Messe du 22e dimanche du Temps ordinaire

 

Cardinal Henri Schwery, chapelle de la Visitation, Les Mayens de Sion (VS), le 30 août 2009
Lectures bibliques : Deutéronome 4, 1-8; Jacques 1, 17-27; Marc 7, 1-23 – Année B

Chers frères et sœurs,

Je prends du plaisir aux travaux manuels durant mes loisirs. Faucher, par exemple, m’est utile à la santé physique et mentale et me rappelle en outre que le travail contribue à la dignité de l’homme. Mais il ne me viendrait pas à l’esprit de diviniser ma faux.
Dans des temps fort reculés, le serf qui fauchait les vergers de son seigneur en recevait parfois un panier de pommes pour salaire. Après cette époque du troc, pour des raisons pratiques évidentes, on a abandonné le salaire direct, immédiat, en nature pour une sorte d’intermédiaire, convertible à son tour, la monnaie. Comparable à la faux : intermédiaire entre le travailleur et le fruit de son travail, ce n’est qu’un moyen d’échange qui ne mérite aucun culte idolâtrique.

Cela permit en outre d’offrir non seulement son travail mais le fruit de son travail sous forme de prêt financier. En toute logique, le bénéficiaire saura le restituer en y ajoutant la reconnaissance du service rendu sous forme d’intérêt. C’est encore et toujours le travail ou le service de l’homme envers autrui qui est reconnu à travers le moyen d’échange : la faux, l’outil, l’argent.
En revanche, les spéculateurs qui préfèrent ruser plutôt que travailler y perdent de leur dignité.
Tôt ou tard, ils récoltent ce qu’ils ont semé, entraînant malheureusement  avec eux le trouble dans la communauté humaine. Car l’argent devenu dieu, avec sa puissance d’extension mondiale, démontre qu’il n’a ni âme ni pitié pour les hommes.

On pourrait citer d’autres exemples de détournement de l’attention qui fait du moyen un but au mépris des personnes. On attribue au moyen d’échange des droits et l’on finit par en être esclave. Ce danger menace notamment certains milieux pourtant d’abord destinés au service social et public : les moyens de communication sociale.
L’évolution des divers médias permet aujourd’hui d’élargir avec une efficacité prodigieuse la portée, la rapidité et la qualité des relations sociales. Le reconnaître et y travailler, c’est encore participer à la promotion de la dignité humaine. Mais si l’on en vient à les cultiver pour eux- mêmes, c’est philosophiquement aussi hérétique que d’arrêter de travailler pour laisser nos investissements financiers le faire à notre place.
En somme, ces divers moyens d’échange gauchis par l’homme finissent par se retourner contre lui et en font leur esclave. Malheureusement, la tentation ne sévit pas que dans ces quelques domaines de l’activité humaine.

L’évangile de ce dimanche nous avertit que la religion elle-même n’est pas à l’abri de telles déviances. Pour un croyant, la source et le sommet de la dignité humaine sont en Dieu. Pour relier l’homme et son Créateur, nous avons besoin de moyens qui dépassent nos capacités naturelles. Et le recours à ces moyens s’appelle «vertu de religion». La pratique de cette vertu contribue à la croissance de notre dignité. On peut la comparer au concept de « travail », car toute vertu est un dynamisme, qui rayonne et qui demande aussi un investissement de soi- même, du renoncement, voire de la fatigue. Ce dynamisme doit recourir à des moyens intermédiaires qui permettent de relier l’homme à son Dieu. Relier, se dit « religare » en latin, d’où le mot « religion ». Toutes les religions disposent donc de moyens pratiques, tels que rites, rubriques, comportements, directives liturgiques ou éthiques. Mais le mot religion ne s’identifie pas à la vertu de religion.

Cultiver les moyens au point d’en oublier les pôles à relier, l’homme et Dieu, est une aberration qui amplifie l’importance de ces moyens au point d’en faire manquer le but. On en devient esclave, on y perd sa dignité. On s’imagine dévot et, comme le dit saint Jacques, on se fait illusion.
N’est-ce pas précisément la mise en garde sévère que Jésus nous donne dans l’évangile de ce dimanche ? Les pharisiens se voulaient tellement religieux qu’ils sacralisaient les rites et rubriques au mépris de la « vertu de religion ». Cette vertu n’est pas un but en soi ! elle est le moyen de relier l’homme et Dieu, chemin unique et nécessaire mais moyen d’échange seulement. Selon notre foi chrétienne, Dieu est Amour … et l’homme lui est cher comme tout fils l’est à son père. La comparaison avec les liens familiaux met bien en évidence la relation filiale qui n’est authentique que lorsque le cœur est en jeu.
Pour deux êtres qui s’aiment ce qui compte, ce ne sera pas de comptabiliser les messages envoyés et reçus, mais d’avoir pu transmettre et d’avoir pu recevoir des émotions qui fortifient leur amour, c’est – comme le dirait saint Jacques – «mettre la Parole en application, faute de quoi on se ferait illusion».

L’évangile de ce dimanche nous transmet la mise en garde de Jésus : Il est vain de multiplier les dévotions particulières, plus vain encore de comparer des pratiques diverses si cela nous réduit à sacrifier à de nouvelles idoles. Il est vain de se prévaloir du titre chrétien si notre cœur ne nous guide pas vers des comportements chrétiens. «Ce peuple m’honore du bout des lèvres, – nous dit Jésus – mais son cœur est loin de moi.» C’est du dedans, c’est du coeur de l’homme que se qualifient ses comportements, aujourd’hui comme au temps des pharisiens contemporains de Jésus. La légitimité légale ne suffit pas à nous garantir la paix. Il y faut la justice, certes, mais pour éviter le despotisme des moyens d’échange, il y faut du cœur.
Un des défauts majeurs de la société, surtout en cette époque de globalisation mondiale, n’est- ce pas son manque de cœur ? La preuve a contrario nous en est aussi donnée par l’enthousiasme des foules pour de grands bienfaiteurs de l’humanité, artisans de justice et de paix comme le Dalaï-Lama, Madre Teresa, l’abbé Pierre, et tant de généreux anonymes parmi nous et autour de nous grâce auxquels le grand commandement de la Charité est honoré envers les plus démunis. Il ne faut certes pas généraliser nos jugements sur les hommes, surtout pas les critiques négatives.
Mais il faut nous entraîner à discerner les dangers et les chances, les déviances et les élans constructifs. Dès lors, on peut et on doit se dynamiser pour repartir avec optimisme et enthousiasme à notre travail de la semaine qui commence.

Face à la crise économique, face à la violence, au milieu de tous ceux qui doutent, qui souffrent et qui pleurent, le chrétien doit redécouvrir son être profond d’enfant de Dieu, aimé de Dieu et sans cesse appelé à aimer mieux son Dieu er par conséquent son prochain. Il le peut. Le prophète Ezéchiel déjà le promettait au nom de Dieu : « Je vous donnerai un cœur nouveau.» (Ez 36,26) Il ne nous reste qu’à accueillir ce renouveau du cœur et à en rayonner. En redemandant avec ferveur à Dieu ce que notre seule nature ne peut nous donner, faisons nôtre la prière liturgique du début de cette célébration : «Seigneur enracine en nos cœurs l’amour de ton nom ; resserre nos liens avec toi pour développer ce qui est bon en nous et protéger ce que tu as fait grandir».
Amen !

 

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