Messe du 2ème dimanche ordinaire

Père Henri-Marie Couette, le 16 janvier 2005, à l’Abbaye d’Hauterive, Posieux, FR

Lectures bibliques : Isaïe 49, 3-6; 1 Corinthiens 1, 1-3; Jean 1, 29-34 – Année A

Sur la lancée de dimanche passé où nous célébrions la fête du Baptême du Seigneur, nous retrouvons aujourd’hui la grande figure de saint Jean-Baptiste, le « Précurseur ». Conformément à la mission qu’il avait reçue d’ouvrir les cœurs à l’accueil du Messie déjà présent « au milieu des siens » (cf. Jn 1, 11 et 26), il rend ici un témoignage capital à ce Jésus qui, sous peu, va faire parler de Lui, non seulement en Galilée mais aussi à Jérusalem puis, bientôt, jusqu’aux extrémités du monde.

Sans tergiverser, Jean Baptiste, désigne Jésus comme « l’Agneau de Dieu ». L’expression peut nous paraître quelque peu étrange, mais elle ne l’était pas aux oreilles d’un juif pieux : elle évoquait bien sûr pour lui le sacrifice pascal, commémoration liturgique de la traversée de la Mer Rouge qui scellait la sortie d’Égypte – terre d’esclavage – pour entrer dans la Terre promise, celle de la liberté retrouvée grâce à l’intervention de Dieu.

Ainsi, se voit dévoilée prophétiquement dans la bouche de Jean l’immolation de Jésus, sa mort sur la croix, acte par lequel Il sauverait tous les hommes. Quoique de façon plutôt allusive, Jésus est donc présenté d’emblée comme le Sauveur. Et Il l’est en effet en vertu de son identité que le même Jean confesse en toute clarté : « c’est Lui le Fils de Dieu » !

Mais ce n’est pas tout. En annonçant que Jésus « baptise dans l’Esprit Saint », le Baptiste nous dévoile le terme final de toute l’œuvre du Salut : clairement en effet, comme l’évangéliste saint Jean le suggère (Jn 7, 39b), la mention du don de l’Esprit Saint ouvrant le temps de l’Église – celui dans lequel nous sommes – signifie le plein accomplissement de cette œuvre de la Trinité par laquelle l’homme se voit réconcilié avec Dieu, c.-à-d. rétabli dans la pleine amitié avec Lui selon le plan divin originel. A mots couverts, si l’on peut dire, Jean Baptiste déploie déjà sous nos yeux tout le projet de Dieu sur nous : le salut de l’humanité, et donc de chacun de nous. Ce n’est pas une petite espérance !

Un trait de la noblesse spirituelle de Jean apparaît à l’évidence dans son comportement. Depuis des générations, l’âme chrétienne reste fascinée par l’assurance avec laquelle, d’une part, il désigne avec autorité le Sauveur – ce fameux doigt pointé dans sa direction et mainte fois représenté dans l’art, jusque dans nos stalles ici à Hauterive – et, d’autre part, sa capacité à s’effacer devant le Messie. Enfouissement humble qui culminera en cette parole que nous pouvons tous reprendre à notre compte : « il faut qu’Il grandisse et que moi je diminue » (Jn 3, 30). Oui, dans son effacement même, Jean se montre vraiment grand et trahit, comme malgré lui, combien la « joie qui est la sienne est à son comble », en effet (ibid. 29) !

Jean a puisé son zèle dans un désir clair, et certainement cultivé aussi, d’obéir à l’appel reçu dans le secret du cœur – appel par lequel Dieu avait voulu faire de lui celui qui aurait pour mission de désigner au monde le Sauveur. Il avait compris que cette tâche ne souffrait pas de demi-mesure… et nous savons jusqu’où cela le conduisit : au martyre, par lequel il rendit son ultime témoignage à la vérité. En cela aussi, il fut le « précurseur » de Celui qu’il annonçait.

De son côté, saint Paul, dès le commencement de sa première lettre aux Corinthiens, affirme d’un ton comparable à celui de Jean, qu’il a été « appelé par la volonté de Dieu pour être Apôtre du Christ ». Frères et sœurs, nous ne pouvons nous contenter d’écouter ces paroles en applaudissant sur la touche d’un air admiratif, tout en restant bien confortablement vissés sur nos sièges ! L’apôtre s’empresse en effet de s’exclamer à l’adresse de ses destinataires : « vous les fidèles qui êtes, par appel de Dieu, le peuple saint »… à l’instar de Paul et de Jean Baptiste, nous aussi sommes donc des appelés, appelés à être témoins de Celui qui fut dévoilé au prophète Isaïe comme « la lumière des nations » (49, 6), Celui qui, un jour que chacun de nous connaît et ne peut oublier, est venu toucher notre cœur en nous révélant que « nous avons du prix à ses yeux » (cf. v. 5).

Celui-là donc attend que le salut « parvienne jusqu’aux extrémités de la terre » (ibid., v. 6) et c’est à nous – premiers bénéficiaires de cette grâce – qu’il revient de l’annoncer. Souvenons-nous combien notre cœur était dans le désarroi au temps où il était privé de cette Lumière : en nous faisant ce don de la connaissance du Christ et de son amour tout pétri de miséricorde envers nous, Dieu nous a en même temps constitués ses ambassadeurs auprès de ceux qui sont encore dans l’attente. Usant de termes que nous n’aurions jamais osé nous appliquer à nous-mêmes, Jésus n’hésite pas à nous dire en effet que nous sommes « la lumière du monde » (Mt 5, 14). Non pas que nous le soyons par nous-mêmes, évidemment, mais nous le sommes pourtant en vérité à proportion que nous demeurons fidèles à cette lumière reçue en nos cœurs, et que nous sommes assidus à l’alimenter à cette seule et unique Lumière, source de toutes les autres, que le Christ est en personne (cf. Jn 8, 12).

Certes, cette perspective est exigeante. Elle réclame de nous une cohérence entre la vie et les paroles. Souvent même, elle impliquera de se tenir prêts à essuyer la moquerie ou l’indifférence et à faire face sans lâcheté à l’esprit du monde, en ce qu’il est mensonge qui ne peut aucunement rassasier le cœur profond de l’homme. Si nous sommes normalement constitués, ce tableau a de quoi nous effrayer, comme il effraya les premiers apôtres. Toutefois, nous ne pouvons oublier que Jésus ne reste jamais sourd quand – à l’heure de l’hésitation ou de l’épreuve – nous Lui demandons de ne pas nous abandonner. Comme pour les disciples d’Emmaüs Le sommant de rester avec eux – « mane nobiscum Domine ; reste avec nous, Seigneur ! » –, Il répond toujours à ce cri par sa présence réconfortante et apaisante. A vrai dire, Il y a déjà suprêmement répondu à l’adresse de toutes les époques et des hommes de tous les temps dans le Sacrement de l’Eucharistie ; en cette Année de l’Eucharistie, il convient plus que jamais d’intensifier en nous la conscience de ce Don qui résume tous les autres.

« Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde », clamait déjà Jean Baptiste avec détermination. Voici Celui qui apporte la vraie libération du cœur de l’homme ! Cette formule trois fois répétée dans le chant de l’Agnus Dei, puis reprise par le prêtre au moment où il présente l’hostie à tout le peuple avant la communion, ne nous est pas inconnue : c’est par elle que nous affirmons notre foi, c’est de cette façon que nous disons au Seigneur qu’en Lui réside notre indéfectible espérance, et c’est par ces mots enfin que nous Lui ouvrons la porte de notre cœur pour qu’Il vienne le nourrir, le vivifier et y établir sa demeure. Telle est notre joie ! Fasse le Seigneur que nous puissions la communiquer à ceux à qui Il veut se révéler à travers nous !

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