignement fondamental.

Le récit de la rencontre avec la Samaritaine est bâti sur plusieurs registres très typiques d’une construction « médiatique ». Midi, un puits, un homme seul, rien pour puiser, une femme s’approche. La caméra se rapproche. Zoom avant. Jésus dit : « Donne-moi à boire. » La femme s’étonne. Juifs et Samaritains ne se causent plus depuis des siècles. Jésus détourne la conversation. « Si tu savais le don de Dieu, c’est toi qui demanderais à boire. » Elle ne comprend rien. Cette histoire est cousue de fil blanc. En apparence, le dialogue s’engage sur un double malentendu. Doutes, ironie, petit mensonge, commencements d’aveu, et enfin cet acte de foi de la Samaritaine: « Je sais qu’il viendra, le Messie, le Christ. » Et puis, couronnement, allez-y, orgue et trompettes. Caméra gros plan sur les lèvres de Jésus : « Moi qui te parle, je le suis ». En français, sept mots. Sept mots à couper le souffle : le Christ vient, il est là, il est la source de la vie infinie, il est mort avec nous, nous vivrons avec lui :
« Dites cela en mémoire de moi »

Ainsi le récit devient-il un « sanctuaire », dépositaire jusqu’à la fin des temps d’une divine promesse, ainsi l’histoire d’une brève rencontre devient-elle en quelque sorte un « tabernacle », un lieu de la présence réelle du Christ, chaque fois qu’il est prononcé.

Tel est le miracle de la communication. Lisez, regardez, écoutez, buvez ces paroles, il s’en cache de belles choses quand Jésus a soif, un jour à midi, sur la margelle d’un puits de Samarie, quand une femme arrive, à qui il n’aurait jamais dû adresser la parole, une femme dont l’acte de foi préfigure et anticipe le cri de joie des femmes de Jérusalem au matin de Pâques : Christ est vivant ! Amen !

 

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