Messe de la fête du Christ Roi de l’univers

 

 


Chanoine Guy Luisier, Abbaye de Saint-Maurice, le 26 novembre 2000

Lectures bibliques : Daniel 7, 13-14; Apocalypse 1, 5-8; Jean 18, 33-37

Le cosmos, la danse des étoiles, la ronde des planètes nous laissent souvent pleins d’étonnement et d’émerveillement. L’univers, c’est aussi une histoire ahurissante. Des magmas d’énergies forment des galaxies. Et voilà qu’un jour, si jour veut bien dire quelque chose ici, voilà qu’un jour un soleil apparaît aux orées d’une voie lactée et des petites boules grises, brunes ou bleues dansent autour de lui.
Un jour semble-t-il l’univers va se rétracter; les galaxies s’éteindront et scelleront le destin du soleil, cette boule de feu si minuscule parmi toutes ces boules de feu et pourtant si immense pour les fourmis humaines de la planète terre. Un jour il s’éteindra aussi et l’histoire des hommes tombera dans l’oubli et aura été à l’échelle de cette immensité des temps et des lieux comme une caresse au bord de l’infini.

Lorsqu’on parle avec les lunettes des astrophysiciens, on côtoie des abîmes, des trous noirs de questions aussi grandes que les distances entre les galaxies. Parlant de ce sujet, un conférencier, astrophysicien lui-même, a annoncé au cours de son propos que selon les dernières études scientifiques, le soleil s’éteindrait dans 3 ou 4 millions d’années. Il entend alors un murmure dans la salle. Alors il se reprend et dit : « Excusez-moi, ce n’est pas 3 ou 4 millions d’années, mais 3 ou 4 milliards d’années ». Et a ce moment-là, monte très perceptiblement de la salle comme une respiration de soulagement, qui voulait presque dire « trois milliards et non pas trois millions d’années, nous l’avons échappé belle ».
Il est lourd de signification, ce soulagement. Car cela veut dire qu’au fond de nous-mêmes, avec notre pauvre espérance de vie de 80 ou 90 ans, nous ne pouvons nous résoudre à n’être qu’un fétu de paille d’une histoire qui irait vers son néant.

Cela veut dire que l’homme avec toutes les fibres conscientes ou inconscientes de son être ne peut se résoudre à voir disparaître sans raison, sans signification, l’histoire du monde, l’histoire humaine et sa propre histoire comme un maillon perdu dans une chaîne qui ne servirait à rien.

En contrariant un héros de Shakespeare, l’homme ne peut pas se résoudre à ce que le monde et la vie ne soient « qu’une ombre qui passe, un pauvre comédien qui se pavane et s’échauffe une heure sur scène et puis qu’on n’entend plus, une histoire racontée par un idiot, pleine de fureur et de bruit et qui ne veut rien dire ». Avec tout ce qui fait ses désirs, ses recherches, ses questions, ses erreurs et ses joies, l’homme cherche du sens à tout ce qu’il voit et ce qu’il fait.
Et c’est ici que nous rejoignons le sens même de la fête du Christ Roi de l’univers qui clôture le parcours annuel de liturgie. En partant du temps de l’Avent dernier, nous avons suivi les espérances humaines au ras des pâquerettes jusque sur la paille de Bethléem, nous avons accompagné Jésus à travers le Carême jusque sur le Calvaire, jusqu’à la pierre roulée de la résurrection et en Jésus nous avons trouvé les réponses à notre destin personnel.

Puis nous avons cheminé avec l’Eglise et les hommes sur les chemins évangéliques du temps ordinaire. Et maintenant il s’agit de mettre un point d’orgue à tout ce parcours de sens que nous offre la liturgie.

Ainsi il faut bien comprendre que cette célébration du Christ Roi de l’univers n’est pas d’abord une réflexion sur le gouvernement des hommes. Elle ne fait pas la promotion d’un gouvernement plus adapté au besoin de la société. Nous sommes dans un autre ordre des choses.
Devant Pilate, Jésus s’en défend immédiatement.
Ma royauté ne vient pas de ce monde.

Non effectivement elle vient de plus haut que les formes de gouvernement que se donnent les hommes et qui ne répondent qu’à des besoins très temporaires et temporels des sociétés humaines.
La fête du Christ, Roi de l’univers, propose une réponse au sens même du monde, elle donne signification à l’univers. Ce sens ultime du cosmos et de l’histoire, c’est Jésus lui-même, qui réunit en lui tout l’incréé de Dieu et tout l’univers créé dont le sommet est l’homme. Jésus, Homme Dieu, est la richesse première et ultime du chrétien et de l’homme. C’est lui le trésor que nous portons dans les poteries fragiles de nos idées, de nos credos, de nos rites et de nos étendards.

En cet homme de Nazareth qui a partagé notre sang, notre sueur et nos questions, nous pouvons lire la réponse ultime du Dieu incréé aux questions de l’univers créé. Le Dieu de l’éternité donne son sens, c’est-à-dire sa direction et sa signification, au temps de l’univers et de la créature.

Selon les apparences et les calculs des scientifiques, l’univers à la longue va se désintégrer vers son néant. Selon une vérité tout autre et bien plus grande, notre réalité profonde peut intégrer un univers dont Jésus est le pivot, l’axe, (c’est d’ailleurs le sens de la royauté dans une société). C’est cette vérité-là dont témoigne Jésus.
Je suis roi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à La vérité.
Jésus devant Pilate vient justement témoigner d’une vérité, qui dépasse les vérités partielles, contingentes et quelque fois si désespérantes des politiciens, des historiens, des scientifiques et de tous les sociologues.

Le message chrétien au-delà des apparences de terre cuite, de poterie sans valeur et de tous nos agacements ecclésiaux, le message chrétien dit cela : Il y a un sens et une structure à ce que nous vivons. Alors arrêtons de nous disputer vainement pour des bouts de poteries et tournons nos regards vers la bonne nouvelle qu’ils contiennent. Nous n’allons pas vers le vide physique et le néant métaphysique; nous rejoignons notre Dieu par Jésus.

Nous n’allons pas nous désintégrer dans l’élémentaire des particules, nous allons nous intégrer dans l’Amour infini qui est le nom de Dieu et qui est Dieu dont le visage a les traits des nôtres en Jésus.
Voilà une bonne nouvelle pour un mois de novembre au soleil rare et terne. Le soleil des chrétiens ne s’éteindra pas dans 3 ou 4 milliards d’années. Nous avons un soleil éternel qui nous attire avec tout ce que nous sommes dans le rayonnement de son éternité.

 

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