Messe du 31ème dimanche ordinaire

 

 

Chanoine Gabriel Isperian, à l’abbaye de Saint-Maurice, le 4 novembre 2001
Lectures bibliques : Sagesse 11, 23-12, 2; 2 Thessaloniciens 1, 11-2, 2; Luc 19, 1-10

Dimanche passé, Notre Seigneur proposait une parabole qui mettait en scène deux hommes en prière, l’un était pharisien, l’autre publicain.

Aujourd’hui, la scène que nous venons de réentendre traduit dans la réalité cette parabole. Que cet évangile nous pénètre, qu’il envahisse doucement notre esprit et notre cœur, qu’il nous façonne et nous modèle du dedans.

Zachée, lui aussi, est un publicain, et donc considéré comme un pécheur notoire; méprisé, détesté de tous. On ne voit en lui que le voleur de ses frères et le collaborateur de l’occupant romain. Et voici qu’il cherche à voir Jésus : mystérieusement poussé par un désir d’autre chose. L’indifférence aux autres, le matérialisme visible d’une vie humaine n’étouffent pas nécessairement et toujours l’aspiration secrète à autre chose.

Zachée court, il grimpe sur un arbre, il veut voir Jésus : cela seul semble compter alors pour lui; qu’importe les moqueries des autres ? Jésus passe et lève les yeux; le créateur, humblement lève les yeux sur sa créature, comme au soir du lavement des pieds. Il y a là quelque chose d’étonnant. Jésus vient d’arriver à Jéricho, cité opulente, dont Hérode le Grand avait fait sa résidence d’hiver; on y voyait un cirque, un palais, un théâtre, un hippodrome, de merveilleux parcs. Dans cette ville riche, magnifique et populeuse, un seul homme semble compter aux yeux du Christ : Zachée, celui-là même que tous rejettent. Le regard de Jésus est le regard de Dieu lui-même : attiré par les pécheurs, les misérables, les malades, bien plus que par les bien-pensants, les bien-portants, les orgueilleux qui s’estiment justes : Seigneur, tu as pitié de tous les hommes nous disait la première lecture parce que tu peux tout. Tu fermes les yeux sur leurs péchés, pour qu’ils se convertissent. La toute puissance de Dieu est celle de la tendresse.

En Zachée, Jésus voit celui qui, à Jéricho, n’est pas heureux parce qu’il n’est pas aimé, il voit celui dont le cœur reste insatisfait, tourmenté d’un désir profond. Il discerne en Zachée le saint qu’il est appelé à devenir, c’est pourquoi il fait le premier pas, il l’invite en s’invitant lui-même : Descends vite, aujourd’hui il faut que j’aille demeurer chez toi.

La foule regarde, elle aussi, mais c’est pour réprouver, condamner. Elle murmure, elle désavoue : Il est allé loger chez un pécheur; la foule ne peut accepter un tel visage de Dieu si différent de celui qu’elle imagine.

Le regard de Zachée change. De nouveaux mots montent à ses lèvres : Je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens… je vais rendre quatre fois plus à qui j’ai fait tort. Lui qui était avide de richesses, le voici préoccupé des pauvres; enfin, il les voit; son regard se charge d’amour fraternel, il comprend que tous les autres sont ses propres frères, auxquels il est intimement lié.

Par ailleurs, le regard qu’il porte sur lui-même se modifie également, il se fait humblement serein parce que éclairé par celui de Jésus. Nulle crainte, nul désespoir : il se sait pardonné. La joie l’envahit et elle le conduit à restituer, à donner avec profusion, au lieu de voler et d’extorquer. Zachée n’accueille pas Jésus dans sa maison seulement, il l’accueille dans son cœur et dans sa vie.

L’évangile nous laisse aussi deviner la joie du Seigneur, dont la mission trouve son accomplissement en la conversion de celui que Jéricho rejetait : lui aussi est un fils d’Abraham, un fils de la promesse. Tout au long de l’évangile, Jésus recherche un frère, son frère, le fils perdu. Il refait ce que le péché avait défait, il restaure le partage, la communion humaine. Comme le fils prodigue, Zachée était perdu et voilà qu’il est sauvé.

Oui, notre Seigneur regarde les hommes autrement que nous, son regard transforme, fait revivre, il redonne confiance, il recrée et sauve.

Le même Seigneur, ici et maintenant, nous regarde chacun d’entre nous, avec le même amour, avec la même confiance et il nous dit : Aujourd’hui, il me faut demeurer chez toi. Oui, aujourd’hui, Jésus désire intensément transformer le regard que nous portons sur les autres, sur nous même et sur Dieu; nous voir, voir les autres avec son regard à lui, celui qu’il porte sur Zachée et qui révèle le Père.

Aimer c’est espérer en l’autre. Dieu notre Père espère en chacun de nous : allons-nous le décevoir ? Car le Fils de l’Homme est venu pour chercher et sauver ce qui était perdu.

 

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