Messe du 6e dimanche du temps ordinaire

 

Abbé Jean-Pascal Vacher, église St-Jean, Fribourg, le 12 février 2012
Lectures bibliques : Lévites 13, 1-2, 45-46; 1 Corinthiens 10, 31 – 11,1; Marc 1, 40-45 – Année B

Jésus veut que nous venions le toucher avec tout notre être.

Chers frères et sœurs, et vous toutes et tous qui nous rejoignez par les ondes et qui êtes précieux aux yeux de Dieu, deux faits de l’Ancien Testament vont éclairer notre compréhension de l’évangile, et par conséquent notre manière de nous approcher de Jésus.

Premier fait (cf. 2 S 24) : le roi David ordonne le recensement de tout son peuple. Après les résultats, il prend conscience qu’il a commis un grave péché. Un prophète envoyé de Dieu lui confirme sa culpabilité et lui propose à choix de la part de Dieu trois châtiments. David, connaissant d’expérience la miséricorde de Dieu, choisit de tomber de préférence entre les mains du Tout-puissant plutôt que d’être livré entre les mains de ses ennemis. La peste survient pendant trois jours !

Deuxième fait (cf.1 S 4) : dans une période d’infidélité à Dieu, après une défaite militaire cuisante, le peuple d’Israël fait venir l’arche d’Alliance au milieu de ses troupes, espérant fermement échapper à la domination de leurs adversaires. L’armée ennemie prend peur. Maintenant que Dieu est là, Israël se sent en confiance. Le combat s’engage. Pourtant, la défaite est totale !

Ces deux faits nous apparaissent sibyllins. En quoi un recensement serait-il un péché ? Pourquoi, Dieu présent, n’aide-t-Il pas son peuple dans les conflits de la guerre?

En ordonnant le recensement, David affirmait avoir la maîtrise sur le peuple de Dieu. En quelque sorte, il disait vouloir faire l’économie de Dieu. Il n’en avait plus besoin ! Il maîtrisait tout ! Cette attitude est une fermeture de cœur à l’irruption de Dieu ! Elle refuse à Dieu la possibilité de nous surprendre ! Elle Lui refuse la possibilité d’intervenir dans nos vies ! C’est en cela qu’il s’agissait d’un grand péché ! Dieu n’a plus rien à faire avec nous ! Il est mis de côté !

En faisant venir l’arche d’Alliance au milieu d’eux, mais sans aucune intention d’accorder réellement leur vie à la volonté de Dieu, les fils d’Israël considéraient Dieu comme un truc : « J’appelle Dieu ! Il vient ! Ça marche ! Je suis délivré ! Je n’ai pas besoin de m’impliquer ! Je suis dispensé de me convertir ! Je fais de Dieu mon esclave ! Il est à mon service quand j’en ai besoin, comme j’en ai besoin ! Et si je n’en ai pas besoin, je Le mets de côté !» C’est une conception magique de ma relation à Dieu ! Dieu n’est plus Dieu !

Manifestement, ces deux conceptions très proches l’une de l’autre faussent l’image de Dieu en nous. Elles nous empêchent de découvrir Dieu en vérité. Elles nous empêchent de bénéficier de la force de son amour. Et somme toute, elles restent très actuelles. Notre monde avec ses progrès techniques considérables ne nous donnent-t-ils pas l’illusion de pouvoir bientôt tout maîtriser et par conséquent de pouvoir nous passer de Dieu ? Et lorsque nous faisons encore appel à Dieu, n’avons-nous pas aussi tendance à Le considérer comme un produit de consommation comme un autre ? Reconnaître que nous participons de cette mentalité et qu’elle peut polluer notre esprit, c’est déjà nous mettre sur la voie de la guérison en posant le bon diagnostique !

L’attitude de Jésus dans l’Evangile nous découvre quelque chose de tout différent. Elle nous fait comprendre celle de Dieu dans l’Ancien Testament. Impossible d’enfermer Jésus dans nos catégories humaines étriquées ! Jésus nous surprend toujours ! Il nous invite à rester ouvert à ses initiatives ! L’attitude du lépreux à l’égard de Jésus est en cela d’une justesse admirable ! Elle nous apprend à recevoir de Dieu ce que Lui veut nous donner. Et ce qu’Il veut nous donner est toujours mieux que ce que nous pouvons imaginer parce qu’Il nous aime à la folie !

Le malade atteint de la lèpre était déclaré immonde. Il devait lui-même manifester par des signes son exclusion de la société. Il devait éviter tous contacts avec ses semblables. La lèpre constituait par conséquent une sorte de mort religieuse et civile, et sa guérison une sorte de résurrection. En s’approchant de Jésus, le lépreux sait qu’il ne maîtrise rien, et surtout pas sa maladie. Il affirme sa foi en Jésus. Il est convaincu qu’il peut tout. Sa confiance est totale. Par sa prière, il s’ouvre à l’action de Jésus, et attend humblement sa réponse : « Si tu le veux, tu peux me purifier. » Son cœur est totalement impliqué et son corps l’exprime : « Il tombe à genoux et supplie Jésus. » Dans sa liberté souveraine, Jésus répond également en impliquant tout son cœur. Il pose aussi un geste corporel très sensible : « Pris de pitié devant cet homme, Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : « Je le veux, sois purifié. » Et la guérison survient à l’instant même !

Nous devons encore aller plus loin pour découvrir toute la profondeur du geste affectueux de Jésus à l’égard du lépreux. Ce lépreux est figure du Christ en sa passion. Jésus voit en lui sa destinée. Il sera rejeté par le peuple et défiguré par les outrages. Mais c’est justement ses plaies conservées par la puissance de sa résurrection qui deviennent source de relèvement pour tous les hommes.

C’est aussi en contemplant le crucifié que nous pouvons comprendre pourquoi, tout au long de l’histoire, Jésus ne guérit pas tous les malades et ne nous libère pas de toutes nos épreuves, alors qu’il en a le pouvoir. Certains malades, il les guérit pour donner un signe visible qu’il est le Sauveur. Certains autres qui n’obtiennent pas la guérison alors qu’ils l’ont imploré avec confiance, il les associe à ses souffrances. Le don, tout en étant plus mystérieux, n’est pas moindre. L’action de Jésus dans le secret du cœur prépare à celui qui vit l’épreuve dans l’amour, un poids extraordinaire de gloire pour l’éternité. Pour l’instant, la victoire n’est pas visible, mais elle sera encore plus éclatante au-delà de la mort !

Dans l’histoire de l’Eglise est demeuré célèbre l’épisode de la rencontre entre saint François d’Assise et le lépreux. Il est proche de notre évangile. Il illustre bien l’intervention de Dieu qui bouleverse notre mentalité. François était jeune. Il venait de donner son cœur à Jésus. Alors que, parmi toutes les horreurs de la misère humaine, il éprouvait instinctivement une répugnance particulière pour les lépreux. Voilà qu’il en rencontre un au cours d’une randonnée à cheval. Il a un frisson, mais pour ne pas trahir sa décision de devenir « chevalier du Christ », il saute de selle, et au lépreux qui lui tend la main, il remet de l’argent et l’embrasse. A ce moment l’Esprit du Christ fait irruption dans le cœur de François. Il lui donne de poser ce geste de tendre compassion avec une telle intensité qu’il devient pour le lépreux et pour lui expérience de la tendresse inconditionnelle de Dieu. Ce lépreux ne semble pas avoir été guéri ! Pourtant, par ce geste, il a reçu plus que la guérison physique. Il a reçu la certitude d’être aimé de Dieu. C’est l’amour qui sauve ! C’est l’amour qui guérit ! Du reste, une guérison physique sans amour n’apporterait pas la joie  à notre âme !

Si saint François a eu un tel rayonnement, c’est parce qu’il allait boire à la source en se laissant surprendre par la logique de Dieu dont la puissance nous rejoint par des gestes tout simples, tout humbles, par des gestes matériels qui correspondent au mystère de l’Incarnation. Il allait en pauvre, le cœur tout ouvert s’abreuver à la richesse du Coeur du Christ dont la vie jaillit par les sacrements.

Aujourd’hui encore, par les sacrements, Jésus fait irruption dans nos vies. Dans l’Eucharistie, il se rend réellement présent et nous offre sa communion. Il nous invite à le rejoindre à la messe, ou si nous ne pouvons plus nous déplacer en lui demandant de venir à nous dans notre maison par le ministère d’un prêtre ou d’un auxiliaire de la communion. Par le sacrement du pardon, il agit pour notre guérison spirituelle. Par l’onction des malades, il donne à celui qui est sérieusement atteint dans sa santé la force de vivre son épreuve en union avec sa passion ; et même s’il ne lui apporte pas toujours la guérison physique, il se penche vers lui avec amour pour le soutenir intérieurement en lui manifestant la bonté de Dieu. Dans tous les autres sacrements, Jésus intervient pour notre relèvement. Mais pour que la Vie qu’il veut nous donner en plénitude parce qu’il nous aime, se répande dans notre cœur pour notre joie, il est nécessaire que notre cœur lui appartienne. L’efficacité des sacrements n’est pas magique. Elle n’est pas automatique. Elle porte ses fruits dans la mesure où notre cœur est ouvert à la grâce de Dieu, où notre liberté accueille la surprise de Dieu. Jésus veut que nous venions le toucher avec tout notre être. Il veut que nous venions le toucher avec une foi vive qui s’exprime par tous les gestes de notre vie quotidienne, même les plus humbles de notre corps.

L’initiative de Dieu et les dispositions de notre cœur, nous les avons demandées dans la prière d’ouverture : « Dieu qui veut habiter les cœurs droits et sincères, donne-nous de vivre selon ta grâce, alors tu pourras venir en nous pour y faire ta demeure. Par Jésus le Christ. Amen. 

 

 

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