Messe du 2ème dimanche de l’Avent

 

 

Abbé Marc Donzé, monastère de la Visitation, Fribourg, le 5 décembre 2010
Lectures bibliques : Isaïe 11, 1-10; Romains 15, 4-9; Matthieu 3, 1-12   – Année A

 

Levez les yeux, relevez la tête, vivez en hommes debout, habitez pleinement le présent. C’est le message de l’Avent, nous l’avons entendu dimanche dernier. La raison en est que le Dieu d’Amour met en nous, jour après jour, son énergie de lumière, de paix, de réconciliation. J’ai trouvé une phrase d’un auteur romand, Jacques-Etienne Bovard, qui exprime cela avec bonheur : « être grand, c’est être soi-même dans la verticalité de l’instant ».

Cette attitude de simple grandeur est pleine de force et d’espérance. Mais elle n’est pas facile. Si je lève les yeux et la tête, qu’est-ce que je vois ? Un monde déchiré, un monde en convulsion, des oppresseurs et des victimes, des injustices et des générosités. Pour le dire en langage biblique, des loups et des agneaux ! et j’entends cette promesse surprenante, folle, incroyable : « le loup habitera avec l’agneau ». Comment le prophète Isaïe peut-il dire une chose pareille, dans un pays qui était alors déchiré par la guerre ? Comment le loup peut-il devenir autre chose que ce monstre d’injustice, de mauvaise foi et de cruauté, que décrit la fable de La Fontaine ? Comment le loup peut-il changer ? Comment l’homme peut-il ne pas être un loup pour l’homme ?

Je pense que le ressort principal de l’attitude du loup (de l’homme qui se fait loup, de nous qui nous faisons loups parfois, peut-être), c’est la peur du manque. Et la peur se transforme en agressivité, en cruauté, en déni de l’autre. Le loup a peur de manquer de nourriture ou de toute autre chose qui lui paraît nécessaire ; il se rue alors, toutes dents dehors, vers ce qui peut combler son manque. Le loup a peur de manquer de sécurité ; il se mue alors en celui qui agresse, en celui qui fait peur à son tour, pour paraître le plus fort. Le loup a peur de manquer de reconnaissance, d’acceptation ou d’affection ; il cherche alors cette reconnaissance paradoxale et vide qui est donnée à l’oppresseur, au terroriste, à l’abuseur.

  Saint François d’Assise, dans sa célèbre rencontre avec le loup de Gubbio, nous donne quelques indications, pour que nous puissions contribuer à transformer le loup en agneau. D’abord, il l’appelle « frère loup ». François n’éprouve pas de peur ; il reconnaît l’existence du loup ; il inaugure un lien positif avec lui, et non une attitude de rejet, d’accusation ou de mépris. Ensuite, il fait un marché avec le loup, pour que ce dernier ne sente pas menacé au point de vouloir se défendre cruellement : il lui assure la protection des habitants de Gubbio, pour autant que le loup s’engage à ne plus les agresser. Enfin, il demande aux habitants de Gubbio d’assurer au loup le nécessaire en nourriture, pour qu’il n’ait plus à chasser avec excès et cruauté. Et le loup vécut paisiblement avec les habitants de Gubbio jusqu’à sa mort, disent les Fioretti de saint François d’Assise.

Ces Fioretti sont bien plus qu’une jolie histoire. Nous pouvons essayer de les mettre en pratique. D’abord, nous pouvons essayer d’appeler toute personne – voire toute créature de ce monde – frère ou sœur. Nous pouvons le faire au moins dans notre cœur ; vous verrez, peu à peu les relations changent, la peur diminue, l’amour bannit la crainte.

Ensuite, nous pouvons manifester à l’autre suffisamment de respect pour qu’il ne se sente pas menacé en notre présence, pour qu’il se sente accueilli dans sa détresse, même si cette détresse s’est transformée en agressivité. Enfin, nous pouvons essayer d’avancer à l’autre le nécessaire, pour qu’il n’ait pas à user de moyens cruels (de vol, de mendicité forcée, de chantage, que sais-je encore…) pour se le procurer.
C’est ainsi que nous pouvons contribuer à ce que le loup habite avec l’agneau, dans notre propre cœur, dans les relations entre les hommes et même dans le cosmos tout entier.

Nul ne dit que ce chemin soit facile, puisqu’il se vit dans un monde déchiré. C’est un chemin exigeant, prophétique ; mais il met en route une logique de renouveau, de libération, de recréation.
Les moyens à disposition pour inaugurer ce chemin, tels que les décrit le prophète Isaïe (et tels que les vivra Jésus-Christ), ne sont aucunement des moyens de puissance. Ils sont les moyens de l’agneau, si je puis dire : la non-violence, la foi en l’homme, l’espérance. En effet, celui qui inaugure cela, ce n’est pas un arbre puissant et dominateur ; c’est le rejeton qui sortira de la souche de Jessé, c’est-à-dire quelqu’un de petit, de fragile, de nouveau, de renaissant, mais habité par l’Esprit de Dieu.
Nos moyens à nous, chrétiens, devraient être les mêmes : non-violence, foi en l’homme, espérance, à l’image du vrai rejeton de la souche de Jessé, Jésus-Christ, et portés par la force de l’Esprit. Saint François de Sales l’a dit avec bonheur : « Ni par puissance, ni par force, mais par l’Esprit du Seigneur ». C’est stimulant, ne trouvez-vous pas !

Reste une objection : d’aucuns pensent que les chrétiens, avec des moyens pareils, doivent devenir des moutons bêlants, voire des moutons muets. Pas du tout. Il faut pouvoir dire, mais avec la seule force de la parole et de l’amour, que la violence est un mauvais chemin, que le mépris de l’homme est une culture de mort, que l’injustice est une source de peur et de cruauté. Il faut pouvoir le dire pour l’honneur et la défense de ceux qui sont laminés par le sort qui leur est fait. L’abbé Pierre l’a fait. Jean-Baptiste en est le modèle : avec la seule puissance de sa voix, au désert, dans son costume dérisoire, il a crié pour que les injustes changent de vie. Et certains l’ont même entendu.

À notre tour de faire tout ce que nous pouvons, pour que le loup ne soit plus un loup pour l’homme.
À notre tour de le dire, pour que changent les pensées et les attitudes.
En ce chemin, nous ne sommes pas seuls. L’Esprit de Dieu est avec nous. « Ni par puissance, ni par force, mais par l’Esprit du Seigneur ». Amen

 

 

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