Messe du 31e dimanche du temps ordinaire

Abbé Hugo Gehring et Stefan Arnold, à l’église Saints Pierre et Paul, Winterthur, le 30 octobre 2011
Lectures bibliques : Malachie 1, 14 – 2, 2-10; 1Thessaloniciens 2, 7-13; Matthieu 23, 1-12 – Année C

 

Chers Frères et Sœurs,

Cela paraît être une loi de la nature : les forts dominent les faibles, l’étranger ou celui qui est différent n’est pas considéré, il est écarté, même discriminé et les puissants tirent avantage du pouvoir pour eux-mêmes – heureux celui qui connaît quelqu’un, dans une position de chef, qui n’agit pas de la sorte !
Il n’y a qu’un domaine où nous nous comportons autrement : quand il s’agit de notre propre descendance. Oui, dans la famille, d’autres règles sont appliquées. Les forts utilisent leur force pour protéger les plus faibles, et là, personne n’est perçu comme étranger ou différent, là, le pouvoir sert à accroître le potentiel de vie des sans-pouvoir. Dans ce cas, c’est vraiment l’autorité au sens originel du terme qui est exercée. En latin, le mot auctoritas vient du verbe AUGERE, qui signifie augmenter/ accroître. Autorité est alors véritablement un pouvoir exercé dans le sens d’un « devenir plus », de faire advenir.
Jésus vit à une époque et dans un contexte où la famille, c’est le clan qui représente un cercle de personnes relativement grand. Une situation que l’on observe encore souvent aujourd’hui en Orient et dans de nombreux pays du Sud. Le maître de Nazareth encourage à dépasser le système clanique, qui, à plusieurs égards, peut être enfermant. Jésus élargit cette organisation familiale traditionnelle. Pour lui, la famille se comprend comme la communauté de tous les êtres humains. Ainsi il accorde une place en tant que mère, frère ou sœur à toutes celles et tous ceux qui font la volonté de Dieu.
Il décrit explicitement cette conception de la famille dans la parabole du Samaritain. Cet homme issu du pays de Samarie aide de manière totalement désintéressée un membre d’un peuple ennemi, en l’occurrence du peuple israélite.
Que l’on se permette d’aider à l’intérieur de sa famille ou dans son propre cercle, cela se comprend, que quelqu’un envisage comme prochain un étranger, voire un ennemi et agit en conséquence, c’est une provocation pour les gens d’autrefois qui écoutaient Jésus – et je crois dans le fond que c’est encore une provocation pour nous aujourd’hui.
Dans le passage de l’Evangile d’aujourd’hui Jésus nous le dit explicitement : « Vous êtes tous frères – et j’ajoute – sœurs. Le signe de reconnaissance de l’attitude chrétienne devrait être justement la fraternité, la conception familiale : ça veut dire : les forts font de leur mieux au profit du faible, ils découvrent la particularité, la richesse de ce qui apparaît comme étranger, ils utilisent leur pouvoir au profit et au besoin des sans-pouvoir.
Paul résume cet être ensemble illimité avec une image magnifique : celle du corps et de ses membres qui sont très différents et qui forment pourtant une unité admirable. C’est pourtant une représentation contraire de la conception de l’être ensemble à l’état primitif qui induit la guerre, les antagonismes, la concurrence et la rivalité. Il y dans tout cela une réalité que l’on ne peut nier.
Mais pourtant, plus profondément, aux origines, dans ce qu’il y a de plus central et essentiel pour nous, êtres humains, c’est d’avoir été créés pour former une société qui se veut orienter sur le modèle familial, grandir ensemble comme la grande famille de l’humanité.
La dernière phrase de la lecture de Paul sur le corps et les membres est une formule qui est au cœur du message chrétien. Elle dit : « les membres du corps qui paraissent les plus faibles sont indispensables.»
Au milieu d’un monde du darwinisme social, dans lequel seul compte la survie du plus fort et considère comme naturelle, la disparition du plus faible, le message chrétien tout au contraire envisage les membres du corps qui paraissent les plus faibles comme indispensables. C’est fort !
Que nous manquerait-il si par exemple il n’y avait personne qui demande des soins, sur qui veiller, personne à l’âme sensible, personne qui soit lente ou moins capable de s’organiser ?
Que se passerait-il si nous n’étions tous que des vainqueurs, des gagnants, des personnes pleines de succès ?
Ne s’agirait-il pas d’une mutilation de la vie ?
Stefan Arnold est comme moi théologien, il dirige la pastorale des personnes avec handicap dans le canton de Zurich. Il rencontre et a rencontré par son travail mais aussi au travers de son parcours personnel des hommes et des femmes avec handicap. Il nous raconte concrètement, ce qui nous manquerait si nous nous fermions à ces hommes et ces femmes et même le gain irremplaçable qu’ils représentent pour nous.
STEFAN ARNOLD :
Nous avons tendance à nier, à refouler les questions inconfortables. Mais la vie nous pose des questions inconfortables. Je l’ai vécu quand j’ai habité sous le même toit pendant un an avec des personnes avec un handicap intellectuel. Les questions inconfortables, c’était du style : Quel est le sens de ma vie ?
Aucun théologien, aucun psychologue, aucun philosophe ne pouvait me donner une réponse. Mais un jour, j’ai vu Joseph, un homme avec un handicap intellectuel qui justement paraissait être quelqu’un de plus faible. Au repas, pour aller au lit, pour se lever, il avait besoin d’aide. Joseph se réjouissait beaucoup de la visite de ses parents, parce qu’ils ne venaient presque jamais. Joseph, ce n’est pas avec des mots qu’il a répondu à mes questions sur le sens de la vie.
La réponse c’est : Etre en relation, aimer les gens, jusqu’à mourir s’il le faut, ça c’est le sens de ma vie. Ou alors comment qualifieriez-vous le fait que les jambes de Joseph se dérobaient sous lui à l’idée de revoir ses parents, tellement il était empli de joie et d’excitation ?
J’étais en visite dans une classe d’enfants avec un handicap intellectuel, pour un cours de religion. Les élèves avaient comme consigne de retirer un cœur dans du papier prédécoupé et de le décorer. Ils devaient ensuite présenter leur œuvre à leurs camarades. Dans ce groupe, il y avait un jeune qui souffrait d’autisme. Il était plongé dans ses pensées, complètement dans son monde et jouait avec ses doigts. J’ai été impressionné de voir comment ces enfants qui donnent l’impression, tout comme Joseph, d’être plus faibles, savaient s’y prendre pour que ce garçon autiste regarde leur cœur décoré et qu’il réagisse à leur bricolage.
Je me disais mais pourquoi d’autres enfants, des enfants sans handicap, ne pourraient vivre cela et apprendre ?
Dans mon travail de pastorale, je collabore avec une femme sourde. Dans le monde des bien-entendants, elle serait souvent considérée comme une personne paraissant faible. Pourtant la surdité ne rend en rien notre collaboration impossible. Au contraire : le handicap ouvre une nouvelle façon de communiquer. Ma collègue déclare : « la langue parlée est pour moi une langue morte ». C’est pourquoi je me donne la peine d’apprendre quelques gestes et de les utiliser. Ainsi mon langage avec ma collègue est plus vivant et plus compréhensible. Elle ne doit pas seulement lire sur mes lèvres. Mon corps entier parle pour elle. Par le regard et avec une bonne lumière, je parviens même à lui parler dans un grand espace très bruyant, au-delà des gens, sans utiliser ma voix. Je trouve cela fascinant.
Les hommes et les femmes avec un handicap ne sont pas des créatures imparfaites. Ils ne sont pas différents de nous autant que nous nous différencions entre gens sans handicap. Elles sont nos sœurs, ils sont nos frères. En eux, vit comme dans chaque être humain, l’Esprit de Dieu. Dieu qui souhaite agir au travers d’eux dans notre monde et notre Eglise. Là où nous excluons de l’Eglise les personnes avec handicap, nous repoussons l’Esprit saint et nous ne sommes plus Eglise.
HUGO GEHRING :
A la fin de ce témoignage, j’aimerais vous lire un texte d’une femme qui souffre de troubles cérébraux que je connais. Je l’ai connu lors d’une rencontre de personnes qui n’ont pas de handicap visible.
Dans son texte, elle se voit d’abord au milieu d’environ 150 participants, elle observe que nous nous exprimons de manière très semblable. Ensuite, elle jette un regard sur elle-même et se décrit comme très différente. Cependant, elle conclut avec une pensée très profonde sur l’égalité entre les hommes et les femmes – une réflexion que nous voudrions vous laisser comme notre credo pour aujourd’hui. Je vous lis son poème :
« Un visage parmi beaucoup d’autres.
Oui ce visage semblable aux autres appartient à chaque être humain.
Oui ce visage qui a un nez, une bouche, deux yeux et deux oreilles.
Et malgré tout chaque visage est différent en apparence.
Un visage pas comme les autres.
Oui, mon regard se fait remarquer des gens.
Oui, mon visage est tellement différent.
Mes difficultés d’expression, de vision et d’écoute et les gestes involontaires de ma tête.
Et pourtant mon visage brille de joie
Et avec la volonté, l’impossible devient possible et tout cela malgré mon handicap.
Pour toi, Seigneur Jésus Christ, le seul vrai handicap est de ne pas pouvoir aimer.
Nous sommes tous handicapés quant à l’amitié.
Apprends-nous à aimer comme toi, pour nous aider tous à chercher ton visage. »
(Traduction : Evelyne Oberson)

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