Messe du 6e dimanche de Pâques

 

Père Jean-René Fracheboud, Foyer Dents-du-Midi, Bex le 9 mai 2010
Lectures bibliques :
Actes 15, 1-2.22-29; Apocalypse 21, 10-14.22-23; Jean, 14, 23-29 – Année C

Chers Frères et Sœurs,

 

«  Un forgeron rêve d’indépendance…
Il achète une enclume, un marteau, un soufflet et se met au travail.
En vain.
Rien ne se passe et la forge reste inerte.
Découragé, il va demander conseil à un ancien du métier.
Que doit-il faire ?
Que lui manque-t-il ?
 Le vieux forgeron lui répond : <  tu as ce qu’il te faut sauf l’étincelle, >. »
Cette parabole d’origine juive, je l’emprunte à Gabriel Ringlet dans son ouvrage intitulé «  Et je serai pour vous un enfant laboureur ».

« Tu as ce qu’il te faut, sauf l’étincelle ».

Les disciples de Jésus ont eu cette grâce extraordinaire de passer beaucoup de temps avec cet homme d’exception, hors du commun qui n’était rien de moins que le Fils de Dieu.
Ils l’ont suivi, ils l’ont écouté, ils l’ont vu poser des gestes audacieux d’accueil, de miséricorde pour les êtres les plus abîmés.
Jésus a guéri beaucoup de malades et même rappelé certains à la vie. Il a inscrit un amour fou dans tous ses regards, ses gestes, ses initiatives et pourtant il manquait quelque chose aux disciples.

Une part d’eux-mêmes, une forme de lourdeur et de pesanteur les empêchaient encore de rejoindre ce qu’il y avait de plus lumineux, de plus vibrant, de plus divin dans la personne de Jésus. Ils étaient bien avec lui, tout proches de lui, réunis géographiquement mais il leur manquait quelque chose …
comme une étincelle, quelque chose d’essentiel qui embrase, qui relie par le dedans.
Ils étaient devant une écorce mais la sève leur échappait.

Il faudra attendre le dernier moment, l’heure où Jésus allait passer de ce monde à son Père, pour qu’une perspective nouvelle se dégage. Ce sera le passage du « DEVANT » au « DEDANS ».
Il faudra que Jésus ne soit plus devant eux pour que les disciples découvrent qu’Il est en eux, au-dedans, au plus profond de leur être et de  leur intimité come une étincelle de présence, comme un embrasement de bonheur.

Ne leur avait-Il pas dit d’une manière provocante : «  Il est bon pour vous que je m’en aille. » ?
« Je vous dis tout cela pendant que je demeure encore avec vous, mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, Lui, vous enseignera tout et Il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit. »

Les disciples avaient entendu beaucoup de paroles de la part de Jésus mais c’était encore trop des mots, des concepts, des coquilles creuses.
Il manquait l’étincelle qui rend la Parole parlante,
qui touche en profondeur,
qui donne sens et qui ouvre l’espace d’une transformation de l’être.
Le Don de l’Esprit va embraser les disciples.
La Parole va les faire vivre, les animer, leur donner une clef de compréhension nouvelle.

C’est la grâce que nous vivons en Eglise aujourd’hui. Nous, les disciples du Christ, n’avons pas connu le Jésus de l’Histoire mais nous avons la chance inouìe de recevoir, jour après jour, l’Esprit du Ressuscité, du VIVANT. Le Seigneur ne nous a pas laissé des consignes et des règlements.
Il ne nous embarque pas dans une aventure où tout aurait été prévu, réglé, décidé par avance.
Il nous donne son Esprit qui, au fur et à mesure de l’Histoire, déploie une Parole de liberté qui nous permet d’inventer des chemins d’Evangile.

Combien de fois, ou seul, ou en communauté, avons-nous pu faire l’expérience d’une parole biblique qui éclaire tout à coup un pan de notre vie,
qui nous donne la force et l’audace de prendre une décision importante,
qui nous apporte une grande paix intérieure dans une situation tendue…
Nous touchons là du doigt quelque chose de l’étincelle qui nous donne d’expérimenter la présence du Christ au milieu de nous, en nous.
Nous savourons alors la profonde vérité et actualité de la Parole de Jésus :

«  Si quelqu’un m’aime. il restera fidèle à ma Parole ;
 mon Père l’aimera,
nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui. »

La fidélité dont il est question ici n’est pas un carcan qui nous enfermerait dans le passé, condamnés à refaire ce qu’on a toujours fait.
Au contraire, elle est orientée vers l’avenir, elle est le dynanisme intérieur de l’Esprit qui appelle à aller de l’avant, à mettre en œuvre l’Evangile dans des réalités culturelles qui bougent et qui évoluent.

La première lecture, celle des Actes des Apôtres est une belle illustration du travail de l’Esprit promis par Jésus au sein de l’Eglise naissante. C’est un premier tournant décisif de l’histoire de la première communauté qui s’ouvre aux nations païennes.

Fallait-il imposer à ces nouveaux venus, culturellement différents, le moule juif ?
Fallait-il leur imposer la circoncision ? 
Cela provoque un conflit, des divergences, des oppositions et des tensions.

Ce qui est particulièrement éclairant, c’est la manière de réagir face à la crise.
On va se mettre ensemble,
on va se rencontrer et
on va favoriser une circulation de la parole et un échange le plus fraternel possible.
On va être accueillant au rayonnement et à l’autorité qui se dégagent de certains frères.
On a la conviction que la Parole de Dieu ne pourra se faire entendre en profondeur
qu’à travers l’échange de la parole humaine,
qu’à travers une expérience de communion.
Tout cela débouche sur la belle expression : « L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé… »

Entre Pâques, l’Ascension et la Pentecôte, nous voyons ce glissement du « Devant » au « Dedans »,
d’une présence physique de Jésus à une présence plus intériorisée,
d’une apparente absence qui devient le lieu de la liberté et de la responsabilité.

Nous avons désormais à conjuguer l’extériorité de la Parole toujours créatrice et agissante
avec l’intériorité du Souffle et de l’Esprit.

Puissions-nous nous passionner aujourd’hui, dans une période troublée et troublante, pour donner à nos communautés, ce visage pascal, ce visage habité par le don immense de la Paix.
Puissions-nous nous passionner pour faire advenir non pas une Eglise figée dans la peur et bétonnée dans les structures mais une Eglise enfin capable d’audace et de créativité pour dire à tous les hommes qu’ils sont sauvés et aimés.

« Tu as tout ce qu’il faut, sauf l’étincelle », c’était la réponse initiale au forgeron désespéré !

Le Christ ressuscité, l’Agneau de l’Apocalypse, source de lumière, pourrait chuchoter à nos oreilles et à nos cœurs :
«  Vous avez tout ce qu’il faut, surtout l’étincelle, mon Esprit qui fait toutes choses nouvelles ! »

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