JMJ 2000 :Témoignages de Tor Vergata, Rome, le 19 août

 

– Le pardon, par Domingos
– La liberté, par Maria Aurora
– La peine de mort, par Stefania
-La recherche de la sainteté, par Massimiliano

Le pardon par DOMINGOS
Saint Père, je viens d’un pays d’Afrique, où se joue un des plus longs conflits de l’époque moderne. Je m’appelle Domingos, je fais partie d’une génération de jeunes qui depuis qu’ils sont nés, n’ont connu autre chose que la guerre et ses horribles conséquences: la destruction de familles entières, des persécutions de personnes d’ethnies différentes, meurtres de personnes innocentes, des personnes âgées aux enfants d’âge tendre.

Presque toutes les familles pauvres de mon pays, comme la famille à laquelle j’appartiens, ont été touchées par les effets terribles de la guerre. Et la personne qui n’a pas perdu les parents les plus directs, a enregistré le deuil au moins d’un membre de sa famille traditionnelle élargie.

Au commencement des années quatre-vingt-dix j’ai perdu mes parents en des conditions que Dieu seul connaît. Alors nous sommes restés sous la responsabilité de notre frère aîné, qui depuis un certain temps était déjà engagé dans un travail de développement social dans les milieux ruraux. Mais le 20 mai 1999 au matin, nous avons reçu la nouvelle tragique: mon frère a été trouvé mort au bord de la route principale où il habitait, tué avec six coups d’arme à feu. Il avait été enlevé en plein centre du village l’après-midi du jour précédent.

Le sang de mon frère s’est joint au sang d’autres nombreuses victimes de la guerre angolaise, et aujourd’hui encore on continue à mourir dans des manières analogues ou même encore pires.

Pour moi, ce meurtre a été une très difficile épreuve: un sentiment de révolte et de vengeance envahissait mon esprit. Mais le temps m’a fait comprendre que le sang de mon frère pouvait servir comme sacrifice pour la paix et la réconciliation entre les Angolais.

En tant que chrétien, j’ai senti que moi aussi j’avais la “fonction d’attirer mon peuple et les hommes à la réconciliation et la paix” comme vous, Saint Père, nous l’avez rappelé pendant l’homélie de votre première célébration en Angola, qui a eu lieu justement dans la ville dans laquelle mon frère a été tué.

Avec ce souvenir au cœur j’ai pardonné aux assassins de mon frère, même si je ne les avais pas connus personnellement.
En mémoire de mon frère, j’ai écrit les paroles suivantes. “Oh Dieu, pardonne, ces assassins. Ne considère plus ce péché. Fais que son sang lié au sang de beaucoup d’autres personnes victimes de la haine et de la vengeance soit une semence pour la paix en Angola”.

Saint Père, ceci je le crois vraiment.

La liberté par MARIA AURORA
Saint Père, je m’appelle Maria Aurora, je viens de Roumanie et j’appartiens à l’Eglise Greco-Catholique, une des Eglises catholiques orientales de rite byzantin qu’on a mis hors-la-loi par ordre de Staline en 1948. Combien de souffrances, combien de douleurs, combien d’années de prison à cause de cet ordre!

De temps en temps nos parents nous en parlaient. C’est ma mère qui m’a transmis la foi chrétienne catholique quand j’étais encore une petite fille. Je ne parvenais pas à comprendre pourquoi nous ne pouvions pas aller à l’église, pourquoi je ne pouvais pas dire moi aussi que “nous avons une église” et pourquoi nous écoutions la Sainte Messe transmise par Radio Vatican avec l’oreille collée à la radio parce que personne ne devait le savoir.

J’avais sept ans lorsque j’ai assisté à une liturgie clandestine célébrée par un prêtre qui venait de sortir de prison, où il avait purgé une peine pour l’accusation d’être un « ennemi du peuple  »

Lorsque je fréquentais l’université, j’ai rencontré une vingtaine d’étudiants qui partageaient les mêmes idéaux religieux. Nous nous rencontrions souvent, en secret, dans un groupe de prière et de fraternité, en oubliant que nos convictions étaient dangereuses du fait de ce régime qui voulait soumettre toute la personne humaine, son âme et son corps.

Un jour la police secrète nous a découverts et nous avons risqué d’être écartés de tous les cours universitaires de Roumanie. Mais nous étions trop jeunes et nous nous sentions vraiment libres dans le Christ.

Pendant cette période j’ai assisté à une ordination sacerdotale clandestine, qui s’est tenue dans une très modeste maison ou habitait notre évêque. Les portes fermées, les fenêtres biens closes, en tout nous étions 4 personnes à être présentes : l’évêque, une religieuse clandestine, le nouveau prêtre et moi-même. Cet événement m’a profondement touchée et a changé l’histoire de ma vie: mon église existait donc, elle avait ses prêtres et, même clandestinement, elle était libre en elle-même, libre dans le Christ.

Après l’université, chacun de nous qui faisait partie de ce groupe de vingt étudiants, a entrepris un chemin dans la société et un chemin “clandestin” de foi: moi aussi je vivais ma foi, je rencontrais mes amis chaque jour dès la sortie de mon travail .

Dans toutes les célébrations, la peur et la joie dominaient nos coeurs. Tout se passait tranquillement; les chants murmurés, on répondait avec un fil de voix; nous étions tous habillés très simplement, comme pour une visite quelconque. Mais pendant la Messe, je me sentais libre: le Christ ne pouvait pas être arrêté, c’était lui qui nous unissait.

Aujourd’hui ce régime est tombé, mais nous nous rendons compte malheureusement qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour changer nos coeurs et une vieille mentalité qui tarde à disparaître.

Cependant je suis convaincue, Saint Père, que les jeunes auront toujours la disponibilité d’ouvrir les portes de leur vie au Christ et au prochain, pour créer dans notre Roumanie un avenir de solidarité, de vérité et de partage, pour pouvoir mettre de côté les méfiances réciproques et enfin vivre dans une société libre et réconciliée.

La peine de mort par STEFANIA
Saint Père, je m’appelle Stefania. Il y a quatre ans une personne du même âge, enfermée dans un couloir de la mort, a écrit en demandant de l’amitié et de l’aide. Depuis un certain temps je m’intéressais, avec quelques amis, à la suspension des exécutions capitales. Mais la lettre de ce jeune demandait quelque chose de plus: lui faire une visite.

J’ai accepté et c’est ainsi que j’ai connu d’autres détenus, dont les noms, Saint Père ne vous sont pas inconnus. Pour certains d’entre eux, vous êtes intervenu en demandant la clémence.

Je voudrais dire que de la part de tous nous arrive une même demande pressante: celle d’être aimés, accompagnés. J’ai besoin de toi – m’a dit Dominique, 26 ans, détenu dans le couloir de la mort depuis l’âge de 18 ans -. La chose la plus importante c’est l’amitié.
Parfois dans l’attente desesperée de quelque signe de salut, s’ouvre un dialogue mystérieux avec Dieu.

John Michael dans ses lettres me demandait de prier pour lui. “Si Dieu me pardonne – il écrivait – je serai l’homme le plus heureux de la terre…Je suis entre les mains de Dieu, mieux que ça il n’y a rien”. J’ai été le trouver aux Etats-Unis, dans une grande pièce remplie de femmes, pour la plupart des personnes âgées, qui parlent avec leur fils. On se regarde, mais on ne peut pas se toucher. John Michael m’a parlé de sa lutte pour garder sa propre dignité d’homme, des humiliations qu’il a subies. Il m’a confessé que depuis dix ans il n’avait jamais parlé si longtemps avec une personne.

Un autre condamné à mort, Joé Mario Trevino, executé le 18 août 1999, il y a juste un an, à 37 ans, m’a écrit ceci :
“Ma très chère amie, quand tu recevras cette lettre, je ne serai plus parmi les vivants, mais ceci c’est OK parce que j’irai vers une place meilleure, comme cela m’a été promis par Dieu. Pour cela s’il te plaît, ne sois pas triste; réjouis-toi pour le fait que je serai avec notre Père céleste, là où toute douleur et toute soufrance n’existent pas…J’ai eu extrêmement de chance d’être béni par les amitiés que j’ai eues dans mon chemin vers le ciel. Tu as été gentille avec moi, tu as été une bonne amie et nos sentiers devaient se rencontrer, cela pour que je puisse croître sprirituellement. Nous nous rencontrerons face à face. Tu peux y compter. Ciao. »

Quand j’écris à un condamné à mort en cherchant des paroles de consolation et d’espérance, je vois chez beaucoup d’entre eux des demandes d’amitié, de réconciliation et de pardon pour soi-même et pour les autres. J’ai découvert avec surprise leur confiance en la miséricorde de Jésus, la conviction que Dieu connaît leur cœur et leur pardonne.

Saint Père, nous, jeunes, sommes convaincus que le mal ne se vaincra pas par la mort mais par le bien. Nous sommes convaincus qu’à chaque homme devrait être offerte la possibilité de se racheter.

Merci Saint Père, parce que nous vous savons fort contre toute haine et toute vengeance. Nous sommes avec vous pour que la peine de mort soit supprimée partout dans le monde. Merci.

La recherche de sainteté par MASSIMILIANO
Saint Père, je m’appelle Massimiliano, je suis un jeune de Rome comme tant d’autres. A la différence de Domingos, j’appartiens à une génération qui n’a pas connu la guerre. Je ne sais pas ce que veut dire être réfugié ou déporté. Je suis né dans une société où on peut tout acheter, où il semble que tout soit à la portée de la main. Moi aussi j’ai tout : santé, famille, études, possibilités de voyager et de connaître, les amitiés, et surtout la paix.

J’ai tout reçu et pourtant j’ai éprouvé un sentiment de peur. Je me suis aperçu que même en restant au milieu de tant de gens – à l’école, à l’université, dans les clubs -, je me sentais tout seul et j’avais peur.

Et puis je voyais les problèmes autour de moi. Il suffit d’enclancher la télévision pour retrouver des images de guerre, de pauvreté. Je me disais : qu’est-ce que je peux faire ? J’avais beaucoup de demandes, mais j’ai trouvé une réponse.

Cette réponse, je l’ai trouvée dans un passage de l’Evangile écouté un jour avec plus d’attention : « Une chose te manque, dit Jésus au jeune homme riche. Ce que tu as, donne-le aux pauvres. »

(…)

Et ainsi, j’ai commencé à connaître des pauvres, par leur nom, personnellement. Chaque visage a son histoire, sa dignité, comme une personne. Je suis devenu un ami pour quelques-uns. Une amitié qui appelle à être fidèle. L’Evangile m’y a aidé : chaque jour une page d’Evangile.

Pourtant, ça n’a pas été facile : la tentation d’aimer seulement ses propres paroles est toujours présente. Mais aujourd’hui l’Evangile chaque jour fait grandir mon amour pour les autres. Il m’apprend à être ami avec tout le monde, et à aimer aussi les ennemis. Peut-être est-ce cela la sainteté à laquelle nous sommes appelés.

L’Evangile nous ouvre à une vision large et miséricordieuse du monde. Il fait crouler le mur de séparation entre les hommes, entre la personne bien portante et le malade, entre jeune et personne âgée, entre citoyen et étranger, entre pauvre et personne aisée, entre gens du Sud et du Nord. Il ouvre les yeux sur le visage de Dieu, qui est la seule raison de notre amour.

La route de cette sainteté, c’est la rencontre avec Jésus et sa bonne nouvelle. Merci, Saint Père, pour ce jour qui nous permet de renouveler cette rencontre avec Jésus. Aujourd’hui, nous savons mieux ce qui nous manque et ce que nous cherchons : Jésus, notre véritable ami.

Trad. CCRT

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