Messe du 7e dimanche ordinaire

 

Chanoine Jean-Claude Crivelli, à l’Institut La Pelouse, Bex, le 18 février 2001.

Lectures bibliques : 1 Samuel 26, 2-23; 1 Corinthiens 15, 45-49; Luc 6, 27-38

Juste avant la transmission – alors que nous nous trouvions dans la mise en place de cette messe et que j’avais autre chose à faire qu’à écouter les balivernes d’un correspondant – un collègue me fait demander au téléphone. Vous savez, une de ces personnes dont on confie à sa secrétaire : « Si ce Monsieur m’appelle, dites que je suis occupé… ou absent ! ». Un « casse-pieds au cube » selon l’expression pittoresque d’un confrère. Je prends donc la communication en maugréant; le brave collègue m’explique qu’il se trouve dans un embarras extrême : en effet il avait prévu d’enregistrer la messe sur Espace 2, mais au dernier moment il s’était aperçu qu’il n’avait plus de cassette disponible. Alors il me demande si moi je ne pourrais pas faire l’enregistrement, ici sur place, et le lui expédier… bien sûr en courrier B; c’est moins coûteux !

Nous connaissons tous des situations semblables. Ces graves questions métaphysiques qui vous arrivent au moment le plus inopportun. Certains d’entre vous, tout comme moi – surtout si vous travaillez dans un secrétariat – ont appris à évaluer dans les premières secondes d’un appel si ce dernier vaut la peine d’être prolongé ou si au contraire il faut couper court parce que le client n’est pas intéressant.

Moi tout à l’heure je me trouvais bien ennuyé. Parce qu’ayant lu l’évangile de ce dimanche, j’avais dans l’esprit cette petite phrase de Jésus : A celui qui te prend ton manteau, laisse prendre aussi ta tunique… donne à qui te demande. Ou encore : la mesure dont vous vous servez pour les autres servira aussi pour vous. L’évangile a parfois de ces petites phrases…qui vous compliquent singulièrement la vie. En fait l’évangile, lui, est simple, limpide, net, transparent. Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. A celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre. Donne à quiconque te demande, et ne réclame pas à celui qui te vole. Etc… Des aphorismes de ce genre – des apophtegmes comme disaient les Anciens – l’évangile en est tissé. L’esquive bien sûr existe : « Faut tout de même pas prendre ça au pied de la lettre ! » ou bien : « C’est une image ! ».

Certes. Mais la vertu de ces images, la force du langage biblique tellement concret, c’est de nous introduire directement, sans détour, au cœur du sujet. Le sujet, c’est-à-dire le Christ lui-même dont plusieurs de nos contemporains se réclament, jusque dans les programmes politiques. Rien n’est simple, mais tout se complique lorsque vous essayez d’imiter celui qui a présenté son dos à ceux qui le frappaient, et ses joues à ceux qui lui arrachaient la barbe (cf. Is 50).

Le monde des hommes est livré aux mains de prédateurs qui ne vous lâchent pas jusqu’à votre lit de mort. Tout peut devenir objet de profit : l’humanitaire, la santé, la maladie, les EMS… et même les œuvres d’Eglise. Depuis Caïn, la violence habite le monde, déstructure les relations entre les êtres; violence tapie dans le cœur de chacun de nous et qui ne demande qu’à prendre le pouvoir. C’est une force instinctive. Vu par Dieu, l’amour n’est jamais naturel; entendez : aimer comme Dieu aime. Il n’est pas normal d’aimer ses ennemis, de faire du bien à ceux qui vous cassent les pieds, qui répandent calomnies ou médisances sur votre compte (si vous ne voyez pas la différence entre les deux, consultez le dictionnaire !), de faire du bien sans vraiment, sincèrement, attendre quelque reconnaissance de la part de l’autre; d’épargner son adversaire alors que l’occasion rêvée vous est offerte de lui faire du mal, de l’humilier. Relisons la 1ère lecture et admirons la grandeur d’âme de David. Mieux qu’un western : c’est l’histoire sainte, l’histoire du salut qui est en marche déjà, quelque mille ans avant Jésus Christ… Ce que nous appelons histoire sainte, c’est tout simplement celle d’hommes et de femmes qui un jour ont compris cette chose toute simple : la lutte contre la violence est un combat que l’homme doit mener à l’intérieur de lui-même. Un combat contre soi-même d’abord, et non pas contre l’autre. Quand l’homme commence à saisir que les terres dévastées par la guerre se trouvent en lui-même d’abord et qu’il se met à travailler son propre paysage intérieur pour le pacifier, alors du même coup il se surprend à regarder l’autre d’un œil neuf; il mesure le monde autrement, de cette mesure dont il aimerait qu’on se serve pour lui un jour.

Cette mesure sans mesure dont le Christ nous entretient dans l’évangile de ce dimanche. Tiens ! Encore une image à ne pas laisser filer ! Une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante. Agir ainsi c’est être du Christ; c’est être « chrétien » vraiment, faire honneur à ce beau nom. C’est participer de cet Adam nouveau, pétri de ciel, et non plus seulement de terre (cf. 2ème lecture).

Puisse l’Eucharistie qui en ce dimanche rassemble les chrétiens, ici et là de par le monde, renouveler en eux « la mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante » de la miséricorde. Qu’ils ne puissent ainsi donner à leurs frères et sœurs humains point d’autre visage que celui de l’Amour sans mesure !

 

 

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