Messe du 19e dimanche du temps ordinaire

 

Père Guy Musy, sanctuaire Notre-Dame de Tours, Cousset, le 12 août 2012
Lectures bibliques :
1 Rois 19, 4-8; Ephésiens 4, 30 – 5, 2; Jean 6, 41-51 – Année B

« Moïse, retire tes sandales ! Car le lieu où tu te tiens est saint ! »
Des siècles après le guide d’Israël, des hommes et des femmes continuent  d’obéir à cette directive. Les musulmans se défont de leurs chaussures quand ils pénètrent dans une mosquée ; les chrétiens enlèvent leur chapeau et progressent tête nue dans une église ; tandis que les juifs se coiffent impérativement d’une kipa dès qu’ils passent le seuil d’une synagogue. Autant de signes extérieurs – parfois contradictoires – qui manifestent que certains lieux, plus que d’autres, sont marqués par la présence divine. Des lieux qui n’attirent pas seulement les croyants ; les cabossés de la vie et les assoiffés de paix et de sérénité y trouvent leur refuge eux aussi.

Ainsi sont nés les pèlerinages, à commencer, dans la tradition biblique, par celui qu’entreprit ce pauvre prophète Elie dont une lecture nous parle ce matin. Découragé et déprimé, marchant et clopinant dans le désert, une gourde d’eau en bandoulière et un quignon de pain dans sa besace. Un chemin qui lui dura quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu, là-bas, quelque part dans le massif du Sinaï ! Ce pèlerinage, comme tous les pèlerinages, fut pour lui un retour aux sources, à la source originelle, à son propre puits intérieur, demeuré embourbé et obstrué. Un pèlerinage pour retrouver la joie et la pureté des commencements, des lunes de miel d’autrefois et des paradis que l’on croyait perdus. Sur les chemins de Compostelle, de La Mecque, de Lourdes ou de Jérusalem marchent encore aujourd’hui des milliers d’humains, non pour conquérir une médaille olympique, mais pour se retrouver eux-mêmes sous le regard de Dieu. Beaucoup de ces aventuriers reviennent chez eux en avouant comme Moïse : « Vraiment ce lieu était saint et je ne le savais pas ! ».

Notre-Dame de Tours où cette messe est célébrée est un de ces lieux que j’appellerais magique, si je n’étais pas chrétien. Depuis des siècles affluent sur cette modeste colline, plantée au coeur du pays broyard, des hommes et des femmes qui désirent prier. Les historiens et archéologues nous disent que les tout premiers chrétiens de ce pays, au IVème siècle déjà, avaient édifié ici une église, sur les lieux mêmes où leurs ancêtres celtes vénéraient leurs dieux. L’histoire postérieure a fait de ce sanctuaire une chapelle mariale qui a défié les Réformateurs du pays romand et attire encore de nos jours des pèlerins. Avec émotion, je me souviens qu’enfant j’accompagnais ma grand-mère venue ici prier la Vierge, après avoir marché une heure ou deux à travers champs et forêts. Que venait-elle chercher et demander dans cette chapelle? Je n’ai jamais pénétré son jardin secret. Cette femme paysanne devait sans doute avoir le cœur lourd en arrivant ici. Elle l’avait léger en rentrant chez elle. Sans le dire aussi, elle voulait transmettre un secret à son petit fils. Ce lieu était saint et je ne le savais pas encore.

Mais j’éprouve comme un hésitation et un scrupule à poursuivre ce thème. Je parle de pèlerinage, alors que beaucoup d’auditeurs sont peut-être cloués sur un lit d’hôpital ; d’autres privés de mobilité dans un home ou une maison de retraite ; d’autres encore enfermés dans une cellule d’un établissement pénitencier. Faut-il vraiment marcher pour retrouver la Vierge et les saints ? Faut-il faire un long périple, loin de chez soi, pour retrouver la source qui purifie et désaltère ? Qui vous a dit cela ? Il est des pèlerinages intérieurs où, sans sortir de sa chambre, on peut parcourir un long chemin. Beaucoup entreprennent ce voyage guidés par la souffrance et l’épreuve et découvrent au terme d’une longue itinérance intérieure apaisement, force, pardon et acceptation. Ils étaient partis révoltés contre Dieu, contre les hommes et sans doute aussi contre eux-mêmes. Les voilà réconciliés, régénérés et ressuscités.

Ce que l’on demande à tout pèlerin en marche vers Compostelle, vers Tours ou Jérusalem c’est qu’il se désencombre, élimine du sac qui pèse sur son dos tout le superflu qui fatigue et alourdit. Qu’il laisse une place à l’inédit, à l’imprévu, à l’étonnement : qu’il laisse une place à Dieu, finalement. Et cela vaut aussi pour ces pèlerinages immobiles, quand la maladie, la vieillesse, le handicap se chargent de nous purifier et de nous ramener à l’essentiel.

Un confrère me faisait remarquer que le secret et la plénitude du pèlerinage se trouve dans la marche elle-même, dans l’effort et l’ascèse du chemin, plutôt que dans le repos de l’arrivée. Encore faut-il avoir la force d’avancer. Le pain de vie auquel l’évangile de ce jour fait allusion est appelé « viatique » dans la tradition chrétienne, littéralement, le pain du pèlerin, la manne quotidienne qui soutient nos forces  et nous permet de progresser. Cette halte de Tours ne va pas sans eucharistie. Nous allons la recevoir pour reprendre souffle et repartir. Courage ! La route est encore longue jusqu’au Mont Horeb, notre paradis ! Mais le Christ, le premier des pèlerins, nous ouvre le chemin et nous entraîne derrière lui !   

 

 

 

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