Messe du 3e dimanche de Pâques

Abbé Michel Demierre, à l’église St-Maurice, Ursy, le 8 mai 2011
Lectures bibliques : Actes 2, 14.22-28; 1 Pierre 1, 17-21; Luc 24,13-35 – Année C

 

Frères et sœurs,

« C’était au soir tombant ». Sur une route déserte, deux voyageurs tournent le dos à Jérusalem. Les deux heures de marche qui les séparent de leur village leur donnent le temps de discuter des événements survenus durant la dernière Pâque. Quel rayon de lumière pourrait éclairer l’ombre épaisse de leur désespoir ? Pour eux, l’histoire s’est arrêtée la veille, avec la mort de Jésus : ils y avaient cru, ils sont tragiquement déçus.
Des rêves brisés, de belles aventures brutalement interrompues, nous en connaissons sans doute. Ce temps de Pâques n’abolit pas la tristesse du deuil qui, un jour, touche chacun. Après le départ d’un être aimé, le décor dans lequel on vivait avec lui demeure : il rappelle sa présence et on doit vivre l’absence.

Cléophas et son ami se disaient peut-être le soir de Pâques : A quoi bon rester à Jérusalem. Dans le décor de la ville, tout parle du Christ. Mais il est mort : le retour au village leur semblait une protection adéquate contre le désespoir.
Je les imagine au pied du vitrail de Noé, dans cette église, effrayés qu’ils sont encore par le déluge de mauvaise foi dont a été victime le Christ, écœurés par le déferlement de suffisance et de dédain qu’ils ont constatés à l’égard de leur maître. Ils n’ont plus de courage. Ils cherchent une protection pour survivre.
Emmaüs, leur village pourrait remplir le même rôle que l’arche dans laquelle Noé et son monde s’étaient réfugiés en attendant la fin de la furie des eaux. Leur village pourrait être la bulle protectrice, garante du retour à la paix du cœur. Ils regarderont le ciel de leur village, guettant l’arrivée d’une colombe, avec, dans son bec, le rameau du renouveau, comme elle l’avait fait pour ceux qui s’étaient réfugiés dans l’arche protectrice. Y croyaient-ils vraiment ?
On soupçonne le contenu de leurs discussions, sur la route, Ils étaient des connaisseurs de la loi que Dieu avait confiée à Moïse, alors qu’il conduisait son peuple à travers le désert. Le don de cette loi est représenté dans un vitrail. C’est aussi les dix commandements dont le nombre est incrusté dans le marbre de Carrare de la chaire de notre église.
La loi fixait les comportements que devait adopter le peuple de Dieu. Cette loi, Jésus en avait précisé le sens et la limite, ce qui avait irrité les docteurs en interprétation. Leur autorité légaliste, peu ouverte à la liberté, s’était sentie menacée. Avec conviction, les plus immodestes d’entre eux avaient travaillé à la disparition du Christ, devenu gêneur.
Les disciples avaient espéré, en Lui, l’instaurateur d’un royaume attendu depuis des siècles, le Seigneur capable d’anéantir les oppressions. Sur la fin, ils n’avaient pu qu’observer, de loin, pitoyables et incrédules, Jésus, sur le chemin de la croix. « Nous attendions du Messie qu’il sauve Israël, et non qu’il meure sur une croix !… nos attentes s’étaient affermies, en entendant les Hosanna des Rameaux, lors de l’entrée triomphale à Jérusalem ! La réalité fut l’effondrement de notre espérance dans l’ignominie de la passion ! Notre leader a été assassiné… »
Tournant le dos à ce cauchemar, sur la route d’Emmaüs les deux disciples sont donc rejoints par un inconnu. Leur découverte devient la nôtre : le Seigneur chemine avec nous, la nuit comme le jour… « Jésus s’insère dans le champ de leur conversation. Ils ressentent chez-lui une sympathie « à priori » à leur égard, une attention à leur façon de penser et de sentir.
Sa manière de faire, sur le chemin d’Emmaüs, devrait nous inspirer. Lorsque, par exemple, dans les débats de société ou dans la discrétion de nos familles, nous souhaitons rendre un peu plus désirable à notre génération la saveur de l’Evangile.
Ils paraissent nombreux, en effet, ceux qui, aujourd’hui, tournent le dos au message des Ecritures. Certes, l’enfant de la crèche fait encore partie du décor lumineux de nos fins d’années.
Mais, la Parole de Jésus adulte, ce qu’il est devenu en grandissant, ont-ils encore de l’intérêt ? Il faut reconnaître que ce message est souvent perçu comme une lourdeur peu libératrice.
Le voyageur qui a rejoint nos deux marcheurs ne tourne pas le dos à leurs préoccupations ; mais ils ne peuvent soupçonner que le Sauveur attendu, c’est LUI… Il est à leurs côtés, celui qui reçut le baptême de Jean-Baptiste, et fut identifié alors par le Père comme son Fils bien-aimé.
Messie envoyé par le Père, Il a été crucifié. Tout leur monde s’est écroulé. Ils tournent le dos au calvaire. Vers Emmaüs, cependant, un compagnon inconnu réchauffe quelque chose d’indicible dans leur cœur. Quelque chose qui leur dit que tout n’est pas effacé par l’échec de leur maître. Il doit y avoir une clé quelque part, mais ils ne la trouvent pas.
Comme des enfants qui cherchent un objet caché et à qui l’on dit «c’est froid ou ça brûle » et qui continuent de chercher, ils cherchent encore. Ils sont en route. Leur cœur est brûlant : il est proche de la fulgurance qui, enfin, leur donnera le sens.
« Reste avec nous ! » Les voici à table… avec celui dont ils ne connaissent pas encore l’identité mais qui vient d’accepter leur invitation conviviale. C’est le moment choisi par saint Luc pour nous révéler que le signe de reconnaissance de Jésus vivant après sa mort, c’est la fraction du pain.
Depuis ce moment-là, nous croyons que la fraction du pain, la célébration eucharistique d’aujourd’hui, nous fait rencontrer le Ressuscité. Comme ce fut le cas pour les disciples d’Emmaüs. Dès qu’il est reconnu Jésus disparaît à leurs yeux, mais il devient d’autant plus présent dans leur vie.

Les deux pèlerins qui avaient dissuadé l’inconnu de poursuivre son chemin, se remettent eux-mêmes en route. Ils retournent à Jérusalem, le souffle court, non pas à cause de la route qui monte, mais à cause de l’annonce qu’ils vont faire aux disciples. Leur témoignage s’accordera avec les autres apparitions du Ressuscité. Toutes ces apparitions nous sont transmises par les Evangélistes représentés dans les vitraux de notre église et qui nous disent, chacun à leur manière :
Restez en chemin, car le Christ vous rejoint !
Lisez les Ecritures, elles montrent le chemin vers l’au-delà !
N’oubliez pas la fraction du pain : le Ressuscité y a placé sa présence privilégiée sur le chemin de la vie.

Symbole de souffrance et de mort, Jérusalem devient, l’espace de cet Evangile, l’endroit d’où nous est arrivée la certitude joyeuse que Jésus est ressuscité. Le matin de Pâques confirme son destin en tant que ville de la paix et nous l’acclamons : « Vous qui aimez Jérusalem, réjouissez-vous de sa joie. » Amen.

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