Messe du 3ème dimanche du Carême

 

Abbé Marc DONZE, à l’église St-Pierre à Fribourg, le 26 mars 2000
Lectures bibliques : Ex 20, 1-17;1 Co 1, 22-25; Jn 2, 13-25

« Tout Royaume divisé contre lui-même court à la ruine », disait Jésus (Mt 12, 25). C’était le cas du Temple. La maison de prière était devenue aussi maison de trafic.
Au départ, l’idée des marchands, sur le parvis extérieur du Temple, était bonne. Les pèlerins venant à Jérusalem avaient besoin d’acheter des colombes, voire des bœufs pour les offrir à Dieu. Ils avaient besoin d’échanger la monnaie romaine, qui n’avait pas droit de cité dans la maison de Dieu, contre la monnaie du Temple.
Mais il y eut la perversion du commerce. « Venez chez Shlomo : les colombes les plus blanches… Achetez chez Ruben : les bœufs les plus gras… Ici, chez Aser, le meilleur change, toutes taxes comprises ». Ce qui était au départ un service est devenu un lieu de profit et même une officine de blanchiment d’argent sale. Tant il est difficile que le commerce ne dégénère pas en enrichissement des uns et en appauvrissement des autres.
Plus grave encore, il y eut la perversion de la prière. Au départ, les colombes, voire les bœufs étaient un hommage, une louange, une reconnaissance au Seigneur, le créateur et le sauveur. Mais en offrant les animaux les plus gras et les plus chers, ceux qui avaient les moyens de se les payer ont cru pouvoir mettre la main sur Dieu. « Puisque je lui donne autant, il va m’exaucer mieux. » Sornette de ceux qui croient pouvoir tout acheter. Leur prière s’est mise à sonner comme une trompette fêlée.
Devant cette double perversion du commerce et de la prière, on comprend le geste de Jésus qui veut rétablir au Temple une maison de pure prière. C’est la force prophétique de l’amour qui le pousse à rétablir l’honneur de Dieu et, s’il est possible, la droiture de l’homme.
Aujourd’hui, le Temple de Jérusalem est tombé. Il n’en reste guère que le mur des lamentations. Mais qu’importe. Depuis la mort et la résurrection de Jésus, le vrai Temple, c’est notre corps (1 Co 6, 19). C’est en nous que le Seigneur vient habiter.
Et ce que Jésus a fait à Jérusalem, nous sommes invités à le faire dans notre propre corps avec son aide. C’est ce que j’aime à appeler la trêve du balai. Nous sommes appelés à chasser tous les trafics, toutes les perversions de notre maison intérieure, à grands coups de balai énergiques, avec lucidité, sans apitoiements auto-justificateurs sur les circonstances atténuantes qui expliquent si bien nos travers. Faire la vérité de notre être pour l’honneur de Dieu et pour notre propre bien.
Que découvrons-nous donc à balayer dans ce qui devrait être la pure et lumineuse maison de Dieu ?
D’abord, il y a les grands trafics basiques ceux que désignent les dix commandements (que nous avons entendus tout à l’heure). Le meurtre comme solution aux problèmes ou comme appétit de pouvoir, avec tout son cortège de haine, de vengeance, de guerre… et même le meurtre légal, n’est-ce pas M. Bush… et, au fond du cœur toutes les envies que nous avons de voir l’autre réduit à néant. Le viol et tout le cortège des abus sexuels… et au fond du cœur les désirs de prendre le corps de l’autre sans le respecter. Le mensonge qui tue, la demi vérité qui calomnie.
Et le vol, même légal. Ici, il vaut la peine de s’arrêter un peu, car c’était déjà le trafic numéro un au Temple de Jérusalem. Pour balayer cette tentation qui n’épargne personne, il faut se souvenir de la Parole de Jésus : « Vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent ». Si notre cœur est fondamentalement en Dieu, nous aurons des trésors d’imagination pour mettre au premier rang le respect des personnes au sein même des méandres du néolibéralisme. Si notre cœur est au service de l’Argent, si tout simplement il est mou et sans option, nous irons dans la pente naturelle des riches plus riches et des pauvres plus pauvres. Est-ce du vol ? C’en est au moins la racine. Car, en sa première origine, la terre appartient à Dieu et est destinée au service de tous. L’accaparement, même involontaire, n’est pas prévu dans la volonté de Dieu. De qui donc suis-je le serviteur et l’ami, tout au fond ? De Dieu ou de moi ? De mes frères et sœurs en humanité avec moi ou de moi d’abord et avant tout ?
Cette question nous mène vers un trafic plus subtil à balayer, qui se retrouvait déjà au Temple de Jérusalem. Quelle relation ai-je avec Dieu ? Est-ce un Dieu utilitaire, que je peux acheter, que je peux piper par mes bonnes œuvres ? Pire encore, un Dieu à mon service particulier, dont l’expression la plus terrible s’affichait aux portails des camps de concentration : Gott mit uns. Ou bien est-ce un Père, plus père que tous les pères, au-delà de tout, dans les bras duquel je m’abandonne, parce que je sais qu’il est la source, gratuitement, de la vie, de l’amour, de la lumière, du pardon. Oh, combien il faut balayer avec soin notre image de Dieu pour qu’elle ne fasse pas l’objet de trafic et ne sonne pas comme un piano désaccordé et grinçant.
Il faudrait devenir plus subtil encore dans l’utilisation du balai intérieur. Par exemple, notre esprit est l’objet d’un trafic permanent par la surconsommation d’images et de sons, sans retenue et sans ordre, qui pollue l’âme. N’y a-t-il pas une vigilance à avoir pour cultiver ce qui élève l’esprit ? Autre exemple : notre corps peut être l’objet d’un trafic permanent par l’ingurgitation d’aliments ou des drogues, produits d’une manière qui vise plus le profit que l’harmonie. Il faut prendre un soin équilibré de notre corps : c’est une sagesse à redécouvrir en christianisme. Et il faudrait encore partir à la recherche de nos conflits profonds : ceux qui nous minent de l’intérieur sans que nous le sachions parfois. Pour les regarder et les guérir.
Peut-être ai-je l’air de faire la morale. Dieu m’en garde. Balayer notre temple intérieur, c’est pour que nous soyons bien, en harmonie avec nous-mêmes, avec nos frères, avec Dieu. Que nous soyons une belle maison de prière et d’accueil et non de trafic ! La tâche n’est jamais finie, mais passionnante. Tâche vertigineuse ? Mais Jésus nous y aide par sa mort et sa résurrection. Avec nous, il rebâtit notre temple intérieur et il met sur notre route les gens qu’il faut.
Une petite fille nous montre le chemin. 5 ans, toute pauvre dans un quartier pauvre de Munich, où j’étudiais alors. Elle entre dans l’église pendant la messe. Elle regarde tout autour d’elle, émerveillée et interdite. Soudain, elle court vers moi, s’asseye sur mes genoux et dit tout haut : Ich bin da, Herr Pfarrer. Je suis là, Jésus. C’est sur les genoux de Dieu que je peux le mieux balayer mon Temple.
 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *