Messe du 21ème dimanche ordinaire

 

Abbé Nicolas Glasson, Monastère de la Visitation, Fribourg, le 21 août 2005

Lectures bibliques : Isaïe 22, 19-23; Romains 11, 33-36; Matthieu 16, 13-20 – Année A

« Et moi je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église et la puissance de la mort – littéralement les portes de l’Hadès, ne l’emporteront pas sur elle. »

Chers frères et sœurs,

A deux occasions ces paroles du Christ provoquèrent une impression toute particulière dans mon cœur : dans mon cœur de collégien d’abord – un âge où la foi cherche ses assises – emmené par mon curé en pèlerinage à Rome sur le tombeau de saint Pierre ; puis plus récemment dans mon cœur de prêtre, à Césarée de Philippe, l’endroit même où Jésus prononça ces paroles, devant une grotte où reflue une eau tumultueuse, lieu de culte païen pour les anciens qui voyaient dans cette ouverture un peu sinistre la porte qui conduisait à l’Hadès, au séjour de la mort qui viendra à bout du corps de tous les hommes mais qui ne l’emportera jamais sur le corps mystique du Christ, l’Église, fondée sur le Roc de Pierre.

En faisant de Simon le pêcheur la Pierre sur laquelle il bâtit son Église, Jésus Christ fait référence à un texte du prophète Isaïe (Is 28, 15-16) : il s’agit d’un oracle contre les responsables religieux et politiques de Jérusalem. Par la voix du prophète, le Seigneur dénonce leur esprit de « fausseté » et de « mensonge », leur « alliance avec la mort », leur « pacte avec le shéol ». Dieu reproche aux responsables religieux du peuple leur manque de droiture, leur penchant à composer avec le mal, avec le mensonge, avec ce qui ne conduit pas à Dieu, et cela sous le couvert de la loi du moindre mal. C’est une attitude que nous connaissons tous parce qu’elle nous tente bien souvent. Il y a tant d’occasions dans nos vies où par manque de courage ou par opportunisme nous sommes prêts à sacrifier en partie la vérité, la justice, la charité et même notre foi en ouvrant la porte, par nos actes ou nos paroles, à ce qui est mensonge et injustice, à ce qui est contraire à la charité et à la foi de notre baptême. Et non contents de nous être aventurés sur cette voie, nous nous justifions encore en prétextant une vaseuse « ouverture », une inévitable « évolution » des choses qui ne nous laisse pas le choix. Et à force de composition et de compromis, nous en arrivons à aseptiser la vérité, à tordre la justice et à vider notre foi de sa substance. C’est cet esprit là que dénonce le Seigneur par la voix d’Isaïe : Il ne tolère pas cet esprit qui compose avec ce qui va contre le droit de Dieu et le droit des hommes. Il ne veut pas de responsables religieux qui composent avec des pratiques païennes, qui font des concessions avec ceux qui leur veulent du mal, tout en se justifiant, affirmant qu’il s’agit là pour eux du seul moyen de servir la Vérité et le bien commun. Alors – et c’est là le sommet de l’oracle d’Isaïe – le Seigneur annonce qu’il va poser en Sion une pierre de granit, une pierre de fondation dont la solidité assurera la stabilité et l’unité de tout le peuple (Is 28, 16).

Le Nouveau Testament réalise l’accomplissement de cette prophétie d’Isaïe. La pierre angulaire, celle sur laquelle reposent toutes les autres, c’est le Christ Jésus venu rassembler autour de lui l’humanité entière qu’il sauve (Mt 21, 42).

Mais voilà que le Christ lui-même fait de saint Pierre le roc de fondation sur lequel il veut bâtir son Église : Simon-Pierre, cet homme au tempérament enflammé, si prompt pourtant à composer avec les pensées des hommes (souvenons-nous de l’occasion où le Christ lui dit : « Passe derrière moi Satan, tu me fais obstacle, tes pensées ne sont pas celle de Dieu mais celle des hommes », Mt 16, 23), si prompt aussi à se soucier du « qu’en dira-t-on » (rappelons-nous l’épisode d’Antioche, lorsque Pierre n’ose plus prendre ses repas avec les chrétiens issus du paganisme parce que les chrétiens convertis du judaïsme sont présents, Ga 2, 12). En faisant donc de saint Pierre, et avec lui de tous ses successeurs, le roc sur lequel il bâtit son Église, Jésus Christ en fait le contraire d’un homme de tergiversation. Saint Pierre et ses successeurs ne sont pas des hommes de compromis, des peureux qui veulent plaire au lieu de remplir leur mission et de répondre à leur vocation. Saint Pierre et ses successeurs ne sont pas des hommes équivoques, des girouettes qui regardent d’où vient le vent du moment de peur de se retrouver à contre-courant lorsqu’ils annoncent l’Evangile du Christ, lorsqu’ils dénoncent ce qui brise la dignité de l’humanité et l’empêche de retourner à Dieu. Saint Pierre et ses successeurs, et avec eux tout le collège apostolique, ne transigent pas avec la vérité et la charité ; ils ne sont pas les hommes du relativisme qui tue cette soif naturelle de l’humanité à tendre vers le vrai et le bon ; ils ne sont pas les jouets du politiquement correct et de cette fausse diplomatie capable de nous faire renier père et mère. En faisant de Simon le pêcheur la pierre sur laquelle il bâtit son Église, Jésus Christ éradique du service apostolique cet esprit de composition et de compromission si présent dans notre société parce qu’il se cache dans chacun de nos cœurs. Et c’est pourquoi notre vocation chrétienne nous engage à devenir nous aussi des pierres vivantes (1 P 2, 5) qui se rassemblent et s’organisent autour du Christ et du ministère de Pierre pour former cette Église sur qui rien ne l’emportera : c’est ce que désire le Christ lorsqu’il nous exhorte à construire notre maison sur le roc et non pas sur les sables mouvants (Mt 7, 24-27).

En ce jour de la 20e Journée Mondiale de la Jeunesse, comment ne pas porter notre regard vers notre pape Benoît XVI, – ce pape que nous aimons, tout simplement parce qu’il est le successeur de Pierre – , qui rassemble autour de lui les jeunes catholiques du monde entier. De par son ministère il est ce roc sans composition sur lequel le Christ bâtit l’Église d’aujourd’hui. L’image de ce pape, dont le visage exhale la joie et la paix, entouré de plusieurs centaines de milliers de jeunes, est un grand signe d’espérance pour notre Europe déchristianisée : l’Église vit, elle est jeune, et la puissance de la mort ne l’emportera pas sur elle ! Amen.

 

 

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