Messe du 1er dimanche de Carême

 

Père Albert Longchamp, à l’église Ste-Croix, Carouge, le 17 février 2002
Lectures bibliques :Genèse 2, 7 – 3, 7; Matthieu 4, 1-11

 

Parole de Dieu, paroles des hommes

Un photographe m’a raconté la sympathique surprise qu’il eut un beau matin. L’artisan travaillait dans la pénombre de son laboratoire, tout en ayant ouverte la porte donnant directement sur la rue. Soudain trois enfants apparaissent sur le seuil de la boutique.
– Monsieur, tu nous donnes à boire ? On a soif.
Amusé, le photographe installe ses trois visiteurs et s’empresse d’aller leur remplir des verres d’eau au robinet. Nos petits assoiffés, une fois désaltérés, remercient fort poliment leur hôte, mais l’un des enfants ajoute :
– Hm ! Monsieur, qu’elle est bonne ton eau !
Le photographe était encore tout ému en me rappelant ce souvenir. Car il avait bien compris que cette parole de reconnaissance s’adressait à lui : s’il avait donné de la bonne eau, c’est qu’aux yeux de cet enfant il était devenu un homme bon.
Les enfants ont l’art de la parole qui surpasse tous les discours, et tous les sermons ! Un mot, un sourire, pas d’arrière-pensée, tout est dit. C’est ce que nous appelons “ l’art de la communication ”.

La communication sera au centre de la Campagne de Carême qui s’est ouverte avec le Mercredi des Cendres, le 13 février. Le thème en sera précisément : “ Partager la communication ”.
S’il y a “ partage ”, c’est qu’il y a un bien à partager, une richesse à donner et à recevoir. Cette richesse porte un nom qui apparaît souvent dans nos célébrations : le mot “ parole ”. Ou bien la phrase : “ Il est écrit ”, ou bien encore : “ Il est dit ”. Et ce dire, dans l’Ecriture Sainte comme dans la communication profane, s’appuie très souvent sur une image.

La Bible contient des chefs-d’oeuvre de la communication, dont nous avons ce dimanche deux exemples illustres.
Le Livre de la Genèse raconte la tentation d’Adam et Eve. Dieu avait bien fait les choses puisqu’il avait créé dans le Jardin d’Eden, le paradis terrestre, toute sorte d’arbres à l’aspect attirant et aux fruits savoureux. Mais il avait aussi créé un serpent, le plus rusé de tous les animaux, et de plus c’était un serpent parlant. Il interroge la femme, il discute avec elle. Il est intelligent, ce serpent, et vous n’en avez sûrement jamais rencontré de pareil. Mais quelle scène extraordinaire, et combien de peintres et de dessins naïfs, ont raconté l’histoire du serpent et du fruit défendu. Aucune explication sur la racine du mal ne nous aurait autant frappé, dans toutes les générations et toutes les cultures.

L’Evangile de la tentation de Jésus est construit sur le même principe. Matthieu est un metteur en scène de génie. Jésus, dans le désert, est lui aussi confronté à un démon parlant, et vicieux avec ça, insidieux, perfide, faussement pieux : “ Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces cailloux deviennent des pains ! ”
Mais voici que Jésus fantasme carrément. Si j’étais là, sur les murs du Temple de Jérusalem, dominant la vallée et si je me jetais en bas, est-ce que j’échapperais aux blessures de la chute ? Est-ce que je n’aurais pas la preuve que Dieu existe, que JE suis Dieu. Mais Matthieu monte encore d’un cran, comme si nous n’avions pas compris ce qui se passe dans le coeur de Jésus. Il l’imagine en train de contempler le monde, de le dominer du regard, et d’être poussé au péché mortel de l’orgueil du pouvoir absolu. Jésus rejette la tentation. Et sonne alors LA parole à retenir : “ C’est devant Dieu seul que tu te prosterneras ”. Même Jésus.

De la Genèse à la Tentation de Jésus, jusqu’à nous, nous savons qu’un diviseur intérieur, qu’une voix menteuse, silencieuse mais impérieuse, tente de nous séparer de Dieu, de nous diviser les uns les autres, de refuser notre condition humaine. Cette voix, des hommes, les auteurs anciens de la Bible et ceux des Evangiles, puis les prêtres, les théologiens, les artistes, les musiciens, les cinéastes, nous les ont traduites et communiquées. La communication est aussi passage de la parole de Dieu à celle des hommes, et les hommes prêtent à Dieu leur voix pour qu’il soit communiqué au monde. “ Au commencement était le Verbe ”, dit saint Jean. Au commencement de notre foi fut la parole. Elle se poursuit dans le dialogue, elle nous permet d’entrer en communion. Rendons grâce et prions pour que jamais nous ne perdions ce don de Dieu.

 

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