Messe du 30e dimanche ordinaire

 

Père Jacques Cornet, église d’Echallens, VD, le 29 octobre 2006
Lectures bibliques : Jérémie 31, 7-9; Hébreux 5, 1-6; Marc 10. 46-52 – Année B

L’évangile de ce jour met en scène un aveugle de naissance, le fils de Timée, assis au bord du chemin sur lequel tout le monde s’affaire. Et cet homme attend là que la générosité des passants lui jette quelques pièces de monnaie dans son manteau, afin qu’il puisse assurer sa subsistance. Ses yeux sans vie le mettent à l’écart, et la foule qui passe et repasse, et qu’il ne peut qu’entendre, ne fait pas vraiment attention à lui : par cette nuit dans laquelle il est plongé, il est coupé des autres, dans l’obscurité. Et il semblerait qu’il n’y ait pour lui aucun espoir de pouvoir une jour se sentir utile.

Mais voilà que Jésus passe avec la cohorte de ceux qui l’entourent, avides de recevoir sa Parole, fidèlement attachés à ses pas, en marche vers Jérusalem. Alors, dans un sursaut d’énergie, dans un cri de confiance et d’espérance, Bartimée se met à rompre le mur de solitude dans lequel, bien malgré lui, il est enfermé : « Jésus, Fils de David, aie pitié de moi ! »

Mais les cris de cet aveugle dérangent : comment ose-t-il, ce mendiant, ce marginal, interpeller le Maître et couvrir de sa voix la conversation que celui-ci entretient avec ses disciples ? Quelle audace le pousse-t-elle à troubler la marche de ces gens en route avec Jésus sur le chemin, le chemin de la vie ? Qu’il laisse donc les braves gens, les bien-portants, écouter avec dévotion le jeune Maître leur dire la Bonne Nouvelle du salut, la Bonne Nouvelle d’un Royaume de bonheur, la Bonne Nouvelle de la charité chrétienne ! Oui, qu’il se taise !…

Et voilà que s’ajoute à la dure destinée de l’aveugle le rejet d’une foule incapable de voir son frère dans le besoin, d’une foule qui suit avec ferveur le Dieu d’amour, mais qui repousse, sans amour et en toute bonne foi, celui qui crie pour être libéré, pour sortir du carcan, pour se mettre en marche, lui aussi ! De la foule et de Bartimée, qui est le plus aveugle ?

Il est d’autres murs que la cécité physique qui empêchent la lumière de pénétrer nos vies : l’intolérance, le jugement, le racisme, la haine, mais aussi la prétention, l’orgueil, l’égoïsme, la cupidité, l’argent… Tous ces obstacles qui font que nous pouvons être immergés dans cet esprit qui entraîne à la recherche de pouvoirs, de puissance, et qui se débarrasse, par l’indifférence ou même par une aumône, des appels au secours des pauvres de l’existence ! Oui, l’aveugle, ce peut être moi : moi qui m’enferme dans mon petit monde bien clos, incapable d’ouvrir mes volets et de regarder autour de moi les attentes et les appels de désespoir d’un monde angoissé ; moi qui m’entoure de confort, et, comme il fait tellement bon chez moi, n’ai plus aucun désir de sortir dans la tempête pour soutenir le combat de ceux qui luttent pour survivre. C’est encore moi lorsque je me montre propriétaire de la vérité, incapable d’écoute, d’accueil, de remise en cause…De tous ces aveuglements, pourrai-je un jour sortir ?… Il faut souvent ramer à contre courant pour ne pas laisser la barque de notre vie dériver au flot tumultueux d’une société devenue trop individualiste !…

Alors, Bartimée, l’aveugle, crie plus fort encore, jusqu’à ce que Jésus entende, s’arrête et le fasse appeler. Quelle détermination chez cet homme qui ne veut pas laisser passer sans autre la chance de sa vie, dût-il aller à l’encontre de la bienséance ! Quelle espérance l’anime en ce moment où il ne sait pas encore ce que Jésus peut faire pour lui ! Et sa persévérance va être récompensée. Déjà un mot révèle qu’il n’est plus abandonné, laissé de côté : « Confiance ! Lève-toi, il t’appelle ! » On comprend qu’il bondisse ! Laissant là son manteau dans lequel il récoltait l’argent de l’aumône, en un instant il est debout, il court vers Jésus… C’est dangereux de courir quand on est aveugle ! Mais il se comporte comme s’il voyait, car déjà il voit dans son cœur, il sait en qui il a mis sa foi, il sait qu’il ne sera pas déçu !… Bartimée va vers Celui qui est Source de la Lumière, qui est Source de la Vie. Et Jésus se met à son service : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Alors Bartimée va s’entendre dire cette parole qui redonne vie : « Va, ta foi t’a sauvé ! »

Cette guérison de l’aveugle-né retentit pour nous aujourd’hui comme une parabole. Bartimée n’est pas comme les autres : sa cécité l’empêchait de se trouver au milieu de la foule déambulant sur le chemin. Il était assis, à l’écart, et il attendait… Il y serait encore si Jésus était passé outre et se serait conformé à la foule indifférente ou hostile. Mais, l’ayant entendu, Jésus s’est arrêté pour l’appeler et le guérir. Désormais, sur le chemin de Jéricho à Jérusalem, c’est un autre homme qui le suit. Un homme debout, qui crie encore, mais cette fois, c’est de joie ! Et dans Jérusalem tout proche, avec tous ceux qui agiteront des rameaux, il pourra, lui aussi, exulter de joie et crier « Hosanna ! »

Sur le chemin de notre vie, nous avons, nous aussi, besoin de lumière, nous avons aussi besoin de savoir où nous allons, nous avons besoin d’être éclairés. Et il faut crier quand on se trouve dans la peine, la souffrance ou le désespoir ; il faut crier quand on s’aperçoit que l’on s’enferme dans l’égoïsme, dans la recherche de soi-même, quand on sent que l’amour diminue. Il faut crier cette belle prière: « Jésus, aie pitié de moi ! Jésus, aie pitié de nous ! »…

Car Jésus s’arrête. L’autre existe pour lui. Et davantage encore lorsqu’il fait partie de ces pauvres, de ceux qui n’ont plus rien où se raccrocher. Davantage encore lorsque, emprisonné dans son péché, il veut s’en échapper… Jésus s’arrête, le fait appeler. Et comme elle est réconfortante cette parole du messager : « Cnfiance, lève-toi, il t’appelle ! »… Ah puissions-nous être de ceux qui entendent cet appel ! Puissions-nous aussi être de ceux qui viennent dire avec conviction à celui qui est dans la souffrance ou la solitude : « Confiance, lève-toi, il t’appelle ! » Des messagers d’espérance ! Le monde en a tellement besoin ! Que notre vie serait bien remplie si nous étions des semeurs d’espérance !… Non pas d’espoirs artificiels qui endorment ou qui évadent, mais de cette espérance que nous donne le Christ lorsqu’il nous dit : « Lève-toi ! »

« Ils étaient partis dans les larmes, dans les consolations je les ramène », prophétisait Jérémie au peuple captif de la puissance étrangère et emmené en déportation. Voilà bien le salut ! « Ta foi t’a sauvé », dit Jésus à l’aveugle guéri… Alors, mais alors seulement, il est possible de suivre Jésus sur le chemin de Jérusalem, ce chemin qui passe par la passion et la mort pour atteindre la gloire de la résurrection.

 

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