Messe du 14e dimanche du temps ordinaire

 

Père Philippe Lefebvre, Centre d’accueil La Pelouse, Bex, le 8 juillet 2012
Lectures bibliques : Ezékiel 2, 2-5; 2 Corinthiens 12, 7-10; Marc 6, 1-6 – Année B

Une personne, pas un clone.

« N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie ? (…) Et ils étaient profondément choqués à cause de lui ».
Frères et sœurs, vous l’avez sans doute remarqué : il y a des tas de gens qui savent toujours tout sur tout le monde. On peut faire ce qu’on veut, dire ce qu’on veut, cela ne change pas grand chose pour eux. Ils vous ont repérés, répertoriés, inventoriés ; ils vous ont classés, classifiés, catalogués. « On t’a vu naître, on sait d’où tu viens, on sait qui tu es, ce que tu penses ». Que ce soit dans une famille, dans un village, dans une entreprise, dans un groupe quelconque – une paroisse ou un couvent par exemple – ces gens-là existent et sont aux aguets. Parfois même, ce sont des groupes entiers qui se comportent ainsi : ils se donnent alors comme la seule réalité possible : « tu n’as pas de vie en dehors de nous – semble dire le groupe – pas d’avenir sauf celui que nous te ferons, pas d’initiative à prendre sauf celles que nous prenons ». Beaucoup de groupes veulent ainsi contrôler tout et tout le monde.

Si vous faites mine d’échapper au groupe qui organise si bien votre vie, qui la canalise et la maîtrise, alors les ennuis commencent. Jésus a vécu cela très vite lors de son existence sur cette terre. Dès qu’il s’est mis à parler, à sortir des sentiers battus, à rencontrer des personnes extérieures au groupe attitré, beaucoup se sont interrogés sur ce garçon récalcitrant. « Et quoi ? Il prend des initiatives, il ne se met pas sur les rails qu’on a posés devant lui ? Il ne s’agenouille pas devant le cercle villageois pour reconnaître qu’il dépend entièrement de lui ? ».

Alors que Jésus parle à la synagogue du patelin où il a passé sa vie et dont il est le charpentier, les gens sont choqués de l’entendre – « scandalisés », dit le texte grec. Vous l’avez entendu : ces gens ont très bien perçu que Jésus a reçu une sagesse qui ne vient pas du groupe, qu’il peut faire des choses – des miracles – qu’il n’a pas pu apprendre de la collectivité villageoise. Mais cela ne les interroge pas vraiment ; la seule conclusion qu’ils tirent est : ce Jésus échappe à notre pouvoir ; il a une vie que nous ne pouvons pas contrôler. C’est pourquoi ils sont indignés.
Leur seul argument est : « on connaît sa famille », et ils ramènent alors la liste de la parenté, comme si elle constituait une démonstration : « puisqu’on connaît la smala de Jésus, il est l’un de nous, il est comme nous, donc il ne devrait pas dire de paroles qui ne viennent pas de nous ». Le groupe, quand il n’est qu’un petit monde limité, borné, ne peut, ou plutôt ne veut pas imaginer que certains de ses membres reçoivent leur vie, leur intelligence de plus loin que lui. La rengaine qu’il ressasse est : « puisqu’on te connaît, tu es fait dans le même moule que nous, donc tu n’as rien de plus que nous ».

Or, toute la révélation biblique nous montre que la vie vient de plus loin que nous. La sagesse qui dépasse les bornes humaines et nous permet d’avoir un regard neuf sur la réalité ambiante, elle vient de Dieu, si du moins nous l’accueillons. La clairvoyance qui nous permet de discerner entre ce qui est juste de ce qui ne l’est pas, entre la parole vraie et le baratin, elle vient de Dieu, si du moins nous l’accueillons. Devenir un vivant, autrement dit un homme ou une femme éveillés, et pas un zombie ou un clone des membres du groupe, cela est un don de Dieu, si du moins on accepte de s’engager dans cette aventure de devenir une personne.

La Bible est remplie de ce genre d’histoire. Dans la Genèse, Joseph a une fratrie nombreuse et il se démarque de ses frères : Joseph est intéressé par Dieu et par toutes les inspirations qu’il peut envoyer. Ses frères sont bien différents : pour eux, la vie du groupe familial consiste à s’ennuyer ensemble. On se barbe, mais au moins c’est dans les limites du groupe et on ne va pas chercher midi à quatorze heures, comme ce Joseph qui a des rêves vibrants et glorieux. Les frères finiront par vendre Joseph comme esclave en laissant croire qu’il a été mis en pièce par une bête féroce. Joseph fera son chemin avec Dieu dans la fidélité à ses premières intuitions.
Il ne s’agit donc pas, quand on se démarque de la bande à laquelle on est censé appartenir, de pratiquer l’esprit de contradiction, de dire systématiquement le contraire des autres en pensant être original. Le vivant est toujours un être qui parle et agit pour l’utilité de tous, parce qu’une vérité doit être manifestée qui fera du bien même si elle semble rude. Il n’est ni une grande gueule ni un rentre-dedans, mais quelqu’un qui cherche à éclairer la réalité vécue par lui et par les siens à la lumière inattendue de l’Esprit du Seigneur. Ce qui l’intéresse, c’est d’appartenir non pas à un groupe de pression, à un lobby, mais à une communauté. Dans une communauté, on reçoit sa vie d’ailleurs et on la savoure les uns avec les autres, sans s’épier du coin de l’œil.

Ce vivant, passionné de vérité qui travaille pour le bien commun quoi qu’il lui en coûte, on le désigne souvent dans la Bible par le nom de prophète. Ézéchiel (selon notre première lecture) est ainsi envoyé par Dieu vers un peuple qui s’est refermé sur lui-même, afin de faire entendre la voix oubliée du Seigneur. « Qu’ils écoutent ou qu’ils refusent (…), ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux », dit le Seigneur qui le mandate. Même si la mission échoue, au moins ils auront entendu autre chose que leurs préjugés, ils sauront qu’il se dit autre chose que leurs bavardages.

La présence de Dieu qui vient dans la chair que l’on croyait connue et classée, c’est l’aventure essentielle dont toute l’Écriture nous parle. Que le Christ, le fils de Marie, le charpentier de Nazareth, soit le Fils de Dieu, cela semble impossible, déplacé, pour les gens du village qui prétendent le connaître par cœur. Pour entrer dans ce mystère, il faut en faire soi-même l’expérience. Vous avez surpris les vôtres qui pensaient trop bien vous connaître ? Vous avez peut-être eu l’impression de vivre sans cesse en porte-à-faux avec votre milieu, bien que vous désiriez lui apporter le meilleur ? Vous avez été froidement accueilli quand vous disiez une vérité salutaire ? Alors c’est sans doute que vous avez goûté à cette nouveauté dont parle l’apôtre Paul : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi ». Et tout en paraissant celui ou celle que l’on croit connaître, vous êtes en train de faire émerger en vous un autre « moi » qui va vous surprendre et en surprendre bien d’autres ; et aussi en irriter quelques-uns : et ça, c’est un très bon signe !

 

 

 

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