Messe du 26e dimanche ordinaire

Chanoine Olivier Roduit, le 26 septembre 2004, à l’église St-Sigismond, St-Maurice
Lectures bibliques : Amos 6, 1-7; 1 Timothée 6, 11-16; Luc 16, 19-31

Chers frères et sœurs, chers auditeurs,

Un train peut en cacher un autre. Cet avertissement, pourtant plein de sagesse, nous fait toujours sourire lorsqu’on le rencontre sur les passages à niveau en France.

Réfléchissant à l’Évangile d’aujourd’hui, j’ai envie de dire qu’une interprétation peut en cacher une autre.

Une première lecture de cette parabole du riche et de Lazare pourrait nous amener à une réflexion sur la pauvreté dans le monde et sur l’indifférence des riches. Pourtant, l’enseignement profond de ce texte est bien clair : il est urgent de nous convertir.

Quoi qu’il en soit, cette parabole ne saurait laisser personne indifférent. La précision des détails rend pathétiques aussi bien la vie terrestre de Lazare que la terrible déconvenue du riche dans l’au-delà. C’est très certainement un appel à nous remettre en question dans notre manière de vivre. Aujourd’hui comme au temps de la parabole, l’inégalité est criante entre les riches et les pauvres, entre les pays du Nord et les pays du Sud. Cette inégalité est d’autant plus criante que très souvent le nanti et l’indigent se côtoient tout en s’ignorant. Cette juxtaposition de la misère et de la richesse insolente fait scandale, même dans nos pays développés où la pauvreté fait honte et se cache.

Au plan international, il n’est pas besoin de grands discours pour illustrer cet état de fait. De nombreux organismes et institutions travaillent à aider les plus pauvres, mais l’économie est souvent la plus forte. Une bonne partie de l’argent consacré à l’aide aux défavorisés n’est qu’une sorte d’investissement très rentable à terme.

Aussi, il me plaît à saluer ici l’excellente initiative des Conseils des Conférences épiscopales d’Europe et des Conférences épiscopales d’Afrique qui ont organisé un symposium qui se tiendra à Rome en novembre prochain. Pendant une semaine, cinquante évêques d’Afrique rencontreront cinquante évêques européens pour inventer une nouvelle solidarité entre les Églises du Nord et du Sud du monde face aux grands défis qui touchent les deux continents. Cette démarche de communion fait suite à l’interpellation d’un évêque européen qui avait dénoncé le cynisme politique et économique international qui semble avoir abandonné l’Afrique à un destin de pauvreté et de marginalité toujours plus grand. Par ailleurs, l’Europe — continent en train d’écrire une nouvelle page de son unification politique et économique, mais aussi « sans enfants » et fatigué de divers points de vue — a aujourd’hui besoin de l’Afrique.

Une réflexion approfondie — et la lecture de l’évangile d’aujourd’hui — nous fait douter que le salut de l’humanité doit nécessairement venir de l’Europe ou des Etats-Unis !

Cette parabole nous intrigue par la richesse et la précision de la description du séjour des morts. Le spécialiste de la Bible nous fera remarquer que cette page biblique s’inspire d’un thème connu dans l’Égypte ancienne et dans le judaïsme pour illustrer le changement de condition qu’entraîne le passage de ce monde dans le monde à venir ; c’est d’ailleurs ce que proclament aussi les Béatitudes.

Aussi je crois important de revenir aux derniers versets du texte qui nous demandent instamment de nous convertir, et pour cela d’écouter Moïse et les prophètes.

Même si l’on ne cesse d’observer que nos contemporains sont ignares en ce qui concerne la religion et les choses de la foi, il y a des choses que chacun peut pressentir très fort même s’il a de la peine à le mettre en pratique. Il y a au fond du cœur du chrétien des désirs puissants qui encouragent à la sainteté, mais que l’on cherche souvent à repousser au dernier degré des préoccupations parce qu’ils dérangent et remettent en question. Il y a en nous un amour qui nous consume !

Nous avons tous eu des moments de joie et d’enthousiasme spirituels où il nous semblait que plus rien ne pourrait être comme avant. Des moments qui devraient durer une éternité mais que le temps use si rapidement. Ce sont les enthousiasmes de la préparation à la première communion où le cœur de l’enfant est rempli d’émotion et de désirs. Ce sont les réflexions qui amènent à l’engagement de la confirmation. Que dire des réunions de préparation au mariage ou au baptême d’un enfant ? Le religieux, la religieuse ou le prêtre se rappelle aussi des périodes de l’engagement où le cœur est rempli de la présence de Dieu.

Mais avec le temps qui passe, les choses changent. La monotonie et la faiblesse amènent un relâchement ou un endurcissement du cœur. Se produit alors un phénomène bizarre. Les choses secondaires deviennent tout à coup primordiales et ce qui était une joie devient une corvée. La joie de la célébration de l’eucharistie se transforme en obligation dominicale, obligation dont on finit par se dispenser allégrement.

Les consignes de Jésus dans son Évangile deviennent des préceptes et des commandements qui perdent toute leur signification dès que l’on oublie qu’ils ne sont là que pour nous aider à mieux aimer. La voix du prophète est étouffée par les sirènes du monde. La parole de l’Église et du magistère devient babillage ringard ! Injuste renversement des valeurs.

La recommandation de saint Paul à Timothée nous parvient alors avec beaucoup d’actualité : « Toi, l’homme de Dieu, cherche à être juste et religieux, vis dans la foi et l’amour, la persévérance et la douceur. Continue à bien te battre pour la foi, et tu obtiendras la vie éternelle ; c’est à elle que tu as été appelé, et c’est pour elle que tu as été capable d’une si belle affirmation de ta foi devant de nombreux témoins. »

Le cœur a des raisons que la raison n’a pas, dit-on. Le chrétien est essentiellement un être d’amour, d’un amour qui réponde à un amour bien plus grand. Face à cet abîme d’amour, il ne pourra donc jamais être tranquille : certain d’être aimé et pardonné, mais toujours désireux de mieux répondre à cet amour.

Nous avons à notre disposition tout le nécessaire pour devenir des saints. N’attendons plus d’autres signes merveilleux et magiques, mettons-nous au travail et laissons l’amour nous transformer, quoiqu’il nous en coûte.

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