Messe du 3ème dimanche de l’Avent

 


Père Jean Emmanuel de Ena, carme, à la chapelle des Rédemptoristes, Matran, FR, le 12 décembre 2004
Lectures bibliques : Isaïe 35, 1-10; Jacques 5, 7-10; Matthieu 11, 2-11 – Année A

« Adieu tristesse
Bonjour tristesse
Tu es inscrite dans les lignes du plafond
Tu es inscrite dans les yeux que j’aime (…) »

Ces quelques vers du poète Paul Éluard ont donné son titre à l’un des romans français les plus célèbres du XXe siècle, « Bonjour tristesse », et dont on a beaucoup parlé dans les médias cette année à l’occasion de la mort de sa sulfureuse auteure, Françoise Sagan. Pourquoi un tel succès pour un premier roman d’une jeune femme alors inconnue, presque une adolescente avec ses dix-huit ans à peine révolus ? Certes, la langue en est admirable : qu’il suffise de citer la première phrase du livre (et j’ai là une pensée compatissante pour les traducteurs d’homélies des télévisions alémanique et tessinoise !) : « Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. C’est un sentiment si complet, si égoïste que j’en ai presque honte alors que la tristesse m’a toujours paru honorable ». Mais la beauté de la langue n’explique pas tout.

Si ce roman est devenu rapidement un best-seller, et même aujourd’hui un classique étudié à l’école, c’est parce qu’il « colle à la peau » d’une époque, c’est parce que toute une génération s’est reconnue (et peut-être nous-mêmes aujourd’hui, en ce matin ?), dans son ton léger et désabusé.

Et, en effet frères et sœurs, dès que nous ouvrons notre journal à l’heure du café et que nous regardons notre journal télévisé à l’heure du souper, il semble que tout nous chante d’un petit air lancinant, obsédant, parfois sinistre : « bonjour tristesse ! ». Et même si nous nous tournons vers notre vie familiale ou sociale, il semble que tout ne soit plus aujourd’hui autour de nous que divorces, suicides de jeunes ou de moins jeunes, chômage, drogue, etc. : « bonjour tristesse… ». Allons-nous alors rencontrer une consolation du côté de « la religion » ?! Que nenni, pas du tout ! Il semble qu’on ne parle plus aujourd’hui que de crise des vocations, de prêtres pédophiles, de luttes acharnées entre progressistes et conservateurs, entre charismatiques et pastoraux, entre prêtres et laïcs… « bonjour tristesse… ».

Comment alors, chers amis, chers téléspectateurs, oser dire, oser même chanter en ce troisième dimanche de l’Avent, le dimanche de la Joie (de Gaudete en latin) : « Le désert et la terre de la soif qu’ils se réjouissent ! Le pays aride…qu’il exulte et crie de joie ! ». Les chrétiens seraient-ils de doux rêveurs complètement à côté de leurs pompes, pire encore à côté des vrais soucis de leur époque ? Auraient-ils raison nos adversaires lorsqu’ils accusent notre foi d’être l’opium des peuples, un moyen trop facile de rendre supportable l’insupportable ? Et puis cela ne fait-il pas 2000 ans que l’on n’arrête pas de nous dire, comme dans la seconde lecture : « ayez de la patience vous aussi, et soyez fermes, car la venue du Seigneur est proche » : depuis le temps que l’on attend ce retour du Christ et qu’on ne voit rien venir, ne pourrait-on pas croire qu’il y a publicité mensongère ?

Au fond, si nous réfléchissons bien, notre question est la même que celle de Jean Baptiste au fond de sa prison. Souvenez-vous de Jean Baptiste le prophète, le cousin de Jésus : lui qui criait dans le désert avec force et assurance « Préparez le chemin du Seigneur », il est aujourd’hui beaucoup moins sûr de lui puisqu’il envoie demander par ses disciples à Jésus : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » Car, effectivement, Jean Baptiste est quelque peu déconcerté. Jésus ne correspond pas tout à fait (c’est le moins que l’on puisse dire…) à l’image qu’il s’était faite du Messie, du Libérateur d’Israël : il s’était imaginé un prophète au moins aussi grand que Moïse envoyant les dix plaies d’Egypte sur les Pharaons du moment, c’est-à-dire les Romains et le roi Hérode. Au lieu de cela, les disciples de Jean viennent lui raconter dans sa prison que ce Ieshoua se comporte plus comme un rabbin itinérant que comme un digne descendant du roi David, capable d’entraîner tout le peuple derrière lui…

Nous aussi nous sommes déconcertés car Dieu ne correspond pas du tout à nos attentes : nous voudrions tant un Dieu qui ressemble à une sorte de super-Harry Potter, un Jésus qui d’un coup de baguette magique viendrait chasser toutes les tristesses, tout le mal de nos vies !! « Es-tu vraiment celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre plus puissant, plus efficace que ce bébé dans la crèche, ce condamné à mort sur une croix ? » D’ailleurs, après tant d’espoirs déçus, vaut-il encore la peine d’attendre quelque chose ?…

Un proverbe chinois dit : « un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse ». Et si nos tristesses, nos déceptions, nos désespoirs parfois, provenaient de notre incapacité à percevoir cette forêt, abasourdis que nous sommes par le fracas du monde extérieur… et intérieur ! Et si Jésus nous invitait en ce matin d’Avent, quelque soit notre situation et notre légitime tristesse à voir et à entendre ce qui se passe réellement autour de nous et en nous : des aveugles à cause de leur suffisance deviennent enfin lucides et se convertissent pour voir leur prochain, des boiteux de la vie sentent leurs genoux s’affermir et leur courage grandir, des lépreux de l’égoïsme sont purifiés et se mettent au service de la communauté, les morts-vivants sous les coups de la torture ressuscitent grâce à la prière et à la parole de leurs frères et sœurs humains, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres.

Car il y a, enfin !, une Bonne et Extraordinaire Nouvelle : Dieu lui-même, Dieu en personne, Dieu en chair et en os oserais-je dire en pensant à l’Incarnation, vient. Et Il vient pour nous sauver de toutes nos tristesses extérieures et intérieures. Il vient et Il revient au soir de ce monde et de chacune de nos vies pour juger le poids d’amour de nos vies.

« Adieu mort et tristesse
Bonjour l’allégresse
Tu es inscrite dans les lignes de nos êtres
Tu es inscrite dans les yeux que j’aime. »

Alors, mais alors seulement, et c’est tout l’objet de notre espérance, s’élèvera dans Jérusalem « une clameur de joie, un bonheur sans fin illuminera nos visages, allégresse et joie les rejoindront, douleur et plainte s’enfuiront ».

Qu’il en soit ainsi ! Amen. Maranatha, viens Seigneur Jésus.

 

 

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