Messe du 9e dimanche ordinaire

Abbé Bernard SONNEY, à l’église St-Maurice, Pully (VD)

Lectures bibliques : Dt 5, 12-15; 2 Co 4, 6-11; Mc 2, 23-6

Les extrêmes se rejoignent. C’est bien connu. Au-delà de l’espace et du temps, un même principe anime tout à la fois les managers et les partisans de l’observance pure et dure du sabbat. Les managers affirment que le temps, c’est de l’argent. Les partisans du sabbat, eux, prônent la suspension complète du travail. Mais les uns et les autres organisent tout – et jusque dans les moindres détails – afin de ne pas dévier de l’objectif qu’ils se sont fixé. Mais voilà, l’investissement engagé dans la mise enœuvre d’un objectif est tel, qu’il ne laisse parfois plus guère le loisir de se rappeler quel est l’objectif ultime de tout ce qui est entrepris. A viser la meilleure productivité, on en vient à ne plus très bien savoir ce que l’on vaut. A courir la sainteté – tout en comptant ses pas le jour du sabbat -, on en oublie l’origine et la destination, et l’on tourne en rond.

Au vu des conséquences, nous serions tentés de moduler sur les paroles du Christ pour le constater (déplorer) : « La sabbat est fait PAR l’homme, et non pas l’homme PAR le sabbat ». Or le Christ s’insurge contre cette dérive où l’homme risque de n’en devenir plus qu’une contrefaçon. Si nous bradons le sabbat (entendons le dimanche), pour faire tout et n’importe quoi ou si, à l’inverse, nous figeons l’intention de Dieu dans des lois étriquées, nous aboutissons au même résultat. Nous devenons des esclaves du travail dans une économie de marché débridée ou des esclaves du sacré dans une religion sclérosée.

Nous sommes là très exactement aux antipodes de ce que propose l’authentique célébration du sabbat. Ce jour de repos procure aux croyants du « temps libre » afin de respirer, de vivre en famille, avec les amis, afin – c’est essentiel – de recentrer leur vie sur Dieu – à l’écoute de sa parole et dans la prière. Célébrer le sabbat, c’est rappeler que le Seigneur Dieu a arraché ses enfants à la servitude des travaux forcés en Egypte. Le Seigneur s’est révélé dans un acte sauveur et libérateur. Il s’est déclaré le Dieu d’un peuple qu’il rend libre et responsable. Chaque sabbat permet de s’en souvenir et d’y goûter.

Le Christ restitue tout son sens au sabbat dans une infraction qu’il commet à l’égard de la stricte loi de ce jour sacré. Il atteste ainsi que le Seigneur offre et offrira toujours la liberté et la vie. En témoigne cet homme handicapé qui recouvre l’usage de sa main.

Parce qu’il nous connaît mieux que nous nous connaissons nous-mêmes, le Seigneur sait aussi que cette liberté est fragile – et qu’elle est sans cesse menacée. D’où son désir de la garantir lui-même dans une étroite relation à celles et ceux qu’il délivre de toute forme d’esclavage.

Ceci apparaît clairement dans le fameux décalogue, cette charte d’alliance que le Seigneur introduit en ces termes : Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison d’esclavage (Dt 5, 5). Vous connaissez le premier commandement, la première des « dix paroles » : Tu n’auras pas d’autres dieux que moi (Dt 5, 6) Tu adoreras Dieu seul et tu l’aimeras par-dessus tout. Ce commandement se répète dans les neufs suivants, puisque ceux-ci stigmatisent diverses formes d’idolâtrie. La violence, le sexe, le pouvoir, les richesses s’érigent parfois – avec notre complicité – en idoles.

De ce fait, nous risquons de servir des idoles que nous avons fabriquées, de nous laisser asservir à ces faux dieux ou d’exploiter les autres en leur nom. Au cœur du décalogue, le précepte du sabbat court-circuite cette tentation. Il interrompt notre travail – notre production -, nous incite à prendre de la distance. Nous prenons alors conscience que nous avons reçu la vie, que nous recevons du Seigneur l’énergie, les facultés avec lesquelles nous créons à notre tour. Nous mesurons qu’un autre – le Seigneur – agit à travers nous.

« Le sabbat a été fait pour nous », pour notre bien, pour que nous fassions à notre tour le bien. Nos pensées, nos paroles, nos gestes inspirés par le Seigneur reflètent sa présence ici, aujourd’hui. Nos engagements à l’égard de ceux dont les conditions de travail ou de vie ressemblent tragiquement à des formes d’esclavage rendent visible l’amour du Seigneur qui ne « chôme » jamais.

Si nous nous sentons parfois désaccordés, la célébration du « Jour du Seigneur » – la mémoire du Ressuscité – s’offre à nous comme l’occasion privilégiée de nous accorder à ce grand souffle de liberté qui traverse toute l’histoire de l’alliance, qui nous saisit et nous rend aptes à aimer en actes et en vérité.
Amen.

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