Messe du 1er dimanche du Carême

 

Abbé Marc DONZE, à l’église St-Pierre à Fribourg, le 12 mars 2000
Lectures bibliques : Gn 9, 8-15; 1 P 3, 18-22; Mc 1, 12-15

 


Le stress, nous connaissons tous, nous sommes tous concernés.
Il y a de bons stress. Quand je mobilise mes énergies, mon intelligence, mon imagination, mon affectivité pour affronter une situation, accomplir un travail, vivre une rencontre… mon corps me fournit les forces nécessaires en activant cette partie du système nerveux que l’on appelle le sympathique et en libérant une hormone, l’adrénaline.
Il y a aussi de mauvais stress. Quand j’ai peur, quand je me trouve devant une tâche insurmontable, quand je suis impliqué dans un conflit difficile. Ces tensions tirent sur le système sympathique, provoquent des décharges d’adrénaline. Mais le pire, c’est l’excès de stress. Quand je suis en état de tension permanente, que je n’arrive plus à me reposer, que je cours d’un problème à un autre, que je laisse mariner les peurs et les conflits, que je vis dans un excès de sons et d’images… Alors j’active trop le système sympathique et mon corps finit un jour plus ou moins lointain par réagir et par donner des signaux d’alarme : maladie, déprime peuvent me dire que j’ai trop tiré sur la corde.
Car notre corps – et donc tout notre être – est fait pour l’équilibre.
Il faut qu’il y ait donc aussi le temps du repos, de la détente, de la méditation, du sommeil. Dans ces périodes-là, c’est le système parasympathique qui se met en action, qui déstresse le corps, l’esprit, le cœur. Notre corps sait cela, mais il n’est pas toujours écouté. La médecine chinoise sait cela depuis longtemps, qui vise l’équilibre du yin et du yang, le yang représentant plutôt la mobilisation des énergies, le yin représentant la détente.
Notre corps, notre vie ont besoin d’activité et de détente, en équilibre. C’est une sagesse élémentaire. J’y pense fortement en relation avec le thème du Carême de cette année 2000 : trêve… et puis changer. Notre existence a besoin de trêve, donc de calme, de paix, d’arrêt, de pause, de retrait, pour pouvoir repartir de plus belle.
L’évangile de ce dimanche va nous aider à comprendre la nature spirituelle de la trêve. Suivons donc Jésus pas à pas. Il vient de vivre un moment très intense, un grand stress positif : son baptême dans l’eau du Jourdain, avec la confirmation de sa difficile mission par la voix du Père : Celui-ci est mon Fils bien-aimé…
Alors l’Esprit le pousse – quelle sagesse – vers le désert pour une pleine période de retrait, une période de quarante jours. Une période de parasympathique spirituel, où il se passe des phénomènes étonnants.
D’abord, le désert : c’est le lieu du silence. Lieu de calme certes, mais aussi lieu exigeant, car il nous met face à la nudité de nous-mêmes. Le repos du désert, le repos de l’esprit par conséquent, n’est pas celui d’un hamac entre deux palmiers. Mais il faut ajouter plus fortement encore que le désert est le lieu des fiançailles avec Dieu, le lieu âpre et merveilleux de la rencontre intime. Au désert, dit Dieu par le prophète Osée, je te fiancerai à moi dans la justice et le droit, dans l’amour et la tendresse, en alliance de fidélité. La trêve spirituelle est de fiançailles. J’ai envie de m’y laisser inviter.
Mais tout n’est pas si simple. Jésus est tenté par Satan pendant les quarante jours. Il y a du combat dans la trêve en Esprit. Toutes les forces de mensonge, de division, d’illusion, de dictature, de possessivité traversent celui qui se dépose devant Dieu. La trêve permet d’identifier et de connaître l’ennemi : l’ennemi de l’humanité qui a nom écrasement de la personne et de la liberté. Et tous les ennemis particuliers à chacun qu’il est si utile d’identifier pour pouvoir les combattre. C’est une épreuve, mais c’est surtout une victoire. Dans le désert, j’apprends que le mal me traverse, mais surtout que je peux en être vainqueur.
Jésus vivait parmi les bêtes sauvages, en paix. Pour un hébreu, c’est le comble de l’harmonie. Le lion n’est pas plus redoutable que l’agneau. C’est cette paix qui est le signe de la victoire. L’intéressant dans cette notation, c’est que la paix est d’abord d’ordre cosmique. Comme elle est d’ordre cosmique dans l’arc-en-ciel offert à Noé et à toute l’humanité à travers lui. Donc, si je suis en harmonie avec la création, si je suis en paix avec elle, si je suis en dialogue avec cette petite partie de la création qu’est mon corps, je trouve dans les forces cosmiques, dans les forces telluriques l’énergie de la victoire contre le mal. C’est le Seigneur qui me donne cette énergie à travers la création qu’il me confie.
Enfin, les anges servaient Jésus. Autant dire que Dieu son Père s’occupait de lui, parce que lui s’occupait de son Père. Je trouve là la sagesse basique, élémentaire, tellement élémentaire qu’elle s’oublie facilement. Si je me confie à Dieu, si je me laisse harmoniser avec la création et mon propre corps, alors Dieu s’occupe de moi comme il l’a fait pour Jésus. Il me donne les énergies nécessaires pour affronter le rude combat de l’amour.
De fait, après cette pleine trêve spirituelle, Jésus repart proclamer la Bonne Nouvelle. Son énergie est mobilisée à nouveau, c’est le système sympathique qui est à l’avant-scène. Son combat sera rude, nous le savons tous. Mais parce qu’il a pris le temps de se laisser remplir et harmoniser, il en aura la force jusqu’au bout.
Que pouvons-nous tirer de tout cela ? Premièrement, dans un monde si rapide qu’il ne nous y invite pas, nous avons besoin de retrouver la sagesse d’une juste complémentarité de l’activité et du repos, du yin et du yang, du parasym-pathique et du sympathique. Et d’en être les prophètes : mieux vaut un chrétien bien dans son être qu’un chrétien exténué de dévouement. S’arrêter chaque jour devant la face du Père pour se laisser irradier de sa force aimante. Ecouter son corps, écouter le cosmos, écouter l’énergie de l’amour qui soulève l’humanité.
Et puis parfois, aux moments décisifs, ou dans des temps comme le Carême, s’arrêter plus longuement, s’il est possible, pour identifier les lieux du combat et recevoir les forces pour l’affronter. Dans ce sens la trêve au désert n’est pas une fuite, mais une préparation nécessaire.
Trêve… avec Dieu, avec le cosmos, avec soi, contre le mal. Harmoniser le sympathique et le parasympathique, le yang et le yin. Péguy le disait en termes plus poétiques : il faut consentir au repos de la nuit, car la nuit est la réserve d’être. Et j’ajoute : la prière est aussi réserve d’être. Et promesse de fiançailles. Amen.

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