Messe du 1er dimanche de Carême

 

 

Didier Berret, diacre, à la collégiale St-Ursanne, le 13 février 2005

Lectures bibliques : Genèse 2, 7 – 3,7; Romains 5, 12-19; Matthieu 4, 1-11 – Année A

De terre et de souffle. Nous sommes de terre et de souffle.

De cette terre palpable qu’on peut prendre à pleines mains : concrète, visible, premier lieu de notre subsistance, de notre enracinement, de notre humanité.

De la terre comme la vie à travailler, à façonner, à labourer, pleine de possibles, pleine de promesses, capable de laisser germer les plus beaux fruits, d’épanouir les plus beaux rêves, capable d’accueillir et de donner la vie !

Nous sommes de terre et de souffle. De ce souffle impalpable, invisible, sitôt saisi, sitôt rendu, qui nous traverse, nous élève, nous remplit, n’est pas nôtre, vient d’ailleurs, comme le vent, comme l’Esprit…

Nous sommes de terre… de la terre, de ce lieu concret de la vie au quotidien, avec son poids, sa poussière, ses secousses imprévisibles, avec ses jardins, ses surprises, ses saveurs… la terre et son irrésistible force de gravité, qui ramène à son échelle les rêves les plus audacieux, les projets les plus fous… et rappelle à chacun de nous l’infranchissable, l’insupportable barrière de nos limites humaines.

La terre même, parfois se fait sable, nous dépouille à l’extrême et dessine un désert où plus rien ne sait pousser, où la vie devient survie. On se retrouve seul, vulnérable. On rêve d’aller plus haut, plus loin, plus vite et le désert nous tient en laisse par la soif et la faim. C’est là que Jésus part, dans ces lieux hostiles éprouver dans son humanité les sécheresses de la vie.

Nous sommes du souffle comme le vent, la liberté, le rêve, l’envol, les espaces infinis. Nous sommes souffle, attirés vers le haut et terre, retenus par le bas, trop petits avec des soifs trop grandes…

Le serpent éprouve physiquement ces limites, il les incarne ! Il est tout en bas, il vit en rase-mottes. Il rampe pour se mouvoir. Il essaie bien de se dresser et même s’il parvient à se hisser à la cime des arbres, il ne peut que constater son incapacité à rejoindre le ciel… le serpent est le plus bas, le plus démuni ; le texte nous dit ‘le plus rusé’ comme pour cacher un autre sens du même mot : le plus rusé c’est aussi le plus nu : rusé-nu… comme l’être humain lorsqu’il a mangé de l’arbre !

Que représente cet arbre ? ces arbres ?

Contrairement au serpent qui vit à l’horizontale, l’arbre se dresse à la verticale, comme un trait d’union entre la terre et le ciel. Il relie le fini et l’infini… L’arbre dit le lien qui unit l’homme à Dieu. D’ailleurs le premier de ces arbres, celui qui est au centre est l’arbre de vie ! Vie toujours donnée, verticalement, même lorsque – sans mauvais jeu de mots – elle est conçue à l’horizontale ! L’humain peut décider tout ce qu’il veut… il ne fait que transmettre. Accueillir et transmettre la vie.

Il y a un deuxième arbre : celui qui risque de rendre nu. L’arbre de connaître bien et mal, ou l’arbre de bien et mal connaître… c’est celui-là qu’il ne faut pas manger… bien et mal connaître qui ? c’est au couple que cette invitation s’adresse d’abord, à travers lui, elle concerne toute relation humaine… bien ou mal connaître l’autre, celui qui est différent et qui donc me révèle une fois encore ma limite : puisqu’il est autre, je ne suis pas tout ! Alors survient l’idée du serpent de supprimer cette différence pour ne plus éprouver la limite : posséder l’autre, le faire sien, l’intégrer, le manger : devenir le tout ! Mais c’est une illusion qui débouche sur une relation à sens unique, à l’intérieur de laquelle on finit par se sentir seul, nu.

À l’inverse, ne pas manger l’autre, laisser entre lui et moi cet espace qui va de la terre au ciel, laisser debout cet arbre qui révèle l’Autre (avec un A majuscule), c’est laisser de la place au souffle, c’est créer la relation à l’intérieur de laquelle chacun peut devenir, grandir, se construire, s’élever.

Jésus est amené en haut par l’Esprit dans le désert… il expérimente nos limites les plus cruelles, mais en même temps il nous montre les chemins d’ouverture.

Dans la première tentation le démon – qui a de la suite dans les idées – invite Jésus à manger, une fois de plus ! Tandis que Jésus parle de parole, vivre c’est se laisser traverser par la Parole, communiquer, entrer en relation… pas seulement du pain, pas seulement la terre, la terre et le souffle…

Jésus est amené en haut par l’Esprit qui élève qui fait grandir… pendant que le tentateur continue à faire illusion de grandir en montant toujours plus haut… montagnes, pinacle du temple, comme les enfants qui montent sur des tabourets pour se faire croire qu’ils nous dépassent…

Jésus est amené en haut, le tentateur ne cesse d’essayer de faire descendre : jette-toi en bas, prosterne-toi à mes pieds… autrement dit deviens serpent…

Jésus homme est Dieu, il va garder la position des fils de Dieu : celle de l’homme debout, celle de l’arbre. La position verticale qui relie terre et ciel… et cela même dans la mort… Jésus sur l’arbre de la croix, meurt debout… il ne prendra pas la position du serpent ! La dernière et la plus grande limite humaine, celle de la mort est dépassée sur la croix ! Mieux encore que cela : la croix n’efface pas l’humanité : elle garde une barre horizontale, mais elle n’est plus rampante, collée à la terre. Sur la croix cette barre horizontale se déplace à la hauteur du don, à la hauteur du cœur… elle place la terre à la hauteur du souffle et réconcilie l’une à l’autre.

Nous sommes terre et souffle, les deux à la fois. Assumer son humanité, vivre, ce n’est pas chercher à devenir Dieu, mais s’en remettre à Dieu. Non pas devenir souffle, mais nous laisser porter, remplir par le souffle, jusqu’à en rendre la terre légère, jusqu’à laisser l’amour descendre et monter, libérer les espaces et ouvrir à la liberté sans limite.

Amen.

 

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