Messe de l’Epiphanie du Seigneur

 

Abbé André Bise, le 2 janvier 2005, à l’église St-Pierre-aux-Liens, Bulle

Lectures bibliques : Isaïe 60, 1-6; Ephésiens 3, 2-6; Matthieu 2, 1-12

« Debout, Jérusalem, resplendis ! » s’écrit Isaïe, « Elle est venue ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi… Les nations marcheront vers ta lumière et les rois, vers la clarté de ton aurore. »

Comment se fait-il que les chefs des prêtres et les scribes à Israël, si connaisseurs des Ecritures, ne discernent pas que la promesse prophétique d’Isaïe commence à se réaliser ? Ils savent dire que de Bethléem sortira le « Berger d’Israël ». Mais ils donnent l’impression d’être comme paralysés par leur savoir. Saint Augustin dira d’eux : « Ils sont comme les bornes du chemin : ils indiquent la route, mais ne bougent pas… » On devine dans leur immobilisme un mépris. Mépris sûrement pour l’inquiétude d’Hérode, cet étranger qui doit son pouvoir aux Romains. Mépris peut-être pour les Mages, ces ignorants de la Loi, qui parlent d’un Roi des Juifs signalé par une étoile. Mépris enfin pour ce bébé qui vient de naître, obscurément…

Méritent-ils déjà le dur reproche que Jésus, trente ans plus tard, adressera à leurs semblables ? « Vous scrutez les Ecritures, parce que vous pensez acquérir par elles la vie éternelle : or ce sont elles qui rendent témoignage à mon sujet, et vous ne voulez pas venir vers moi pour avoir la vie… Mais comment pourriez-vous croire, vous qui tirez gloire les uns des autres, et la gloire qui vient du Dieu unique, vous ne la cherchez pas ! » (Jean 5, 39 et 44)

On comprend mieux l’inquiétude d’Hérode. Cette rumeur que viennent répandre ces mages orientaux concerne son pouvoir. Il flaire un concurrent imprévu, lui qui a déjà fait mettre à mort trois de ses propres fils qu’il accusait de comploter contre lui. C’est l’histoire profane, et non pas le récit évangélique, qui nous parle de cette cruauté insensée d’Hérode : le massacre des innocents est de la même veine, chez ce potentat.

Quoi qu’il en soit de l’importance historique de la venue des Mages à Jérusalem, l’évangéliste saint Matthieu a compris que cet épisode, peut-être infime au regard de l’histoire d’Israël et du monde, c’était déjà l’annonce et comme l’esquisse du drame de la Passion. Et le récit qu’il en donne est comme une tapisserie ou un vitrail biblique qui met en pleine lumière une donnée fondamentale de l’histoire du salut.

Le monde est si englué dans le péché – dans la haine qui va jusqu’au meurtre – que l’Amour (« Dieu est Amour ! ») ne peut y entrer, l’Amour ne peut se faire chair et planter sa tente parmi nous, sans être aussitôt assailli et piégé.

C’est ce que dit l’Evangile selon saint Luc en une seule phrase : « Cet enfant est là pour être un signe en butte à la contradiction » (Luc 2, 34) et saint Jean, à la première page de son Evangile : « Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas accueilli » (Jean 1.11)

Un penseur juif vient d’écrire un pamphlet virulent pour défendre, dit-il, cette thèse : « La haine existe, nous l’avons tous rencontrée ». (André Glucksmann, Le discours de la haine, Plon 2004, p. 11)

On pense à saint Paul, constatant au début de la lettre aux Romains : « Tous les hommes sont pécheurs et privés de la gloire de Dieu ». (Romains 3,23)

La visite des Mages, ne la séparons pas du massacre des saints Innocents, de la Fuite en Egypte. Trop souvent, nous ne prêtons attention qu’au folklore oriental des Mages – que la légende fait rois ! -, à leurs cadeaux princiers, l’or, l’encens, la myrrhe. En fait, saint Matthieu écrit un drame, le drame de la Rédemption du monde pécheur.

Dès son entrée en ce monde, Jésus, l’Innocent, est cerné par la puissance du mal qui gangrène le cœur humain. Il est « le soleil de justice portant la guérison dans ses rayons », (Malachie 3, 20) il est « l’Agneau » qui acceptera d’être crucifié pour « enlever le péché du monde » (Jean 1,29) parce que seul l’Amour – l’Amour jusqu’au bout, l’Amour jusqu’à donner sa vie pour ceux qu’on aime – seul l’Amour peut vaincre la haine.

Vous l’avez compris : saint Matthieu, saint Luc, dans les récits de l’enfance, ne nous racontent pas de belles légendes, des fioretti, pour orner les origines de Jésus. C’est du salut de l’humanité qu’il s’agit, et de la réponse que nous donnons à l’Innocent qui vient nous délivrer.

Car il est vrai aussi que la visite des Mages est une irruption de la lumière dans les cœurs. « Regarde » dit Isaïe, « l’obscurité recouvre la terre, les ténèbres couvrent les peuples : mais sur toi, Jérusalem, se lève le Seigneur, et sa gloire brille sur toi ! »

Jésus naît en Israël, « le salut vient des Juifs » (Jean 4, 22), les mages, eux, païens venus de très loin, préoccupés d’astrologie, sont le signe éclatant de ce que saint Paul appelle « le mystère révélé par l’Esprit ». « Ce mystère, c’est que les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Evangile ». (Ephésiens 3, 6)

Les Mages sont venus se prosterner devant l’Enfant, guidés par une étoile. Une étoile dans le ciel ou dans leur cœur ? Ce n’est pas l’affaire des astronomes.

Un psaume dit doucement : « Une lumière est semée pour le juste, pour les cœurs droits, une joie. » (Ps 97 verset 11)

Oui, il suffit de peu pour que le chemin de la foi s’ouvre vers le Seigneur. Comme les Mages, il faut rester fidèle à la petite lumière reçue. De manière surprenante parfois, Dieu guide chaque homme qui le cherche pour l’adorer. La foi est cette étoile qui nous guide et nous protège. Avertis par Dieu qu’Hérode était dangereux, les Mages prirent un autre chemin pour rentrer chez eux.

 

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