Messe du 3e dimanche de Carême

 

Abbé Bernard de Chastonay, à la cathédrale Notre-Dame, Sion, le 27 mars 2011
Lectures bibliques : Exode 1, 3-7; Romains 5, 1-8; Jean 4, 5-42 – Année A

Chers amis, chers malades, chers frères et sœurs dans le Christ,

Au bord d’un puits. En plein midi. La chaleur, plus la fatigue de la route. Et la faim – les disciples sont allés à la ville acheter quelques nourritures… Après une longue marche, il y a de quoi rêver à une pause bienvenue. Jésus apprécie.

Mais le jeu des rencontres spontanées peut troubler un tel rêve. Voilà Jésus aux prises avec une femme de Samarie à laquelle il n’hésite pas à demander à boire. Quelle drôle d’idée a cette femme : venir au puits en pleine chaleur ! Sans doute le fait-elle pour ne rencontrer personne : avec sa réputation, on ne sait jamais ! Et quelle audace et quel souverain mépris des convenances chez Jésus. Un homme, Juif, qui s’adresse à une femme de Samarie… c’est le monde à l’envers quand on connaît le rôle respectif des hommes et des femmes à l’époque, et l’indifférence ou la haine qui marquait les relations entre Juifs et Samaritains.

Tout aurait dû les séparer, sauf peut-être le puits. Dans une région aride le puits joue un rôle capital et conditionne toute la vie du village et de la communauté. Lieu incontournable – comment vivre sans eau ? le puits donne l’occasion aux gens de se rencontrer, de discuter, de partager les soucis de la vie ordinaire, de s’inquiéter à propos des difficultés que les villageois ensemble doivent affronter… Et les rencontres y sont fréquentes puisque on y conduit aussi les animaux pour les abreuver.

Le puits? Un lieu souvent cité dans les récits bibliques qui nous rappellent que nombre de couples s’y sont rencontrés pour la première fois : c’est auprès d’un puits que le serviteur d’Abraham trouve Rébecca, la future épouse d’Isaac ; c’est là aussi que Jacob rencontre Léa et Rachel qui deviendront l’une et l’autre ses femmes et c’est encore auprès d’un puits que Moïse fait la connaissance de Cippora.

Peut-être est-ce pour cette raison que la femme est parfois comparée à un puits.  La rencontre de ce jour, Jésus, une Samaritaine, auprès d’un puits, devient tout un symbole : celui de l’amour de Dieu pour tout homme, quel que soit son sexe, son origine ou sa nationalité.

Admirons en passant combien le Maître est habile. Il progresse avec la Samaritaine par cercles concentriques. De l’eau du puits il passe aux différents maris de son interlocutrice et à sa situation matrimoniale du moment, sa faille secrète, et se fait ainsi reconnaître comme prophète – il est en réalité bien plus ! Seigneur, je le vois, tu es un prophète. Alors explique-moi… C’est maintenant au tour de la Samaritaine d’interroger Jésus sur les lieux où il faut adorer Dieu, ce qui permet à ce dernier de dessiner un cercle supplémentaire : les vrais adorateurs adoreront en esprit et vérité. Le lieu de la véritable adoration ne se situe ni à Jérusalem, ni sur le mont Garizim, mais dans la chambre secrète de notre cœur, là où Dieu est plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes.

Du puits nous avons été conduits à la source jaillissant pour la vie éternelle – creuse en toi la source ! A cette source nous avons trouvé le prophète qui nous dévoile le  lieu où l’on adore en esprit et vérité : le coeur. Que nous resterait-t-il donc à découvrir ?

Simplement celui qui nous fera connaître toutes choses, le Messie, celui qu’on appelle Christ.

Jésus avait commencé par demander à la Samaritaine de lui donner à boire. Il lui révèle maintenant sa vraie nature et, par conséquent, sa mission : Moi qui te parle, je le suis (Christ et Messie), l’Emmanuel, Dieu parmi nous.

Mais nous sommes au bord d’un puits ; difficile d’y rester seuls longtemps. Les apôtres reviennent de leurs courses et bien qu’ils soient surpris de voir Jésus converser avec une Samaritaine – encore les convenances ! ils ne pipent mot. La femme en profite pour s’éclipser et retourner à la ville pour raconter à qui veut bien l’entendre l’aventure qu’elle vient de vivre. Il savait tout de moi ; ne serait-il pas le Messie ?

Détail piquant : la femme est repartie à la ville sans emporter sa cruche ! On la comprend ; ce jour-là elle vient de découvrir en son cœur la source d’eau vive : présence en elle de l’Esprit du Christ, ce Jésus qui avait soif : soif de lui annoncer la Bonne Nouvelle, soif de lui permettre de découvrir le vrai visage de Dieu.

Après son départ, c’est au tour des disciples d’être littéralement guidés vers l’essentiel. Ils proposent à leur maître de manger ; logique : ils sont allés à la ville justement pour acheter de quoi se nourrir ! Or Jésus choisit précisément ce moment pour leur parler d’une autre nourriture, qui n’est pas une simple pitance mais un aliment de vie éternelle : ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre, œuvre de salut pour l’humanité tout entière. Et c’est très précisément ce qu’il vient d’accomplir ; en initiant la Samaritaine à la vie de la foi, il a commencé à remplir sa mission. Une initiation qui ne reste pas sans lendemains puisque d’autres personnes se sont jointes à la femme. La Bonne Nouvelle féconde déjà des terres nouvelles. Et préfigure un Evangile qui sera prêché jusqu’aux extrêmités de la terre.

Ainsi donc, levons les yeux et regardons, à l’invitation du Maître, les champs qui se dorent pour la moisson, et nous saurons qui est Jésus : le Christ Messie, venu en ce monde pour accomplir l’œuvre d’amour de son Père. Découverte ou redécouverte de l’Essentiel.

Encore nous faudra-t-il accomplir un dernier pas. A l’imitation des Samaritains qui habitaient à la ville d’où la femme était sortie, nous avons à passer d’une foi reçue à une foi personnellement assumée : nous l’avons entendu par nous-mêmes et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde.

Puisse cette foi étancher notre soif de justice et nous conduire à lutter pour que partout dans le monde chaque homme, chaque femme, chaque enfant bénéficie de tout ce dont il a besoin pour vivre, nourriture, éducation, santé, affection… Tout ce que vous ferez à l’un de ces petits qui sont les miens, c’est à moi que vous le ferez.
Amen


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *