Messe du 17e dimanche du temps ordinaire

 

Père Luc Ruedin, SJ, Hospice du Grand-Saint-Bernard, le 29 juillet 2012
Lectures bibliques :
2 Rois 4, 42-44; Ephésiens 4, 1-6; Jean 6, 1-15 – Année B

La nourriture dans la Bible occupe la 1ère place dès les premières pages. Pensons aux fruits des arbres du Jardin (Genèse 3), à la manne au désert et aux famines,  au plat de lentilles de Jacob et d’Esaü, etc. Et l’Apocalypse se termine par le festin des noces de l’Agneau (Ap 19) et le fruit de l’arbre de vie (Ap 22). D’un bout à l’autre du Livre,  il est question de la manne qui rassasie l’homme. Et toute l’Ecriture est incluse entre ces deux mentions de l’arbre de vie, dont l’homme s’était d’abord avéré incapable de manger le fruit. Dans l’évangile d’aujourd’hui, Jésus parle d’acheter du pain. Il est bien dans la tradition de l’Ecriture !

Nous le savons bien, nous qui avons marché jusqu’ici au Grand-Saint-Bernard, lorsque l’on entreprend un voyage, on se préoccupe d’abord d’avoir de quoi se nourrir. Aurions-nous atteint l’hospice si nous n’avions pas mangé ? La nourriture nous rappelle notre lien essentiel à la Création. Elle nous met devant notre radicale dépendance. Ne pas manger, c’est mourir. C’est risquer non seulement la vie du corps mais aussi celle de l’âme. De l’âme car il ne s’agit pas uniquement d’être repu mais de recevoir et de donner qui est la Vie même ! C’est de ce pain là que nous avons faim ! C’est ce que la Parole du jour nous rappelle :

I-        « Donne-le à tous ces gens pour qu’ils mangent » ordonne Elisée.  Jésus, à son tour, se demande comment faire « pour qu’ils aient à manger ». Nous sommes bien là devant la réalité humaine la plus radicale : se nourrir certes, mais surtout recevoir d’autres de quoi manger ! Ainsi, naissons et grandissons-nous en recevant la nourriture de nos parents. Une nourriture certes matérielle, mais surtout affective. On le sait, un bébé qui n’est pas aimé meurt ! Et pourtant le quotidien nous fait vite oublier cette expérience originelle du recevoir et du don qui constitue l’amour humain. Inconsciemment, nous nous croyons autosuffisants. Or, la vraie vie surgit lorsque nous recevons et donnons, lorsque venant de l’amour, nous en prenons conscience et en vivons. Loin d’être des individus isolés, nous sommes des êtres créés pour la communion. Ces lectures nous rappellent ainsi l’essentiel de notre condition humaine : plus que de pain, nous nous nourrissons les uns les autres en donnant et recevant, en nous donnant et nous recevant les uns des autres.

Et il en va de même avec Dieu. Dieu nous parle pour que nous puissions nous recevoir de lui : « Il t’a donné à manger la manne que ni toi ni tes pères ne connaissiez pour te faire connaître que l’homme ne vit pas de pain seulement, mais de tout ce qui sort de la bouche du Seigneur. » Humainement déjà, nous vivons par la parole qui relie. Combien de personnes meurent de silence ? Combien de couples meurent de ne plus vraiment parler ? Combien d’isolés parce qu’ils ne trouvent personne à qui parler ? Chers frères et sœurs, ce pain qui nourrit près du lac de Tibériade est avant tout Parole de Dieu. Pourquoi ? parce qu’il met en relation :  cent personnes (1ère lecture), Père de tous qui règne au-dessus de tous, par tous et en tous (2ème lecture), Une grande foule (évangile).  Ce Pain-Parole qui met en relation, nous « relationne » parce qu’Il est est Amour et nous fait entrer dans la solidarité de Dieu. Le signe de Dieu en notre monde n’est-ce pas d’abord l’accès à une humanité fraternelle que nous recherchons tant ? Une humanité sans exclusion qui est comme un écho de l’unité dont nous parle saint Paul dans son épitre aux Ephésiens.
Encore faut-il que nous risquions le don. Que, dans la confiance, nous nous donnions !

II–       « Le grand prophète » n’aurait rien pu faire sans que « quelqu’un offrit à Elisée vingt pains et du grain frais. » En temps de famine, c’est une fortune et une sécurité ! Dans l’évangile, un jeune garçon, offre « cinq pains d’orge et deux poissons. » Largement de quoi nourrir lui-même et sa famille. Pourtant étonnamment, généreusement, il offre tout spontanément sans que Jésus n’ait rien demandé. L’anonyme d’Elisée et le jeune garçon ont tous deux fait confiance à l’homme de Dieu – en dernier ressort à Dieu -, ils n’ont pas retenu jalousement ce qu’ils avaient, ils l’ont donné et cela a porté du fruit. Sans la collaboration libre de l’homme, même Dieu ne peut pas agir. Ils ont offert quelque chose qui n’est pas extraordinaire, quelque chose qui est à la portée de tout le monde. Là est peut-être ce qui est à retenir pour nous. Que puis-je donner de ce que j’ai ? Quel pain, quelle parole puis-je offrir ?

III–     Car du peu, le don, le partage fait surgir l’excès : on remplit 12 paniers avec ce qui reste. Pierre Ceyrac jésuite vivant en Inde disait : Quand on a tout donné on n’a plus rien à perdre ! Quand l’on donne sans retenir, non seulement on a plus rien à perdre mais on gagne tout. Pourquoi donc le partage fait-il donc advenir la surabondance de Dieu parmi les hommes ? Parce qu’il rend l’Amour effectif en lui donnant réalité, chair. Dieu advient ! N’est-ce pas ce que nous vivons en ce week-end de marche-pèlerinage au Grand-Saint-Bernard ? La joie qui nous habite n’en est-elle pas le signe ?  Signe du pain partagé qui représente le Christ lui-même. Signe de la joie qui prend chair en nous, parmi nous et qui vient de sa Vie donnée, vraie nourriture de l’homme.

Chers amis, demandons au Seigneur où et qui que nous soyons, sur les sommets ensoleillés ou dans l’obscurité de nos plaines, en grande santé ou affectés par la maladie, la vieillesse, demandons la grâce d’offrir non seulement ce que nous avons mais surtout ce que nous sommes. La Présence du Seigneur nous transformera. Nous entrerons alors dans l’infini mouvement de l’Amour pur dont nous avons tant la nostalgie et le désir. Amen.

 

 

 

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