Messe du Corps et du Sang du Christ

 

 

Abbé Michel Lapeyre, à l’église Saint-Jean, Vevey, le 17 juin 2001.

Lectures bibliques : Genèse 14, 18-20; 1 Corinthiens 11, 23-26; Luc 9, 11-17

L’eucharistie, sacrement de la communion

Le jour commence à baisser. C’est l’heure où la fatigue, la faim se font sentir, l’heure où l’homme est demandeur. Pour approcher le mystère du don de Dieu je voudrais vous confier trois pages de vie où l’homme se sent démuni devant l’ampleur de la demande.

Il m’a été donné de recevoir un témoignage que je n’oublierai jamais. Un certain Philippe dans un centre de réinsertion sociale traînait près du bureau un soir de premier de l’an. Nous avions fêté l’événement, et je ne comprenais pas son manège. De fait ce docker de 28 ans, habitué aux milieux durs des quais de Bordeaux voulait seulement partager mais il n’en avait pas l’habitude… Quelle émotion quand il m’a raconté les orphelinats, les escapades, la solitude. Jamais il n’avait de sa vie eu l’occasion de fêter quelque chose avec quelqu’un. Ni un anniversaire, ni un Noël, ni autre chose. D’avoir partagé une joie avec tant de personnes, il était très ému. J’étais alors jeune et me sentais démuni… j’ai parlé de famille, de donner ce qu’il n’avait pas reçu. Il s’est mis à sangloter : « je ne saurais pas quoi faire, je ne sais pas ce que c’est qu’un papa… » Détresse de l’homme qui ne sait pas parler d’une communion de se donner dans le don si naturel qui fait la joie d’un père ou d’une mère. Je lui ai parlé d’amitié une autre communion. Il s’est pacifié.

La communion relève de la vie sociale, et de la vie spirituelle : « l’amitié est, en effet, une communion … » (Ethique à Nicomaque 1171b33). Mais elle devient tout à fait originale lorsqu’elle s’épanoui dans la vie surnaturelle, lorsqu’elle est tissée par un amour commun, comme la charité.

Comme les disciples, nous nous sentons bien souvent dépassés par le partage que demande la communion. Est-ce que je vais encore me faire piéger par une demande qui me dépasse ? Les réfugiés sans papiers ont soif de quelque chose que nous avons et qu’ils n’ont pas. Nous avons tous réagi dans notre cœur « les malheureux ! » mais la parole du Christ donnez-leur à manger, qu’elle est difficile à entendre. Sans doute elle a provoqué une petite détresse en chacun des disciples pour qu’ils se défendent : nous n’avons pas plus de cinq pains et deux poissons ! Mais le Christ ne piège pas, le Christ ne se moque de personne, jamais. Il veut que nous grandissions et que la vie soit en nous. Dans la pauvreté de l’hostie, nous découvrons notre propre pauvreté. Nous pouvons alors recevoir cet enseignement fondamental: l’amour a besoin d’un don afin de créer la communion. Le don de ce que nous sommes actuellement.

Alors nous découvrons par l’amour de Dieu qui nous est donné que même si nous ne sommes pas les décideurs de la vie sociale, même si nous ne pouvons prendre en charge les détresses qui nous sont données de connaître, le Christ ne nous trompe pas lorsqu’il nous dit « donne-leur à manger ». Donnes si tu peux de ton temps, de ton argent. Mais ne te dispenses jamais de donner ce qu’ils n’ont pas toujours : le respect que force l’amour fraternel; ce regard rend intelligent pour penser à eux, parler d’eux, les aborder lorsqu’il viennent à nous. Ils ont alors une place dans notre cœur au même titre que nos concitoyens.

Ce respect me grandit, ce respect les soulage. Devant mon impuissance, ce profond respect animé par ma charité seront mes cinq pains et mes deux poissons. Ce que fera le Seigneur avec, l’évangile nous dit que cela échappe à notre mesure. Douze corbeilles !…

Si le devoir de charité semble un piège à nombre d’entre nous, rappelons-nous (et je le dis avec une pointe d’humour) le geste de Melchisédech préfigure une liturgie non sanglante : le pain et le vin prennent la place des victimes immolées. Le sacrifice de communion de notre vie chrétienne est semblable à celui d’Isaac : « donne-moi ton fils mais sans verser son sang. » « Je ne veux pas la mort du pécheur mais qu’il vive. » N’ayons pas peur !

Maintenant que nous sommes rassurés sur ce chapitre, que nous savons que ce pain eucharistié, comme disaient nos aînés des premiers siècles, nous fait croître dans la vie de communion qui est en Dieu, condition indispensable pour reconnaître le visage du Christ dans le visage des frères, nourriture indispensable à notre nature que nous sommes incapable de nous donner à nous-même. Nous la recevons d’un autre gratuitement. C’est une Personne qui se donne elle-même…
Pour montrer que ce don nous échappe dans ce qu’il crée en nous, je terminerai par un témoignage d’espérance qui m’a été donné de vivre. Auprès du pasteur Gérard que j’ai connu dans mes premières années de sacerdoce, j’ai vécu ce qu’était la communion.

Etant Français, le terrain de l’œcuménisme était neuf quand je suis arrivé en Suisse. Dans mon amour de l’Eglise je vivais avec une épine : celle de me demander s’il y avait une façon de parler de la foi autrement que nous montre la plupart du temps les livres d’histoire, comme une dispute. Gérard, animant un soir un groupe de discussionœcuménique, me demande de présenter l’eucharistie, comme les catholiques la vivent. Quelle joie alors de partager ce que je vis de la communion. Quelle joie également de voir ce geste d’amitié des réformés qui témoignent à leur tour de ce qui fait la joie de leur fort intérieur dans l’eucharistie telle qu’ils la vivent. C’est depuis ce moment une amitié vécue non pas à cause de nos « options religieuses », ni d’un accord théologique, mais d’un moment de communion véritable née d’un amour commun pour une personne, pour le Tout Aimant qui nous a rapproché l’un de l’autre. Cinq petits pains donnés, douze corbeilles de reste. De cette expérience j’ai connu un grand bonheur. Le Seigneur peut aujourd’hui nous rassembler sur un terrain VITAL : celui de la communion de charité.

Chers amis, ne cherchons pas à mesurer ce sacrement avec nos sciences nous risquerions de nous le présenter à nous-même. Mais recevons-le dans l’eucharistie comme Lui se donne. Les fruits (que nous ne pourrions pas nous donner à nous-mêmes) nous dirons alors Sa présence reçue.

Seigneur ce sont des pauvres qui sont devant toi, pauvres de communion entre eux. Augmente en nous la foi pour que nous sachions reconnaître en l’eucharistie la nourriture vitale que tu nous promets.
Amen

 

 

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