Messe de la commémoraison des fidèles défunts

 

Chanoine Jean Scarcella, le 2 novembre 2008, à l’église de Buix
Lectures bibliques : Sagesse 2, 1… 3.9; Romains 8, 18-23; Luc 12, 35-40 – Année A

Mes sœurs, mes frères,

Si l’on évoque le passé, de quoi pouvons-nous nous souvenir, sinon de ce qui a existé ?! Ainsi, faire mémoire des défunts est, en quelque sorte, retrouver le temps de leur vie. La mémoire ne serait-elle pas alors un lieu de vie ? En effet, nous ne pouvons pas évoquer la mort sans parler de la vie. Et aujourd’hui l’Eglise nous demande de faire mémoire de nos défunts et en pensant à eux, et avec eux, de méditer sur le mystère de la mort et des vivants.

« La vie des justes est dans la main de Dieu », lisions-nous à l’instant dans le Livre de la Sagesse ; la vie de ceux qui se laissent modeler par Dieu, dès le premier jour de leur existence, et même avant, car déjà connus de Dieu, déjà aimés. Cette main de Dieu est certainement une des belles images de son amour révélé en Jésus Christ. Jésus a tendu la main aux hommes, il a posé sa main sur eux, « les bénis de son Père », et il a offert ses mains enclouées à la croix. Autant de gestes d’amour, de bénédictions, de souffrance aussi, et qui se résument dans le geste du don.

De sa main de Père, Dieu a façonné Adam, il a créé l’homme. Il nous a créés en nous donnant la vie. Par le baptême dans l’Esprit Saint nous recevons sa propre vie pour aujourd’hui et pour l’éternité. Ainsi notre naissance à l’humanité est un enfantement et notre mort est une nouvelle naissance. Et tout enfantement, toute naissance, s’accompagnent de souffrances. Au mystère de la vie et de la mort, s’ajoute dès lors celui de la souffrance. Et saint Paul ne manque pas de nous le rappeler quand il « estime qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire que Dieu va bientôt révéler en nous ».

On pourrait apercevoir dans cette affirmation paulinienne comme un goût d’inachevé au sein de la création. Pourtant l’œuvre créatrice de Dieu a été accomplie, certes ; mais rappelons-nous, chers amis, que la création est une œuvre d’amour, et donc qu’elle sera totalement achevée quand l’amour la dominera totalement : quand Dieu, qui est l’Amour – comme nous l’a affirmé saint Jean, – sera tout en tous. Jusque là, « la création passe par les douleurs d’un enfantement », nous dit saint Paul, et un enfantement « qui dure encore », précise-t-il, lui comparant ainsi l’inachèvement et la souffrance de la création. Et celle-ci n’est pas seule à souffrir, continue l’Apôtre, « nous aussi crions en nous-mêmes notre souffrance : nous attendons l’adoption et la délivrance de notre corps ». Nous attendons l’enfantement à la vie éternelle, comme Jésus lui-même l’annonçait en parlant, à propos de la fin des temps, des « douleurs de l’enfantement ». Finalement, plus qu’une comparaison, cet argument de saint Paul est une réalité !

Un premier monde, au commencement de notre existence, fut le sein de notre mère. C’est là que notre vie à chacun commença. Nous avons été nourris par le sang maternel et entourés de beaucoup d’amour. Cela a permis de porter cet être humain en gestation à son achèvement. C’est alors qu’il lui a fallu quitter ce monde devenu trop petit, pour naître à la vie terrestre, naissance apparentée à une véritable mort pour l’enfant, nous le savons. Dès lors commence pour le nouveau-né une nouvelle étape de croissance, corporelle, certes, mais aussi – et c’est important – affective. Il va faire l’expérience de l’amour, il va devoir être aimé pour apprendre à aimer.
Pour le chrétien, disciple de Jésus Christ, c’est la première préoccupation : cet amour divin qui l’a créé, il doit le révéler au monde, et sa vie – à l’image de celle du Christ – doit en être la manifestation. Il répondra ainsi au grand commandement de l’amour que Jésus a légué, afin que règne l’amour sur le monde jusqu’à son retour.

Et, en attendant ce retour, nous n’aurons jamais fini d’aimer et d’apprendre à aimer ; cela va durer au long de toute notre existence terrestre, restant au service de l’amour, en tenue de service, et gardant au cœur sa flamme allumée : toute notre existence, jusqu’à notre mort ! Notre croissance humaine et spirituelle sera nourrie par le Corps et le Sang du Christ, elle sera abreuvée par sa Parole et animée par son amour ; tout cela pour nous préparer à ce nouvel enfantement que sera notre mort.

N’ayons pas peur de passer la mort, frères et sœurs, Jésus lui-même a pris ce chemin, et il a transformé la mort par sa résurrection ! Vivons dans l’espérance, elle nous apporte déjà l’immortalité ! Ne craignons pas tout ce qui, dans les difficultés, les souffrances ou les abandons, éprouve en nous la force d’amour pour notre Dieu ! Notre fidélité vaut de l’or : la « grâce et la miséricorde que Dieu accorde aux siens ». Restons alors vigilants, prêts à accueillir et à suivre le Seigneur ; attendons non dans la crainte, mais dans la joie, avec la lampe de la foi et la tenue au service de l’amour.

Sachant que les limites du temps et de l’espace de notre monde ne pourront jamais satisfaire notre si grand désir d’amour, nous serons alors un jour à même d’accepter de quitter ce deuxième monde, cette deuxième matrice, pour passer la mort. Nous pourrons accepter ce nouvel enfantement, parce que Jésus est passé par la mort et a ouvert notre mort sur le monde où il n’y a plus que vie et amour. Par sa résurrection, Jésus est devenu « le premier-né d’entre les morts », comme le rappelle saint Paul dans le Cantique aux Colossiens, assumant ainsi totalement notre nature humaine en la faisant passer de la mort à la vie éternelle.

Nous autres, vivants sur cette terre, nous ne sommes donc pas encore pleinement nés. Par contre nos frères et sœurs qui nous ont précédés dans la mort ont déjà franchi le passage, ont déjà vécu leur « Pâque » avec Jésus. Si leur mort nous attriste, leur naissance définitive au monde de l’amour infini doit nous réjouir.

Alors que cette Eucharistie, source de vie, nous garde en tenue de service et entretienne la flamme de nos lampes sur ce chemin de nouvelle naissance.

 

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