Messe du 13e dimanche du temps ordinaire

 

Chanoine Guy Luisier, église de Salvan, le 26 juin 2011
Lectures bibliques : 2 Rois 4, 8-16; Romains 6, 3-11; Matthieu 10, 37-42 – Année A

 

« Qui veut garder sa vie pour soi la perdra, qui perdra sa vie à cause de moi la gardera. » Forte et décisive parole de Jésus. Et même tragique, quelque part. Cette parole pour la déchiffrer, je voudrais la mettre en perspective avec une histoire de chez nous.

En 1912, un jeune homme de notre village de Salvan s’embarque dans un bateau vers l’Amérique. Sans doute a-t-il quitté une région alors très pauvre de Suisse pour trouver ailleurs une situation économique meilleure. Mais au contraire de beaucoup de ses concitoyens qui allaient refaire leur vie en s’enracinant en Argentine ou en Californie, le jeune Alexis était cuisinier sur bateau, cuisinier au long cours. Il faisait partie de la nombreuse équipe de cuisine chargée de proposer aux classes privilégiées de ce paquebot des repas capables de changer en fête cette longue traversée vers New York.
Or, durant cette traversée de travail certainement dur et pénible, Alexis est mort. Le Titanic a coulé, vaincu par un iceberg dans le nord glacial de l’Atlantique. Le corps du jeune cuisinier est resté au fond comme celui de tant d’autres, riches ou pauvres, serveurs ou servis, grands ou petits.
Lorsque je contourne l’église paroissiale et que je vois adossée à elle la plaque rappelant le sort malheureux de ce compatriote, je ne peux m’empêcher de penser à la planète-vaisseau que nous habitons.
L’aventure du Titanic est-elle une parabole du chemin de notre monde ? Sans doute est-elle au moins une leçon, une leçon de modestie. L’homme ne maîtrise jamais tout. A voir trop grand, on finit petit.

Les destins humains sont divers. Des tragédies indicibles en marquent quelques-uns. Des joies et des aventures sont distribuées comme au hasard dans la vie. Mais de temps en temps comme en cette nuit glaciale de naufrage, les hommes se sentent soudain tellement égaux… ne serait-ce que dans le malheur.
Mais qu’est-ce qui relie tous les destins humains depuis les siècles que l’homme navigue sur le vaisseau terre ? Le dénominateur commun de toutes ces destinées n’est-ce pas le désir d’un plus ? Oui la faim, le désir affamé tapi au fond de chacun, la faim d’un plus. Que nous soyons cuisinier, serveur, que nous soyons snob, milliardaire, tous nous avançons dans la vie avec le désir d’avoir plus. Ce désir d’un plus prend des formes diverses : plus d’argent disent les uns, mais le désir ne s’éteint pas ; plus de sécurité disent d’autres, mais leur désir peine vers une plénitude; plus de jours, plus d’années, pense-t-on aux portes de la vieillesse; plus de calme, de tranquillité, cherchent d’autres encore mais en fait tout cela reste devant soi, en avant comme inatteignable.
L’homme désire. L’homme a faim. « L’homme est un être de désir et de faim », disent les penseurs et les sages.  C’est une assez bonne définition que nous sommes prêts à accepter. 

Mais qu’en pense Dieu ? Et bien, Dieu dit la même chose. L’homme est un être qui a besoin de plus, qui est fait pour plus, plus que ce qu’il a, plus que ce qu’il est. Dieu le sait très bien, parce que ce désir de plus, c’est lui-même (en tant que source créatrice de l’homme et de l’histoire) qui l’inscrit dans la nature de l’homme.
Vouloir plus est incrusté dans l’être humain. Mais la réponse et le chemin pour y arriver, pour arriver à ce plus sont divers et – il faut l’avouer – ils sont souvent faux, ils sont souvent faussés.
Malentendu : l’homme est fait pour plus ; non pas avoir plus, mais être plus, non pas attirer sur soi plus de richesse, plus de culture, plus de ceci ou plus de cela, mais pour être fondamentalement plus, c’est-à-dire être relié à celui qui est le plus fondamental : le Dieu de Jésus Christ.
Jésus, qui partage notre humanité et qui partage la divinité du Créateur, le sait bien ! Et c’est cela qu’il veut dire quand il proclame : « Qui veut garder sa vie pour soi la perdra, qui perdra sa vie à cause de moi la gardera. »  

Il faut un apprentissage long, fait de conquêtes intérieures douloureuses. Lâcher prise sur l’avoir pour gagner de l’être. Les lectures de notre eucharistie d’aujourd’hui, comme d’ailleurs toutes les pages de la parole de Dieu nous parlent de cela.
Lorsque Jésus vient au nom de son Père mettre son doigt sur les désirs humains et en indiquer les forces et les pièges, il ne met pas des gants, il nous assène des vérités finales qu’il nous faut longuement accueillir en soi. Le mystère du pain partagé à la messe procède de cette même dynamique. Jésus dans le pain de sa présence réelle nous livre tout ce qu’il est. C’est dans le chemin du don de notre être qu’à notre tour, nous serons plus.

Jeudi dernier, dans nos cantons catholiques et aujourd’hui chez les catholiques d’autres cantons, se célèbre la Fête-Dieu. Nous nous rassemblons avec un regard émerveillé de question autour d’un morceau de pain dans lequel le regard de la foi catholique lit la présence réelle du Dieu vivant. Devant la scandaleuse petitesse matérielle de cette présence, n’a-t-on pas à lire une vérité :
Dieu nous rejoint dans le moins pour nous ouvrir à l’être plus. Nous avons faim d’un désir d’infini, Nous désirons être éternels et la nourriture que Dieu nous donne a la petitesse d’un pain à l’humble apparence, à l’humble goût.
Dieu ne s’y est pas trompé, le pain pour notre route et pour notre destin ne vient pas nourrir notre désir d’avoir plus, plus de possession, plus de jours, plus de culture, plus d’argent. Il s’enfonce fondamentalement dans notre vie et dans notre faim. Il vient nous ouvrir tout au fond de nous à l’être plus, à l’être éternel.  Lorsque l’on se perd soi-même, on se trouve pour la vie éternelle. 

 

 

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