Messe du 11ème dimanche ordinaire, dimanche des Réfugiés

Père Guy Musy, à l’église Saint-Joseph, Genève, le 15 juin 2008
Lectures bibliques : Exode 19, 2-6a; Romains 5, 6-11; Matthieu 9, 36 – 10, 8 – Année A

 

Un attaché-case est un symbole parlant de la Genève internationale et de son aéroport en particulier.

Côté face, côté jardin, côté lumière : voici des hommes d’affaires, des diplomates, des banquiers, mais aussi ces jours derniers, des sportifs, leurs cohortes de supporters, sans oublier les allers et venues des vacanciers.

Côté pile, côté cour, côté ombre et même côté ténèbre : voici des réfugiés, hommes, femmes et enfants, demandeurs d’asile, ou plus simplement demandeurs et mendiants d’humanité.
Dans les replis de notre valise, voici donc une famille de déplacés : Eux aussi chercheurs d’asile pour de manifestes raisons religieuses et politiques. Sous leurs traits andins, vous aurez reconnu la famille de Jésus, sur la route de l’exil.
Joseph, le père, dispose-t-il de toutes ses pièces d’identité pour franchir la frontière égyptienne ? Ou va-t-il être refoulé avec Marie et leur jeune enfant dans le sous-sol sans air et sans soleil d’une aérogare internationale, errant pendant 5 à 6 semaines dans les couloirs d’une zone de transit jusqu’à ce qu’enfin on statue à leur sujet ?
Bien plus tard, se remémorant peut-être ce douloureux exode égyptien qui a marqué son enfance, Jésus aura ces paroles si fortes que ses disciples ne pourront l’oublier : « Je suis remué jusqu’aux entrailles pour ces gens, parce qu’ils sont fatigués et prostrés, comme des brebis qui n’ont pas de bergers ».
A Genève, quelques bergers et bergères de l’aumônerie œcuménique de l’aéroport sont pris par la même émotion et témoignent autant de tendresse et d’humanité à l’endroit de ces réfugiés fatigués, prostrés devant un unique poste de télévision ouvert jour et nuit.
Pour l’instant, ce sont les douze apôtres, appelés par Jésus chacun par son nom, qui sont affectés aux travaux des champs du Seigneur et à la garde de sa bergerie. « Pierre, Jacques ou Jean m’aimes-tu ? – Oui, Seigneur, je t’aime ! – Va paître mes agneaux. Va paître mes brebis ! ». Notez bien, Jésus ne les envoie pas au bout du monde ramener dans un unique bercail toutes les brebis égarées. Cet ordre viendra plus tard. Pour le moment, ils ne quitteront pas les sentiers de Palestine où il y a tant de « brebis perdues » sur les collines voisines, sans parler de toutes celles qui errent hagardes, désoeuvrées ou désespérées dans les couloirs obscurs d’une zone de transit. Ces apôtres anciens et modernes sont envoyés les mains nues dans ce paysage éprouvant dont l’atmosphère vous prend à la gorge et aux entrailles. Leur bâton de berger n’a pas la forme ou le prix d’une crosse épiscopale. Non. Ni or ni argent dans leur ceinture, pas de dispositif pastoral dans leur ordinateur. Non. Ils n’ont qu’une parole à faire entendre, une parole de paix, une parole de vie. Les bergers et bergères ont mission de guérir les cœurs brisés, faire renaître l’espoir et l’espérance et annoncer aux pauvres que Dieu ne les a pas oubliés.
« Parole, parole… », chantait Dalida. On connaît la chanson ! Non. Les apôtres ne se nourrissent pas de bons sentiments, pas plus qu’ils ne gavent leurs brebis de consolations de pacotille. Leur présence et leur charité sont efficaces et leur voix se fait entendre au loin. Comme ce sermon de l’Abbé Journet prononcé dans cette église genevoise au sortir de la deuxième guerre mondiale devant un auditoire de réfugiés français. La parole de vie et d’espoir ne s’adresse pas seulement aux réfugiés, mais aussi et même d’abord au peuple qui les accueille ou qui hélas refuse parfois de les accueillir. L’évangile n’est pas une thérapie individuelle pour les âmes délicates; il veut aussi redresser et renouveler la société.
Les apôtres, anciens ou modernes, sont d’autant plus enclins à visiter les souterrains des aéroports qu’ils sont eux-mêmes des exilés et des réfugiés, s’il faut en croire l’apôtre Paul. Selon lui, un chrétien n’a pas ici-bas de patrie permanente. Il n’est qu’un voyageur, pèlerin itinérant à la recherche d’un autre monde, meilleur que celui qui l’héberge. A l’instar de son maître, jamais installé, sans aucune pierre pour reposer sa tête. C’est, semble-t-il, aussi l’étymologie du mot « paroissien » : celui qui se tient à l’extérieur de la maison, attendant qu’on l’invite à y pénétrer. Nous sommes donc tous des étrangers, jamais vraiment « chez nous » ! Ou alors, nous sommes partout chez nous, citoyens de la terre entière. Puisque tous les humains ont la même origine, le même Père et, bien sûr, la même terre à partager !
Je comprends mieux maintenant ce verset qui pourrait non seulement servir de finale à cette page d’évangile, mais encore de mot d’envoi donné par Jésus à tous les chrétiens de ce temps : « En pur don, vous avez reçu : en pur don, donnez ! ».
J’ai même envie d’ajouter : « A bon entendeur, salut ! »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *