Messe de Pâques

 

Chanoine Jean-Claude Crivelli, centre d’accueil La Pelouse, Bex, le 4 avril 2010
Lectures bibliques :
Actes 10, 34a.37-43;
1 Corinthiens 5, 6b-8; Luc 24, 1-12 – Année C


De ce long chapitre 24, qui clôt l’évangile selon saint Luc, c’est la séquence Emmaüs que nous évoquerions spontanément. Nous viennent encore à la mémoire les deux toiles de Rembrandt, celle de 1628 et l’autre de 1648 : à regarder chacune d’elles, nous mesurons combien la présence du Ressuscité transfigure la simplicité de nos quotidiens. Emmaüs c’est le chemin du disciple que le Maître accompagne chaque jour.

Mais Emmaüs poursuit d’une certaine manière ce qui a commencé avec la Passion du Maître, et qui est un chemin de non-reconnaissance. Qui en effet, parmi les disciples,  fut capable de comprendre ce qui se jouait dans le cœur de Jésus au moment de son agonie – scène décisive qui figure son combat contre les puissances du mal ? Personne. On dort alors qu’il faudrait être vigilant pour ne pas céder à la violence qui déchire notre monde. On se querelle pour savoir qui est le plus grand, le meilleur, celui qui pèse le plus lourd de ses milliards ou de ses robes de soirée, alors qu’il faudrait servir, être disponible. De cette disponibilité qui passe par la souffrance, l’oubli de soi, la mort. Oui, la mort : n’aurions-nous pas compris que le chemin de l’Evangile est une mort à soi-même (« Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même… ») , alors notre trépas physique s’en chargerait définitivement !  Quand il quitte ce monde, l’homme devient vraiment disponible. Et, dans le cas de Jésus,  je dirais volontiers que sa résurrection d’entre les mort révèle ce qui resta caché durant son passage en humanité, sa totale disponibilité à l’endroit de tout être humain. Christ est totalement donné, de cette offrande de soi qui est celle de Dieu même. Il l’a montré durant sa Passion : rappelons-nous sa délicatesse à l’endroit de Judas, son regard de bonté sur Pierre, sa parole au larron, … autant de gestes qui dénotent combien est totale la victoire de Jésus sur la violence qui secoue le cœur de l’homme. Le Christ est totalement offert. Il réalise « le sacrifice pur et saint, le sacrifice parfait, pain de la vie éternelle et coupe du salut » – comme nous le disons dans le Prière eucharistique n. 1, prière au vocabulaire si étrange et pourtant si adapté à l’œuvre accomplie par Jésus.

Ainsi donc, pour qui consent à croire,  la résurrection du Christ révèle de manière définitive la disponibilité sans faille de Dieu envers l’humanité. Toutefois, si le Christ est désormais disponible à tous, nous ne pouvons pas en disposer, comme les païens disposent de leurs petites divinités protectrices.
Au moment où les deux compagnons d’Emmaüs reconnaissent Jésus, lui disparaît à leurs regards. Le Christ n’est donc reconnu qu’à la condition d’une sorte d’effacement de son corps. Le corps est ailleurs. C’est de cela, de cette présence du Christ dans l’absence, que la première partie du ch. 24 de Luc – celle que nous venons de lire ensemble –  a commencé de nous instruire. On ne peut assigner le Ressuscité à résidence : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici. » (Lc 24, 5). La mise en scène des récits de la Résurrection nous délivre un certain nombre de paroles qui constituent le message de Pâques. Le Christ est le Vivant par excellence; sa présence de Ressuscité ne se laisse enfermer ni dans un corps vivant, ni dans un corps mort. Nous disposons pas de reliques de Jésus ; les femmes au tombeau ne trouvent rien. Il est vide.
Cela donne à penser : « elles ne savaient que penser », précise du reste l’évangéliste ! Cela met de nouveau en route. Vers quoi donc ? Vers le corps, le seul vrai : « ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs compagnons. » (Lc 24, 33) Désormais le corps c’est la communauté d’Eglise qui est appelée à devenir son corps. Par Eglise nous entendons la communauté des hommes et des femmes qui acceptent de se laisser greffer  sur le Christ pascal, c’est-à-dire sur l’Agneau immolé et vainqueur ; de se laisser prendre à leur tour par le don de soi, d’être au cœur de notre monde les signes vivants d’une manière nouvelle d’être au monde. Sont disciples du Christ pascal ceux et celles qui, par l’Esprit de ce même Christ,  ont d’ores et déjà commencé à sortir vainqueurs du combat qui les opposent à leur propre violence intérieure. Et qui, par là, attestent que vivre ce n’est pas vouloir devenir le plus grand pour écraser les autres ; attestent d’une pratique de l’existence qui soit non rivale, non jalouse de l’autre, et reçoivent leur identité et leur grandeur du seul don de soi, consenti chaque jour à ceux qui sont proches comme à ceux qui sont au loin. Voilà bien le corps nouveau du Ressuscité, signe de la présence du Seigneur dans les temps qui sont les nôtres. On comprend alors mieux que l’Eucharistie, célébrée en mémoire du Seigneur, reste pour les chrétiens le lieu de leur identité. Elle en est le sacrement ; le vivant symbole du monde nouveau. 

 

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