Messe du 3ème dimanche de Pâques

Abbé Thierry Fouet, à l’église Saint-Joseph, Genève, le 6 avril 2008
Lectures bibliques : 1 Pierre 1, 17-21, Luc 24,13-35 – Année A

 

Le jour le plus long, ce jour de Pâques, c’est vraiment le jour le plus long de l’Evangile. Déjà, au petit matin Jésus ressuscité se montre à des femmes, puis il accompagne les marcheurs d’Emmaüs et le soir il va faire irruption au milieu des disciples. Jour de Pâques, Jour sans fin pour nos marcheurs d’Emmaüs eux-mêmes : à quelle heure se sont-ils couchés ? alors que le soir était déjà tombé, après une longue marche, oubliant leur fatigue, ils retournent à Jérusalem, ce qui devait demander plusieurs heures de marche…
Ces deux disciples sont tellement découragés… cependant ils savent tout sur Jésus, dire de Jésus qu’il est un prophète puissant…en actes et paroles. Qu’il est mort crucifié, et même que le tombeau a été trouvé vide… ils prononcent parfaitement le contenu de la foi, le CREDO. Malgré cela ils ne reconnaissent pas pour autant Jésus ressuscité.
Cet inconnu, qui les rejoint, va leur proposer une autre explication de « l’affaire Jésus »à partir des Ecritures.
Les disciples prennent conscience que le problème n’est pas du côté de Jésus. Le vrai responsable de la déception, ce n’est pas l’échec apparent de Jésus mais leur erreur de perspective : d’où la non reconnaissance de Jésus qui ne correspond pas à ce qu’ils croient savoir de lui. Jésus les aide à comprendre quels sont ses objectifs ; avec l’Ecriture ils relisent les évènements à partir de leur foi. La foi n’est pas l’adhésion à un paquet tout ficelé de vérités, mais adhésion à une personne, et pas n’importe laquelle, la personne de Jésus.
Dès lors, tout apparaît sous un jour nouveau. Ce qui n’avait pas de sens prend sens. L’interprétation que les disciples avaient donnée aux évènements ne s’avère plus être la bonne. Jésus leur fait voir que ce n’est pas un échec mais le mystère de sa vie.
Chers amis, nous aussi nous avons à relire nos vies à la lumière de la Parole de Dieu. Le regard que nous portons sur les évènements de notre existence est souvent trop court. A l’aide de la Parole de Dieu, un autre regard est possible : comprendre notre vie et ce qui la traverse, à la manière de Dieu, avec amour.
C’est précisément au moment où les disciples sont au creux de la vague et tout tristes que Jésus se rend présent à eux. Nous le savons si nous broyons du noir, si nous désespérons, dans de tels moments, il est impossible de voir ce qui se passe autour de nous. Nous sommes aveuglés par notre problème. Jésus prend l’initiative de s’approcher de nous. Il marche avec nous. Il nous écoute.
Au soir de Pâques, Jésus fait route avec les disciples d’Emmaüs, comme avec chacune, chacun de nous, pour se frayer un chemin rendu très difficile : le chemin de l’intelligence, de la tête au cœur et du cœur à la tête. Certes c’est un chemin bien court de quelques centimètres, mais si encombré qu’il empêche tout lien vital.
En « chirurgien » expérimenté, Jésus prend tout son temps, met en confiance et réchauffe leur cœur, éclaire leur intelligence. S’opère alors le grand tournant du récit. Le cœur hospitalier des deux hommes est ému. Malgré leur deuil, ils invitent l’inconnu  » Reste avec nous ». Grâce à cette attitude d’accueil, l’inattendu se produit. Et soudain, les choses s’inversent. Ils ont invité l’inconnu à leur table et c’est Jésus qui les reçoit en se comportant comme maître de maison (il prend le pain et le partage).
Une fois le Pain partagé, tout a changé, tout a basculé pour les disciples d’Emmaüs. Ils reprennent la route à contre-sens, parce qu’ils sont devenus responsables d’une parole : ils retournent à Jérusalem. Ce qui paraît être une marche arrière, en définitive est une marche en avant. Ils ne sont plus prisonniers de leurs réponses. Et chacun de leur pas ouvre une question.
Cette ouverture des yeux au signe du partage est en réalité une nouveauté de regard. Cette re-connaissance est une nouvelle connaissance du Christ, de celui qui a disparu à leurs regards et qui est pourtant omniprésent tous les jours. C’est ainsi que le Ressuscité reste avec nous.
Il nous reste aussi le signe du frère ou de la sœur, avec qui nous partageons le pain. La solidarité ne fait pas vaguement partie, ou pour faire joli, de notre culture chrétienne. Elle est essentielle, un signe fort, pour faire reconnaître le Christ présent dans ses disciples.
Le témoignage des chrétiens est étonnamment percutant chaque fois qu’ils expriment, simplement mais avec du feu dans le cœur, comment ils ont découvert le Christ et ce qu’ils vivent de Lui et de son message. Les formules théologiques, les brillantes citations de l’Ecriture, les beaux symboles liturgiques sont au service de cette foi, de cette relation, et ont finalement moins de force, de conviction qu’un témoignage de vie, du cœur à cœur.
Jésus fait une approche discrète des disciples, en silence, le silence d’une présence, d’une écoute attentive afin de laisser l’autre « vider son sac »…
Nous aussi nous pouvons vivre Emmaüs. Lorsque nous accompagnons avec cette marche respectueuse qui laisse à l’autre le temps de se confier, de déposer son fardeau ou de partager sa joie. Présence du Christ qui met son pas dans le nôtre au cœur des évènements, même ceux dont le sens nous échappe.

Chers téléspectateurs et nous en cette église St-Joseph, ne sommes-nous pas comme les disciples d’Emmaüs ? L’action de Jésus dans notre monde nous semble si discrète, si faible, pensons-nous. Nous ne savons pas reconnaître sa présence. Nous sommes lents à croire. Alors laissons nos cœurs se réchauffer : Il est avec nous dans sa Parole que nous avons toujours avantage à creuser; il est avec nous en ces témoins qu’il place sur notre route : encore faut-il les discerner ! Il est avec nous dans l’Eucharistie, encore faut-il le reconnaître. Alors sachons regarder, pas seulement devant nous mais en nous.
En Palestine, il y a au moins quatre lieux qui pourraient être la localisation du village d’Emmaüs et les distances varient elles aussi. Merveilleuse imprécision car Emmaüs c’est partout où une personne marche avec Jésus sans le savoir souvent. Oui Dieu présent partout où nous sommes mais discrètement, incognito.
Personne ne se souvient du nom des deux disciples d’Emmaüs. Quelle importance ! ce pourrait être chacune, chacun de nous. Il ne suffit pas de connaître par cœur son histoire… reconnaissons la personne de Jésus, vivant, présent ici et maintenant. Emmaüs, recherchons bien en nous, c’est un peu notre histoire. Dans notre vie, nous avons tous notre chemin et notre auberge d’Emmaüs.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *