Messe du 26ème dimanche ordinaire

 

Abbé Alexis Morard, à l’église Ste-Croix, Carouge, le 26 septembre 2010
Lectures bibliques : Amos 6, 1-7; 1 Timothée 6, 11-16; Luc 16, 19-31 – Année C

 

Frères et soeurs, chers amis dans le Christ,

En se penchant sur l’histoire de l’humanité, on observe que les murs érigés par les hommes ne durent au maximum que le temps d’une civilisation. Ils sont caduques les mur de Berlin, muraille de Chine, et autre mur d’Hadrien (entre Angleterre et Ecosse). Il en ira de même pour Schengen, à Belfast ou sur le Rio Grande… et en Terre Sainte! au temps opportun… L’Evangile est par essence un envoi, et souffre de ne pas passer facilement par les routes du monde… «Je suis venu allumer un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé!» ( Luc 12,49) s’écrie le Seigneur.

Aujourd’hui cependant, l’Evangile nous annonce un avenir qui va à l’encontre de notre constat. Si tous les murs de pierres bâtis par les hommes tomberont, un mur sera posé et restera infranchissable. La dernière pierre de ce mur sera scellée à la fin des temps, mais à l’occasion du décès de chacun déjà, sa mesure se fait sentir. Il est bâti par Dieu, mais pourtant, tout dépend des hommes. Ce mur, hors des images et paraboles, est la fixation des dispositions du cœur de chacun en entrant dans la vie de l’Au-delà. Contre la volonté de la créature, Dieu ne lutte pas. Dieu ne luttera plus. C’est le mur de notre volonté, qui n’est pas fait de pierres, mais qui peut parfois transformer notre cœur en pierre.
Notre mentalité contemporaine rechigne aux engagements définitifs : est-ce une nouvelle façon de concevoir la liberté, ou alors une immaturité qui empêche la constance ? Quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas faits pour errer constamment entre générosité et égoïsme, entre humilité et orgueil. Ça sera d’un côté ou de l’autre, mais on sera un jour fixé. Et si Dieu l’a établi ainsi, c’est parce qu’il y a en l’être humain à la fois une attente d’être fixé, et une capacité à se déterminer.

Pascal a eu cette pensée, sur les trois ordres de grandeur en ce monde : la grandeur des rois et des soldats, la grandeur des savants, et la grandeur des saints :

«Tout l’éclat des grandeurs n’a point de lustre pour les gens qui sont dans les recherches de l’esprit.
La grandeur des gens d’esprit est invisible aux rois, aux riches, aux capitaines, à tous ces grands de chair.
La grandeur de la sagesse, qui n’est nulle sinon de Dieu, est invisible aux charnels et aux gens d’esprit. Ce sont trois ordres différant de genre.
Les grands génies ont leur empire, leur éclat, leur grandeur, leur victoire, leur lustre et n’ont nul besoin de grandeurs charnelles, où elles n’ont pas de rapport. Ils sont vus non des yeux, mais des esprits, c’est assez.
Les saints ont leur empire, leur éclat, leur victoire, leur lustre et n’ont nul besoin de grandeurs charnelles ou spirituelles, où elles n’ont nul rapport, car elles n’y ajoutent ni ôtent. Ils sont vus de Dieu et des anges, et non des corps ni des esprits curieux : Dieu leur suffit.»

Au lendemain de l’émouvant «Adieu» célébré en sa Cathédrale, comment ne pas rendre hommage à notre évêque défunt Bernard Genoud ?
Quel remarquable initiateur à l’émerveillement ne fut-il pas pour toute une génération de jeunes qui ont eu le bonheur de le côtoyer, comme j’en fus moi-même l’heureux bénéficiaire dans mes années de baccalauréat ! À travers ses cours de philosophie – qui étaient bien loin d’un inventaire de toutes les réponses bizarroïdes des penseurs au long des âges… – il nous a conduit,  main dans la main, à penser, à juger des choses avec la droiture de l’intelligence, et ceci alors que nous étions très jeunes encore. Son témoignage a véritablement marqué notre génération au point que je suis ému ce matin en entendant ces paroles de l’Apôtre Paul (dans sa lettre à Timothée) qui résument bien cette motivation : «Toi, l’homme de Dieu, cherche à être juste et religieux, vis dans la foi et l’amour, la persévérance et la douceur. Continue à bien te battre pour la foi, et tu obtiendras la vie éternelle, c’est à elle que tu as été appelé, c’est pour elle que tu as été capable d’une si belle affirmation de ta foi devant de nombreux témoins».

Oui, Monseigneur Bernard vivait pour son Dieu, et qui plus est, avec la passion des poètes, qui n’est que sagesse d’Amour:
«Un poète, un amoureux, s’il le pouvait, ne voudrait pas écrire un poème pour sa fiancée : il voudrait pouvoir lui dire tout son amour dans toute son inexprimable fulgurance. Parce que son amour, dans son âme, ce ne sont pas des mots, c’est un coup de poing au coeur de l’artiste amoureux, c’est un feu, une brûlure, c’est un « aller vers l’autre » un élan vers l’aimée, comme un oiseau qui ne serait plus que vol. Alors dès qu’ils sont écrits, les mots sont figés… ils ont fixé, glacé, sclérosé, ce qui en lui n’était que vie, mouvement, vibrations, onde et chaleur.
Alors le poète est déçu, il est furieux contre le carcan des mots, il est furieux contre la cage qui le limite et qui empêche l’oiseau de chanter. Il voudrait entrer dans le coeur de l’autre pour y allumer quelque chose du brasier qui a fait naître son poème…. Impossible…»
(Homélie sur l’Annonciation, Cathédrale de Lausanne, 25 mars 2006. )

Vous avez reconnu le style poétique et profond de notre évêque défunt. Si nous l’avons apprécié, il faut se dire que ce que nous avons perçu de lui n’est que l’ombre de ce qu’il aurait aimé transmettre. Il est maintenant libéré des limites terrestres de notre amour, et son cœur dilaté s’épanche dans l’amour infini de Dieu.
C’est notre foi et notre espérance dans le Christ Jésus, lui «le Souverain unique et bienheureux, le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, le seul qui possède l’immortalité, lui qui habite la lumière inaccessible… A lui, honneur et puissance éternelle. Amen.» (1 Tim 6,15-16)
Alleluia !

 
 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *